Modélisation d'un paysage intégrant l'eau à la ville pour l'interview d'Iris Chervet, architecte et paysagiste-conceptrice
Publié le 09.07.24 - Temps de lecture : 3 minutes

« Restaurer les écosystèmes, intégrer l’eau aux projets urbains, c’est fondamental »

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Dans une société confrontée à des défis environnementaux croissants, l’architecte et paysagiste-conceptrice Iris Chervet met en lumière l’urgence de repenser l’intégration de l’eau dans les projets urbains. Entretien.

  • L’intégration de l’eau dans les projets urbains est cruciale pour la régulation climatique et la résilience des villes, nécessitant la désimperméabilisation et la réintroduction de végétation.
  • Les projets concrets incluent la rénovation du front de mer à Langrune-sur-Mer et la gestion des risques d’inondation à Saint-Omer, en créant des espaces publics polyvalents.
  • Les principaux freins sont la gouvernance inadéquate, le manque de coopération interdisciplinaire, et la frilosité des élus face aux projets expérimentaux.
  • Les pistes d’action incluent l’organisation de séminaires pour réunir les acteurs, l’expérimentation de solutions sur des terrains prototypes, et une approche pragmatique comme la plantation d’arbres en pleine terre.

Pourquoi pensez-vous que l’intégration de l’eau dans les projets urbains est primordiale ?

Iris Chervet : L’eau revêt une importance cruciale dans les projets urbains, car elle exerce un impact fondamental sur l’environnement et le bien-être des citadins. En réalité, la gestion de l’eau est une préoccupation omniprésente, jouant un rôle majeur dans la régulation climatique et microclimatique en milieu urbain. De plus, elle soulève la nécessité de désimperméabiliser et de réintroduire de la végétation dans les centres urbains afin d’assurer leur résilience à court et moyen termes.

Nous proposons la création d’espaces publics polyvalents agissant comme des zones d’expansion des crues en cas d’inondation.

Vous travaillez beaucoup sur cette thématique de l’eau au sein de vos différents projets. Pouvez-vous nous donner des exemples concrets ?

Iris Chervet : Notre travail met en lumière l’importance de l’eau à travers une diversité de projets, notamment ceux situés en bord de mer. Ces régions côtières sont confrontées à des défis complexes liés à l’eau, tels que l’érosion et la sédimentation. Actuellement, nous sommes engagés dans un projet de rénovation du front de mer à Langrune-sur-Mer en Normandie. Notre objectif est de désimperméabiliser cette zone et de restaurer sa biodiversité, qui est actuellement peu connectée à l’estran. Par ailleurs, nous abordons également la question de l’eau sous l’angle du risque, en adaptant les territoires aux inondations et à la sécheresse. Par exemple, notre collaboration avec la ville de Saint-Omer (Hauts-de-France) depuis notre victoire au concours Europan en 2019 témoigne de cette approche. Bien que Saint-Omer soit située à une trentaine de kilomètres de la côte, son territoire est étroitement lié au littoral et soumis à ses variations (par le marais audomarois notamment). Notre projet vise à restaurer les équilibres naturels de ce territoire, perturbés par les infrastructures de transport qui le fragmentent. Plutôt que de renforcer ces infrastructures aujourd’hui obsolètes, nous proposons la création d’espaces publics polyvalents agissant comme des zones d’expansion des crues en cas d’inondation. Ces espaces offrent également des lieux de promenades au quotidien aux habitants, tout en préservant les activités économiques traditionnelles du territoire fortement lié à l’eau. Ce projet répond ainsi à une multitude d’enjeux, de la gestion des risques à la revitalisation économique, en passant par la restauration de la connexion entre la ville et son environnement naturel, mais aussi aux enjeux de santé publique.

Il y a plein de pistes, mais il faut les expérimenter.

Quels sont les principaux freins à une intégration de l’eau dans les projets urbains ?

Iris Chervet : La gouvernance est pour moi le frein majeur. L’enjeu pour mieux répondre à ces questions liées à l’eau est de trouver des instances capables de réunir tous les acteurs autour d’une table, car cette question se pose nécessairement en tenant compte de l’amont, mais aussi de l’aval. Elle nécessite de travailler à l’échelle d’un bassin versant et non à l’échelle d’un site isolé. Autre frein, le manque de coopération entre les disciplines. Face à la problématique du risque, par exemple, de nombreux appels d’offres ont actuellement recours à la compétence des ingénieurs pour avoir des modélisations qui rassurent les élus. Cette approche est compréhensible, mais elle est insuffisante et elle aboutit à une répétition du schéma d’aménagement très ingénieuriale, donc très technique et pas assez écosystémique. Aussi, il faut un rapprochement très fort entre les compétences d’ingénieur et celles d’ensemblier qui sont les compétences de l’urbaniste, du concepteur. Dernier frein, la frilosité des élus qui souhaitent mettre en place sur leurs communes des projets non pas expérimentaux, mais qui marchent. Or, aujourd’hui, nous ne connaissons pas complètement les solutions. Il y a plein de pistes, mais il faut les expérimenter.


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Quelles sont ces pistes justement ?

Iris Chervet : À Saint-Omer, nous avons par exemple organisé un séminaire sur la thématique de l’eau en réunissant l’ensemble des acteurs du territoire. Pour la plupart, ils ne s’étaient jamais rencontrés auparavant. Le problème aujourd’hui, c’est que nous avons encore du mal à trouver des maîtrises d’ouvrage qui sont capables de tenir ce rôle-là. Autre piste, proposer aux collectivités une expérimentation de différentes solutions sur un terrain donné, une sorte de terrain prototype. Le paysagiste Michel Desvigne a par exemple réalisé une série de jardins prototypes sur le plateau de Saclay, avec différents types de terres ou encore différentes palettes végétales. Certains jardins n’ont pas survécu, mais cette solution permet de tester la fiabilité d’un projet. Au sein de l’atelier, nous tentons de plus en plus de proposer cette approche aux élus, mais, là aussi, nous sommes confrontés à des difficultés de gouvernance et de financement de ce travail de recherche-action.

Face au réchauffement climatique, peut-on malgré tout être optimiste concernant la régénération des écosystèmes et des ressources primaires ?

Iris Chervet : Je suis optimiste, car j’y travaille au quotidien. Restaurer les écosystèmes, intégrer l’eau aux projets urbains, c’est fondamental. C’est un peu la même démarche que la restauration de notre patrimoine bâti. Oui, tout est à réinventer, mais je crois beaucoup au « bon sens paysan ». Par exemple, il faut privilégier la plantation d’arbres en pleine terre, plutôt que les toitures végétalisées. De même, mettre des récupérateurs d’eau de pluie sur l’ensemble des bâtiments est une logique d’économie que tout le monde avait à la campagne il y a encore deux générations.

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Envies de ville, plateforme de solutions pour nos territoires, propose aux collectivités et à tous les acteurs de la ville des réponses concrètes et inspirantes, à la fois durables, responsables et à l’écoute de l’ensemble des citoyens. Chaque semaine, Envies de ville donne la parole à des experts, rencontre des élus et décideurs du territoire autour des enjeux clés liés à l’aménagement et à l’avenir de la ville, afin d’offrir des solutions à tous ceux qui “font” l’espace urbain : décideurs politiques, urbanistes, étudiant, citoyens…

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