Éviter, réduire, compenser : les pistes pour maîtriser l’artificialisation des sols
Disparition de terres agricoles, inondations récurrentes, destruction des paysages naturels… Depuis près d’un siècle, l’étalement urbain conduit à un phénomène inéluctable d’artificialisation des sols et de consommation des espaces naturels à un rythme bien supérieur à la croissance démographique. Dans un dossier spécial sur « l’objectif de zéro artificialisation nette » publié en mai 2021, la Fédération Nationale des Agences d’Urbanisme (FNAU) pose le diagnostic. Morceaux choisis.
En France, environ 600 000 hectares ont été artificialisés ces dix dernières années soit l’équivalent d’un département comme le Var, le Nord ou les Charentes. Si l’ampleur du phénomène est difficilement concevable à l’échelle du pays, aucune transformation de l’espace n’est plus visible que l’artificialisation des sols. Une tendance de fond et de long terme et une nécessité absolue de l’inverser. Si de nombreux dispositifs, plans et lois mentionnent l’objectif de « zéro artificialisation nette », la FNAU appelle désormais à traduire concrètement l’objectif sans pour autant arrêter toutes nouvelles constructions sur des surfaces non-artificialisés, notamment grâce à des opérations de compensation.
Où bâtir pour limiter l’artificialisation ?
La FNAU défend l’idée que le recyclage urbain ne se résume pas à des actions de démolition-reconstruction. Il peut en effet se traduire par la densification d’un site, via une surélévation par exemple, pour intensifier l’usage et optimiser le foncier, ou par la reconversion d’un bâtiment pour modifier son usage tout en préservant son enveloppe bâtie. Cas d’école à Marseille où l’ancien silo à blé d’Arenc labellisé « patrimoine du XXe siècle », après avoir frôlé la destruction, a été transformé en salle de spectacle en 2011. Un « Olympia sur mer » pouvant accueillir 2 000 spectateurs.
À Saint-Étienne, la vallée est caractéristique des territoires postindustriels où les questions de dépollution et de régénération des sols conditionnent de nombreuses opérations et ont donné lieu à de nombreuses expérimentations réussies de reconversion de friches. L’agence d’urbanisme de la région stéphanoise (EPURES) a adopté une méthode de recensement participative avec l’établissement public foncier Epora et la Banque des Territoires pour identifier des sites et recréer des coutures urbaines dans la vallée.
L’agence d’urbanisme Bordeaux Aquitaine (A’URBA) propose quant à elle de s’intéresser de près aux grands formats commerciaux après les friches industrielles, portuaires ou militaires. Un modèle permettant de récréer de la densité en périphérie des villes et d’adapter ces espaces à de nouveaux usages. Les surfaces artificialisées y sont d’ailleurs très fortes et offrent de nombreuses perspectives de construction sur des sols déjà artificialisés. L’agence développe par exemple l’idée d’un fonds permanent spécialement dédié aux friches commerciales. Il serait abondé par l’ensemble des acteurs du grand commerce. Les collectivités locales dont les territoires sont affectés par la présence de friches commerciales seraient éligibles à ce fonds qui aurait vocation à jouer un rôle d’effet de levier face aux coûts de démolition et, le cas échéant, de dépollution.
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Autre alternative étudiée par l’agence d’urbanisme Oise-les-Vallées, la réhabilitation des logements vacants. C’est non seulement l’opportunité de redynamiser les centres-villes mais aussi la possibilité de limiter l’étalement urbain lié à la création de zones pavillonnaires périphériques, insiste l’urbaniste Isabelle Lasternas dans sa contribution. Un obstacle reste néanmoins à lever sur la connaissance des raisons de la vacance (mauvaise qualité des conditions d’habiter, passoire énergétique, habitat en déshérence, problème de succession, désintérêt des propriétaires, manque de moyens pour rénover…). Ce qui implique des réponses et des expertises multiples et donc la nécessité de former des alliances de compétence.
Comment rendre possibles les projets « zéro artificialisation »
Les collectivités sont en pleine réflexion sur l’avenir de leur urbanisme, notamment en raison de la mutualisation des documents d’urbanisme à l’échelle intercommunale. Partout en France, les élus et experts se rassemblent pour créer les conditions favorables à la mise en place des objectifs de protection des sols. Mais attention à ne pas faire preuve de formalisme alerte la FNAU, « un bon document d’urbanisme n’est pas celui qui fixe les hauteurs et les emprises minimales ». L’enjeux est de permettre aux collectivités de se doter des bonnes méthodes d’identification des espaces urbains artificialisés au potentiel de reconversion ou de désartificialisation. C’est tout le travail opéré par l’Institut Paris Région pour la Région Ile-de-France avec la création d’une base commune pour recenser tous les espaces de friche.
Dans la commune d’Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, un groupe d’étudiants de l’École d’urbanisme de Paris mène un travail de réflexion pour proposer une méthode de repérage des espaces artificialisés présentant un potentiel de renaturation, c’est-à-dire de désartificialisation et de végétalisation. Le recensement de ces secteurs se fait à l’aide d’une carte collaborative, complétée par des visites de terrain et les apports de la récente base de données sur le mode d’occupation du sol (MOS) de l’Institut Paris Région. Une fois les bases communes établies, l’adhésion des acteurs de l’aménagement du territoire est indispensable. Pour se faire, le territoire de Marseille-Provence a mis en place des formations par la collectivité et l’agence d’urbanisme de l’agglomération (Agam) auprès des services instructeurs pour leur partager une culture urbaine et architecturale et pour bien leur expliquer les objectifs recherchés. De la friche à la ville de demain, le chemin n’est pas encore défini et bien des acteurs sont à mobiliser et à former pour structurer une nouvelle manière de concevoir l’aménagement du territoire avec plus de sobriété.