Compostage en ville : demain tous acteurs ?
La généralisation du tri à la source des biodéchets en France dès le 31 décembre 2023 : c’est l’ambition portée par la loi anti-gaspillage du 10 février 2020. Ce nouvel impératif de gestion des biodéchets est au cœur des préoccupations actuelles des collectivités locales, et le développement du compostage urbain s’impose comme une solution écologique pour une valorisation durable des déchets alimentaires. Rencontre avec La Tricyclerie, qui depuis 2016 récolte à vélo et composte les déchets organiques des entreprises, restaurateurs et particuliers. Un témoignage éclairant sur cette pratique qui va se généraliser dans les prochaines années.
Au lancement de votre activité, en 2016, vous étiez l’une des seules structures en France à proposer le ramassage et le compostage de déchets organiques à vélo au service des entreprises et des professionnels de la restauration. Comment avez-vous identifié ce besoin ?
À l’origine de la création de La Tricyclerie, nous souhaitions proposer une solution concrète pour rendre notre ville de Nantes plus résiliente. Et très vite un constat s’est posé : il n’existait aucune offre pour les restaurants nantais leur permettant de recycler leurs déchets organiques. Sachant que pour un restaurateur, ils représentent environ deux tiers des déchets produits quotidiennement, ce qui n’est pas négligeable, il fallait que l’on soit capable de proposer une solution de tri efficace. On s’est d’ailleurs très vite rendu compte que les restaurateurs intéressés par le concept étaient souvent ceux qui agissaient déjà à leur échelle individuelle et qui pratiquaient le compostage chez eux. Or, dans leur milieu professionnel, ils étaient très frustrés de ne pas avoir de solutions pour gérer leurs déchets. Cette question du compostage est donc apparue comme une évidence tellement le besoin était omniprésent.
Allier à cette démarche le vélo, comme outil logistique permettant la récolte des biodéchets, était pour nous primordial. En centre-ville dense, comme à Nantes, il est l’un des meilleurs outils : il répond aux problématiques d’encombrement et de circulation en étant plus mobile et flexible qu’un camion, tout en proposant une solution non polluante. Il est vrai qu’à l’échelle d’une ville, il faut également savoir adapter les moyens de collecte pour pouvoir être en totale cohérence avec nos objectifs environnementaux. D’autres structures ont déjà fait ce choix d’allier récolte des déchets organiques et pratique du vélo, une combinaison vertueuse et logique, nous sommes donc loin d’être une exception.
En 5 ans d’existence, observez-vous une augmentation des demandes ? La question du compostage est-elle en train de devenir centrale dans la gestion des déchets en ville ?
Nous avons toujours eu de nombreuses demandes de la part de restaurateurs pour s’engager avec nous. Le besoin était réel et, à l’origine, nous étions les seuls à proposer un service comme celui-ci. Il est vrai que la problématique de la gestion des déchets, notamment organiques, est devenue aujourd’hui une question “à la mode” auprès d’un plus large public. De plus en plus, le compostage entre dans les habitudes quotidiennes. Avec le confinement, chacun a pu se rendre compte de sa propre production de déchets de façon très concrète. C’est d’ailleurs à ce moment que nous avons choisi de mettre en place une collecte dédiée aux particuliers, même si la demande existait depuis longtemps.
Après, il est certain qu’il reste encore beaucoup de croyances, de peurs autour du compostage. On entend encore souvent dire que ce n’est pas propre, qu’il provoque des odeurs. Il y a donc un vrai travail de sensibilisation et de pédagogie à faire auprès des habitants. En plus du support logistique de récolte, nous cherchons régulièrement à expliquer comment cela fonctionne, de manière décomplexée et accessible.
L’ensemble des déchets organiques ramassés ont vocation à être transformés en compost. Mais concrètement, en centre-ville, comment s’y prend-on ?
Le bout de la boucle du tri des biodéchets, c’est-à-dire le compostage, n’est pas forcément la partie la plus simple. Chaque mois, avant le confinement, nous récoltions sur Nantes environ 7 tonnes de déchets organiques. Pour faciliter notre logistique, nos sites de compostage sont situés en centre-ville. Le challenge est donc de les trouver : il existe en ville des friches qui peuvent être utilisées par exemple. Aujourd’hui, nous travaillons avec une ferme urbaine qui accueille nos déchets. Le compost que nous produisons y est testé pour obtenir le droit d’être utilisé en agriculture biologique.
Sur les 7 tonnes de déchets récoltés mensuellement, nous produisons 2 tonnes de compost. Il nous est important que ce compost créé profite aussi bien aux maraîchers et maraîchères de la périphérie de Nantes qu’aux terres du centre-ville, moins riches, qui ont réellement besoin de ce compost. Dans cette logique, de vraies synergies locales existent et sont à développer pour redistribuer au mieux localement le compost.
Comment les collectivités peuvent participer à la généralisation de la récolte des biodéchets ?
D’ici 2023, les collectivités seront légalement obligées de proposer des solutions de ramassage de déchets organiques pour tous les producteurs, particuliers ou professionnels. Leur intérêt est donc de s’y intéresser dès maintenant et de fait de mobiliser des acteurs comme nous, qui travaillons sur cette question depuis déjà plusieurs années. Certaines villes ont d’ailleurs pris les devants : à Besançon, dans des communes en Vendée, tous les particuliers ont déjà une poubelle de tri pour leurs déchets organiques. La preuve concrète qu’il est possible de généraliser le compostage à l’échelle d’une ville.
Mais avant de mettre en place des solutions pour tous, les villes peuvent également proposer des mesures incitatives, comme par exemple réduire les factures de ramassage des déchets pour ceux qui trient et produisent moins de déchets. Ce sont des changements structurels qui ne sont pas forcément simples à mettre en place pour les villes et qui demandent du temps. Les structures comme les nôtres peuvent faire levier dans ce sens.
Aujourd’hui, beaucoup de structures de collecte et de gestion de déchets organiques se sont créées un peu partout en France. Notre objectif est d’être en lien avec chacune d’entre-elles, afin de faire poids pour faire changer les pratiques. Un besoin est présent et il est de plus en plus urgent d’y répondre collectivement.
Finalement, le compostage ne peut-il pas être un moyen de reconnecter les différentes personnes participant au cycle de vie d’un produit alimentaire ?
C’est tout à fait la démarche que nous engageons au quotidien. Nous voyons notre travail comme la participation à une boucle vertueuse de l’alimentation. Notre action autour de la gestion des biodéchets permet de connecter les restaurateurs et les particuliers aux agriculteurs. En ville, nous sommes souvent déconnectés de la provenance de nos légumes. Avec le compostage, nous cherchons à recréer du lien entre les clients, les restaurateurs et les agriculteurs ou les fermes urbaines des alentours. Pour cela, nous animons des ateliers mettant en relation ces différents acteurs et les bénévoles pour réfléchir ensemble à des solutions efficaces, dans le but de lutter contre l’incinération des déchets organiques. Au-delà d’être une richesse pour nos terres, le compost développe de nouveaux liens entre les différents métiers de l’alimentaire, dans une logique de création de réseaux durables.