Immeubles sans chauffage, forêts urbaines, rénovation, matériaux… Comment réinventer la ville au temps du changement climatique ?
Hivers sous tension énergétique, étés caniculaires … Limiter les consommations d’énergie l’hiver et adapter la ville au changement climatique, un défi à l’épreuve de toutes les saisons. Nombreuses sont les voies qui mènent à la cité résiliente entre accélération de la rénovation énergétique, végétalisation, meilleur choix des matériaux, mais attention aux fausses pistes.
Le 18 juillet 2022, face aux températures extrêmes qui sévissent partout en France, l’avertissement est clair : pas une ville n’échappera au changement climatique. Plusieurs agglomérations de Bretagne et de la façade atlantique, régions jusque-là plutôt épargnées par les canicules, ont en effet largement battu leurs précédents records de chaleur. Quelques mois plus tard, la France entière cherche la méthode pour « passer l’hiver » en raison des restrictions sur l’électricité. Alors comment élaborer un modèle de villes résilientes ?
État, élus et institutions disposent de plusieurs leviers, comme l’accélération de la rénovation énergétique, via des dispositifs comme MaPrimeRenov’, mise en place en 2021, ou encore la végétalisation des villes. Mais cette difficile transformation suffira-t-elle à faire de nos métropoles un lieu où il fait bon vivre à la fin du siècle ? Certains, comme l’architecte Mark Held, prônent un changement de modèle radical.
Végétaliser les villes : oui mais à quelles conditions ?
Lyon, Strasbourg, Paris, Nantes, Toulouse… des millions d’arbres ont été promis par ces municipalités à leurs administrés. Cette surenchère s’explique par les nombreux avantages offerts par la végétalisation des villes, qu’énumère David Chevet, chef de produit national Arbre Conseil® à l’Office National des Forêts : « La plantation urbaine permet de revégétaliser les centres urbains tout en recréant des couloirs écologiques favorables au développement de la biodiversité. Ces végétaux peuvent capter l’eau dans le sol lors de fortes pluies, et séquestrent également le CO2, de l’ordre d’une tonne par m3 de bois ». Mais surtout, les arbres permettent de lutter contre les îlots de chaleur, en abaissant la température ambiante de 1 à 2 degrés autour de l’arbre, et jusqu’à 8 degrés par l’ombre portée au sol, selon cet expert de l’ONF.
La végétalisation urbaine doit cependant respecter certaines consignes. D’abord, il est primordial de renforcer la diversification des espèces pour limiter les attaques parasitaires. Ensuite, il faut privilégier des essences d’arbre, pas uniquement locales, qui pourront s’adapter au changement climatique, « comme le chêne vert, le chêne pubescent, le chêne à dents de scie, le chêne zéen, le chêne liège de Chine ou encore certains érables (Cappadoce, de Montpellier, trifide) ou bien d’autres essences. Ils doivent avoir une meilleure résistance à la chaleur (températures élevées et périodes de sécheresse rallongées), tout en pouvant supporter des températures hivernales négatives et gelées tardives » explique David Chevet.
Enfin, les arbres ne peuvent pas être plantés n’importe comment. « Les sols en milieux urbains sont difficiles, voire ingrats, notamment du fait de l’implantation des réseaux souterrains qui peuvent rendre compliqué la réalisation de fosses suffisamment grandes pour leur bon développement, prévient David Chevet. Il est parfois plus pertinent de planter des végétaux de plus petites tailles, plus résistants qui n’ont pas besoin d’assistance à l’arrosage, et présentent un meilleur taux de reprise à la plantation ». Et surtout, l’expert met en garde contre une pratique récemment développée, la méthode Miwanaki, qui consiste à planter à de très fortes densités quatre ou cinq arbres par mètre carrés : « Ce type de plantation peut générer certaines nuisances en milieux urbains, tout en limitant l’utilisation de ces espaces végétalisés par les riverains (nécessité de créer des aménagements pour le bien être des habitants : cheminements, signalétique, mobilier bois de détente, etc.). D’autre part, le coût financier de ces opérations, ramené à l’hectare, est très élevé et nécessite obligatoirement des interventions de dépressages et éclaircies afin de permette le bon développement des sujets. Cela engendre une décapitalisation des arbres initialement plantés ».
