Grand cycle de l’eau : de l’importance de la bonne coordination entre les différents échelons territoriaux.
Maire depuis 2014 de la commune d’Alzonne, dont il est Conseiller municipal depuis 1995, Régis Banquet est Président de Carcassonne Agglo depuis 2014 (mandat renouvelé en 2020) et Président du Syaden, le Syndicat d’énergies en charge du service public de l’énergie et de l’aménagement numérique du territoire dans l’Aude, depuis 2015. C’est au titre de Vice-Président des intercommunalités de France délégué au Grand Cycle de l’Eau que Régis Banquet nous répond.
- Régis Banquet met l’accent sur la gestion de l’eau face au changement climatique, intégrée dans une stratégie plus large incluant l’énergie, la mobilité, et la biodiversité, avec des initiatives comme le plan zéro phyto et la végétalisation urbaine.
- Suite aux inondations de 2018, des travaux importants ont été réalisés pour protéger les zones sensibles et désimperméabiliser les surfaces, avec une attention particulière à la qualité des rivières et à la biodiversité locale.
- Carcassonne Agglo a adopté un pacte vert avec un budget de 100 millions d’euros pour sécuriser l’approvisionnement en eau, améliorer la gestion des eaux usées, et développer des projets d’énergie renouvelable, en promouvant également la souveraineté alimentaire locale.
- Pour réduire les pertes d’eau, des capteurs numériques et des compteurs intelligents sont déployés, nécessitant un investissement estimé à 30 milliards d’euros pour rénover les réseaux de distribution et lutter contre la pollution sur les prochaines années.
Avec un réchauffement climatique de plus en plus marqué, l’eau est un enjeu majeur pour les territoires. Quels sont vos engagements au niveau communal et intercommunal et sur l’eau en particulier ?
Régis Banquet : En matière de changement climatique, l’eau est devenue incontestablement un enjeu majeur pour notre territoire, au même titre que l’énergie, les mobilités douces, l’aménagement, la biodiversité ou la rénovation.
Dans notre commune, nous travaillons tous ces sujets dans une logique de « renaturation de la ville », avec un plan zéro phyto, une végétalisation du centre bourg, ce qui a permis d’obtenir plusieurs labels comme « terre saine ». Nous avons créé un petit réseau de chaleur avec une chaudière à bois qui chauffe plusieurs bâtiments communaux et depuis une dizaine d’années, deux bâtiments sont couverts par des toitures photovoltaïques. Des ombrières alimentent des bornes de recharge électriques et nous avons rénové la quasi-totalité de notre éclairage public qui s’éteint de 23h à 6h pour faire des économies d’énergie mais aussi pour préserver la biodiversité.
Le cycle de l’eau a fait l’objet d’une attention toute particulière. D’importants travaux ont été réalisés pour protéger les zones sensibles aux inondations. Le sujet de la protection de nos habitants par rapport à ces événements exceptionnels est devenu capital depuis les inondations de 2018 qui ont fortement marqué notre territoire. Tous les parkings construits aujourd’hui sont drainants et la cour d’école a été désimperméabilisée. Nous sommes également engagés dans la démarche Natura 2000 avec un accent particulier porté sur la qualité de nos rivières. Nous avons ainsi procédé à un inventaire de tout ce qui fait la richesse de notre commune en matière de biodiversité. Cela nous engage sur des actions de préservation de cette biodiversité autant que sur la qualité de notre gestion de l’eau.
En maillant les communes entre elles, nous pouvons mieux sécuriser la ressource en eau potable
Concernant les eaux pluviales, c’est une compétence qui a été transférée par l’état à l’agglomération, donc tout ce qui est sous terre est du domaine de l’agglo, et tout ce qui est aérien, c’est la commune qui le gère. Nous nous concentrons sur les études de diagnostic et de détermination de plans pluriannuels d’investissement pour essayer de diminuer les risques de ruissellement et pour mieux gérer les eaux pluviales urbaines sur l’ensemble des communes de l’agglo.
