Comment les communes littorales gèrent-elles la montée des eaux en France ?
D’ici la fin du siècle, le niveau des océans devrait s’élever d’un mètre, et chaque année, la menace s’accentue. Les habitants de nombreuses communes du littoral sont démunis : 126 communes françaises sont considérées comme prioritaires face à l’érosion côtière, représentant près de 1,4 million de personnes qui pourraient vivre sous la ligne de marée haute d’ici à 2050, de l’Aquitaine aux Hauts-de-France. Quels sont les risques de la montée des eaux en France et comment sont-ils pris en compte par les élus ?
À RETENIR
- Alarme du GIEC sur la montée des eaux : Avec la fonte des calottes glaciaires due au réchauffement, le niveau des océans pourrait s’élever de plus d’un mètre d’ici 2100, menaçant les zones côtières mondiales et françaises.
- 126 communes françaises prioritaires : Identifiées pour leur vulnérabilité à l’érosion côtière, ces communes, majoritairement situées sur les côtes atlantique et de la Manche, doivent adapter leur aménagement du territoire en réponse à cette menace.
- Plans de prévention et cartographie du trait de côte : Les communes concernées élaborent des cartes de l’évolution du trait de côte à 30 et 100 ans, outils essentiels pour anticiper les risques et adapter les règles d’urbanisme, avec un financement étatique de 80 %.
- Solutions locales et innovations : Installation de drains sous les plages, projets comme Algobox pour stabiliser les dunes avec des sédiments et des algues, et incitation à la participation citoyenne pour le suivi des changements côtiers, démontrent une approche multifacette et communautaire face à l’érosion et à la montée des eaux.
L’alarme est tirée régulièrement par le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC : avec la hausse des températures qui provoque notamment la fonte des calottes glaciaires, le niveau des océans et des mers monte inexorablement. Dans ses prévisions, le même organisme estime que les eaux pourraient monter de plus d’un mètre à l’échelle mondiale à horizon 2100. De facto, des grandes villes côtières comme New-York, Copenhague ou encore Rio de Janeiro se retrouvent directement menacées. Tout en sachant qu’aujourd’hui près de 900 millions de personnes vivent à moins de 10 mètres au-dessus du niveau de la mer, le GIEC anticipe à 280 millions le nombre d’habitants qui seraient obligés de se déplacer pour échapper à ce phénomène climatique
Montée des eaux en France : 126 communes déclarées « prioritaires »
Quid de la montée des eaux en France ? Pour répondre à cette question, en 2022, le gouvernement a publié plusieurs chiffres au Journal officiel. En outre, 864 communes tricolores sont « plus particulièrement vulnérables » aux submersions marines, quand environ 1,5 million d’habitants sont déjà exposés à ce risque selon le ministère de l’Écologie. Surtout, au sein de liste – qui doit faire l’objet d’une révision au minimum tous les neufs ans –, 126 communes sont considérées comme «prioritaires » et ont l’obligation de s’adapter en priorité à l’érosion du littoral, aggravée par réchauffement climatique. Dans le détail, la majorité de ces dernières se situent sur la façade atlantique et la côte de la Manche : 41 en Bretagne (dont 23 dans le Finistère), 31 en Nouvelle-Aquitaine et 16 en Normandie. L’outre-mer est également concernée par le décret, les Antilles surtout, avec 13 communes en Martinique, 9 en Guadeloupe et 3 en Guyane.
Cartographie du trait de côte : un outil pour « anticiper le risque »
Pour établir cette liste de communes prioritaires, l’État a procédé en fonction des biens immobiliers et des activités économiques exposés au risque de montée des eaux. Puis, dans un second temps, les mairies ont été sollicitées pour savoir si elles souhaitaient rejoindre, ou non, ladite liste. « C’était un souhait de notre part d’être pris en compte dans le trait de côte quand d’autres villes ont tout fait pour ne pas y être », précise Franck Louvrier, le maire de La Baule, dans les colonnes de Presse Océan. « Au départ, ce n’était pas la vision de l’État, mais nous avons fait pression pour rentrer dans le dispositif », ajoute-t-il, évoquant, en outre, « un projet de refonte de la promenade » pour permettre « que la mer ne rentre pas dans la ville ». Dans le département de Loire-Atlantique, 5 communes figurent sur cette liste : Saint-Brevin-les-Pins, Saint-Nazaire, Assérac, Pornichet et La Baule-Escoublac. Aux communes tricolores qui n’ont encore pas de « plan de prévention des risques littoraux », elles doivent réaliser la cartographie de l’évolution du trait de côte à 30 ans et 100 ans. Deux horizons s’appliquent aussi à la constructibilité des terrains, quand ces cartes peuvent servir de base à de nouvelles règles d’aménagement du territoire, allant jusqu’à des interdictions de construire. À noter : l’État finance à hauteur de 80 % le coût de ces cartographies, jugées comme un outil pour « anticiper le risque » par les élus locaux, à l’instar de Xavier Martin, maire de Trégastel (Côtes-d’Armor).