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Accélérer la rénovation énergétique des bâtiments, changer de mode de construction
« La rénovation énergétique est l’un des principaux défis de l’adaptation au changement climatique », assène Jacques Baudrier, adjoint à la mairie de Paris en charge de la construction publique, du suivi des chantiers, de la coordination des travaux sur l’espace public et de la transition. La capitale s’est engagée dans un vaste chantier de rénovation de ses 255 000 logements sociaux, dont 26 000 ont été rénovés depuis 2019. Isolation des planchers et des plafonds, des murs extérieurs ou intérieurs… La Ville de Paris finance environ 5 000 rénovations de logements sociaux par an, en utilisant uniquement des matériaux biosourcés. 11 000 sont actuellement en chantier. De quoi limiter le gaspillage d’énergie et améliorer le confort des habitants, été comme hiver. « Nous sommes les seuls à suivre le rythme imposé par la loi climat et résilience » assure Jacques Baudrier.
Si le rythme de rénovation des bâtiments publics dépend de la volonté des élus, comment favoriser celle des habitations privées ? « La règlementation ne suffira pas, il faut augmenter les incitations financières qui sont pour le moment insuffisantes » indique l’élu. La mairie a ainsi lancé le dispositif Éco-Rénovons Paris +, qui permet de compléter les aides financières de l’État : « Ainsi, pour une rénovation coûtant 20 000 euros, le particulier recevrait 3 700 euros de MaPrimeRénov’ et environ 6 000 euros de la Ville de Paris. Cela permet de financer les travaux à hauteur de 50 % » indique Jacques Baudrier.
Rénover l’existant et construire exemplaire iront de pair. À Lyon, un immeuble de logements sans climatisation ni chauffage sort de terre et garantit une température constante été comme hiver entre 22 et 26 degrés. Conçu par le cabinet d’architecte Baumschlager Eberle et porté par Nexity, le bâtiment est une première en France et repose sur une forte inertie permettant la captation du chaud l’hiver et du froid l’été. La structure de l’édifice est par exemple constituée de briques de 50 centimètres d’épaisseur, les murs sont enduits à la chaux et la ventilation est naturelle grâce à un système d’ouverture centralisé avec des ventelles automatiques en bois.
À Paris, la ville adapte également ses modes constructifs. « Nous sommes passés à l’architecture du XXIe siècle, assure l’adjoint. Nous privilégions les matériaux biosourcés et l’ossature bois dans toutes les nouvelles constructions, pour limiter le béton, avec des logements traversant pour améliorer le confort d’été. Nous réemployons quand c’est possible les matériaux, comme la terre du chantier du Grand Paris ». D’autres solutions sont également à l’étude, comme peindre en blanc les rues et les toits afin de favoriser la réflexion des rayons du soleil. Le dispositif, testé avec succès à Los Angeles avec des baisses de température de 6 à 7 degrés au niveau du bitume repeint en blanc, pourrait néanmoins se heurter à Paris à la protection du patrimoine.
Reconstruire la ville du futur
L’architecte et designer Marc Held, autour de l’ouvrage Rêvons d’une autre ville !, pousse encore plus loin la réflexion : « Aujourd’hui, beaucoup de gens réfléchissent avec talent aux aménagements des villes actuelles. Je propose pour ma part des solutions radicales, car c’est ce que nécessite la situation catastrophique liée au changement climatique ». L’architecte dresse un programme pour bâtir de véritables « Villeneuve », reposant sur l’autonomie politique, économique et énergétique.
Ces villes de taille réduite, au nombre d’habitants limités, seront circonscrites dans l’espace, pas plus de trois kilomètres sur trois, afin de limiter la densité et d’améliorer le bonheur des citadins. Le tracé des rues devra oublier l’urbanisme colonial et ses grandes avenues orthogonales, pour privilégier des arabesques plus aléatoires favorisant la déambulation. De plus, tous les matériaux de constructions seront sourcés localement. « La pierre et la terre sont abondantes partout, assure l’architecte. Il n’y a pas besoin d’utiliser des matériaux de synthèse pour construire et isoler les bâtiments ».
Autre ambition, et non des moindres : la moitié du territoire urbain serait constitué de bâti, et l’autre moitié de végétal. « Il ne s’agit pas d’écrans de fumée, comme la végétalisation des façades, assène Marc Held. Il faut que les végétaux plantés soient productifs pour assurer la subsistance alimentaire de la ville ». Enfin, les énergies renouvelables, déclinables localement, seront massivement utilisées. Une utopie pour certains, mais dont les idées pourraient étayer l’élaboration des villes du futur.
Photo : ©Nexity