Au niveau intercommunal, nous avons voté fin 2022 un pacte vert avec un budget de 100 millions d’euros, dont une grande partie est consacrée à l’eau et la sécurisation de l’approvisionnement. En maillant les communes entre elles, nous pouvons relever ce défi. À la suite des inondations de 2018, nous avons également été contraints de connecter, pour les eaux usées, des communes de la périphérie de Carcassonne à la station d’épuration de la ville. Cela nous a conduit à supprimer une quinzaine de stations d’épuration. Nous en profitons pour produire maintenant, à partir d’un méthaniseur connecté à l’usine de traitement des eaux usées de Carcassonne, du gaz vert, véritable énergie renouvelable.
Au-delà, sur le développement des Energies Renouvelables électriques (photovoltaïque), nous avons des projets qui peuvent être portés sur l’ensemble de l’agglomération, soit directement par des développeurs, soit par des sociétés mixtes publiques-privées, avec les communes, avec l’agglo ou la SEM du syndicat d’énergie.
Nous nous engageons également sur un projet alimentaire territorial pour travailler et développer notre souveraineté alimentaire. Au niveau agricole, nous développons également une dizaine de projets d’irrigation, pour les vignes uniquement, sans prélever dans la nappe mais dans des volumes d’eau compensés par les réserves qui sont dans les Pyrénées ou, bientôt, par les retenues collinaires que nous allons créer pour retenir l’eau de pluie.
Que proposez-vous pour lutter contre le gaspillage de l’eau ?
Régis Banquet : Aujourd’hui, on perd en moyenne 1 litre sur 5 en France. Ceci est essentiellement dû à la vétusté de nos réseaux de distribution. Leur rénovation devient essentielle. Au-delà de ces travaux colossaux (chiffrés à 3 Mds € par an pour rattraper notre retard), la pose de capteurs numériques et de compteurs intelligents devient déterminante dans cette lutte contre le gaspillage.
Avec le réseau bas débit que nous déployons sur le département, nous allons permettre à beaucoup d’intercos compétentes en matière d’eau, d’installer tous ces équipements intelligents pour mieux gérer la ressource en eau. Un dispositif qui permettra d’éviter les fuites notamment chez les particuliers. Ces axes d’intervention nous conduiront à revisiter notre modèle économique de l’eau.
Au niveau national, à l’association des intercommunalités de France, nous travaillons beaucoup la question de l’eau, pour aider nos adhérents à mieux appréhender ces « sujets » indispensables à une gestion optimale de l’eau, que ce soit du « trop » avec les inondations ou du « pas assez » avec le stress hydrique. Mais la question à ne pas éluder pour parvenir à une gestion globale de l’eau, c’est d’instaurer un dialogue entre les divers usagers de l’eau et donc évoquer la question du partage, que ce soit pour l’usage domestique, l’usage agricole ou l’usage industriel, afin d’éviter une guerre de l’eau dans les années à venir, qui serait néfaste pour tout le monde.
Il faudra certainement engager un grand plan national, voire européen, pour lutter contre le gaspillage d’eau.
Nous avons de gros chantiers en cours. Même si l’été politique est mouvementé, nous souhaitons que le transfert de la compétence eau soit conforté par notre gouvernement au 1er janvier 2026, afin que les bassins de vie soient à la manœuvre sur la ressource en eau pour sécuriser et alimenter nos concitoyens. Aujourd’hui, un peu plus de 80% des Français est alimenté par une compétence intercommunale et seulement 20% des Français sont alimentés par des communes isolées.
Il faut absolument finir ce transfert pour pouvoir entamer les chantiers colossaux.
Il faudra certainement engager un grand plan national, voire européen, pour lutter contre le gaspillage d’eau, contre les fuites d’eau, avec un renouvellement des réseaux aujourd’hui chiffré à 15 milliards dans les 5 ans à venir. Ce renouvellement est indispensable pour rattraper le retard qui a été pris.
Puis il faudra ensuite lutter contre la pollution, les nouvelles formes de pollution sur l’eau potable c’est-à-dire tous les micropolluants. Nous parlons là aussi de 15 milliards sur les 5 ou 6 prochaines années. C’est donc près de 30 milliards qu’il faudra investir en plus de ce qui est déjà investi aujourd’hui, pour avoir une eau de qualité. Nous devons adopter une démarche vertueuse pour ne plus gaspiller l’eau potable, et nous devons éviter de trop solliciter les ressources dédiées à l’alimentation en eau potable.