Se baser sur des « faits et outils scientifiques » pour prendre les « bonnes décisions »
Entre fatalisme et ténacité, les territoires soumis à la menace de la montée des eaux en France s’organisent. À Plœmeur, dans le Morbihan, la commune s’est dotée d’un Plan de prévention des risques littoraux depuis 2014. « Ce PPRL concerne 17 kilomètres de côtes, en particulier un secteur très urbanisé », relate le maire Ronan Loas. « En cas de risque de submersion lors d’une tempête, poursuit-il, notre réserve communale a déjà identifié les habitants et habitations les plus exposés et qu’il faut évacuer. » Ronan Loas explique qu’il se base sur des « faits et outils scientifiques » pour prendre les « bonnes décisions » et « dédramatiser » la situation auprès de ses administrés. En novembre dernier, le maire de Plœmeur a par exemple fait évacuer deux campings (250 personnes) à la suite des préconisations de la préfecture, lors du passage de la tempête Ciaran. En raison du risque d’inondation de la zone côtière à cette période-là, des batardeaux ont été installés dans le secteur de l’anse du Stole et Lomener en Plœmeur. « La vigilance orange vague-submersion avait été confirmée, nous avons donc pris nos dispositions en conséquence. »
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Limiter l’érosion avec des drains sous la plage
Face à la montée des eaux et pour protéger la population, plusieurs communes littorales ont opté pour la pose de drains sous les plages, parallèles au trait de côte et reliés à une station de pompage. Ce système de drainage de l’eau de mer inventé au Danemark a notamment été déployé par La Baule, Saint-Raphaël (Var), Sables d’Olonne (Vendée) ou Merlimont (Pas-de-Calais). « La France est devenue un laboratoire pour mettre en place ces systèmes de drainage sur les trois façades maritimes », explique Christelle Breton d’Ecoplage, société spécialisée dans la gestion des plages, la lutte contre l’érosion du littoral et la valorisation de l’eau de mer. « Le drainage, ajoute-t-elle, assèche l’estran et freine l’érosion de la plage », tout en permettant de « récupérer l’eau de mer parfaitement filtrée issue du drainage pour produire de l’énergie ».
Plœmeur mise sur le projet Algobox
Outre l’installation de digues – structures qui ne suffisent pas toujours pour limiter les assauts répétés des vagues comme sur l’île de Sein –, des communes misent sur le projet Algobox à l’instar de Plœmeur. « Cette solution innovante se matérialise par des casiers faits avec des ganivelles que nous allons installer sur la plage de l’Anse du Stole, présente Ronan Loas. Installés en pied de dune, ces casiers captent le sable transporté par le vent. Le sable s’accumule dans les Algobox et des algues échouées sur le rivage y sont ajoutées pour stabiliser les sédiments. Tout en se dégradant, les algues fournissent des nutriments qui permettent l’arrivée d’une nouvelle végétation, qui à son tour captera le sable et stabilisera la dune. » Algobox a d’ailleurs été présenté aux habitants de Plœmeur en janvier dernier, lors d’une réunion publique sur le thème de la protection du littoral. Si cette commune du Morbihan va investir 4 M€ pour réaménager le Fort-Bloqué – « nous allons décaler l’aménagement de ce secteur d’un ou deux mètres de l’océan, tout en le désartificialisant pour le rendre moins vertical et moins dur » –, Ronan Loas encourage la création d’un observatoire citoyen dédié au suivi des plages. « Avec le dispositif CoastSnap, cette association pourra inviter les promeneurs à prendre des photos selon un cadre et un angle précis pour l’envoyer pour analyse à l’Université Bretagne Sud. Ainsi, chacun pourra être un informateur, à son niveau, pour faire face à la montée des eaux. »