La moyenne de gaspillage de l’eau en France est de 1 litre sur 5
Depuis trop longtemps, nous étions dans l’abondance, sans se soucier du gaspillage de l’eau et en laissant les réseaux de distribution se détériorer. Malgré tout, des investissements ont été réalisés dans certains territoires mais dans d’autres endroits cela n’a pas été fait. Concernant la cadence du renouvellement des réseaux, il faudrait l’effectuer tous les 50 ou 60 ans. Depuis 20 ou 30 ans, nous sommes sur un rythme intenable d’un renouvellement tous les 120, 140 ans. On a pris un retard tel que nous avons des réseaux qui fuient à plus de 50% dans certaines communes ! Ce qui signifie qu’à certains endroits on gaspille 1 litre d’eau sur 2, c’est absolument inacceptable.
Nous avons relevé plus de 200 points noirs de ce type en France, ce sont souvent des communes isolées, souvent dans des zones de montagne. Voilà pourquoi il faut investir en urgence pour remédier à ce gaspillage, et mettre en place une solidarité territoriale de façon à bénéficier d’une surface financière suffisante pour supporter les charges d’investissements.
D’autre part, la rareté de la ressource en eau aujourd’hui nous oblige. Le changement climatique nous oblige. Nous n’avons pas d’autre choix que de tendre vers plus de sobriété, nous devons consommer de moins en moins d’eau pour préserver notre ressource, nous devons absolument comprendre qu’un changement de comportement doit être adopté.
Nos concitoyens ont déjà commencé à en prendre conscience puisque, en France, entre 2022 et 2023, nous observons une baisse de consommation d’eau entre 3 et 4%. Sur mon territoire, la baisse de consommation atteint 8%. Nous sommes donc devant un paradoxe, il faut moins consommer, tout en augmentant nos recettes pour assurer de gros investissements.
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Quel est le modèle économique nécessaire à la réalisation de ces travaux et avec quels soutiens ?
Régis Banquet : Il faudra changer de modèle économique autour de l’eau afin de pouvoir garantir, malgré la baisse des ventes, des recettes suffisantes pour alimenter le financement de ces travaux. C’est une équation difficile à résoudre, mais nous travaillons sur plusieurs options : la tarification saisonnière, la tarification progressive, l’augmentation des parts fixes. Nous travaillons sur une boîte à outils pour aider nos intercommunalités, ce travail étant mené avec les grands opérateurs d’eau pour accompagner nos collectivités vers un nouveau modèle qu’il faudra certainement mettre en place dans les années à venir. Un modèle qui devra combiner l’indispensable démarche de sobriété et la garantie d’un certain volume de recettes pour que les territoires puissent réaliser les travaux nécessaires.
L’ambition c’est que chaque bassin de vie soit responsable de son territoire en termes de renouvellement des réseaux.
Il faut anticiper aujourd’hui une véritable reconquête des politiques de l’eau : la solidarité territoriale ne suffira pas, il faudra une solidarité nationale, européenne pour accompagner financièrement nos intercommunalités. Mais à leur échelle, la mise en commun des moyens va permettre la réalisation des travaux ce qui sera une grande avancée pour certaines communes isolées. L’ambition, c’est que chaque bassin de vie, chaque intercommunalité soit responsable de son territoire en termes de politique de l’eau. De grands chantiers nationaux devront être réalisés. Nous aurons besoin d’un partenariat très fort avec toutes les sphères de l’État, les comités de bassin, les agences de l’eau. Nous aurons besoin d’un État fort qui puisse accompagner les territoires en jouant son rôle d’organisateur de ces politiques au niveau national, et chaque territoire devra décliner ses objectifs.
Ces axes d’intervention doivent être accompagnés d’une politique de tarification plus juste et de travaux d’investissements soutenus.
Carcassonne Agglo :
- 83 communes
- 115.000 habitants
- 1.700 agents
- 300 M€ de budget
- Un périmètre qui fait plus de 1.000 km²