La ville est-elle accessible à tous ?
Adapter nos villes est un défi de taille pour répondre aux besoins de populations urbaines de plus en plus nombreuses : se déplacer librement, respirer un air sain, ou accéder aux services qu’elles offrent. L’un des objectifs pour le développement durable des Nations-Unies engage les villes à être ouvertes à tous, résilientes et durables. Concrètement, comment penser l’accessibilité universelle en ville ?
La ville inclusive doit d’abord s’adapter aux publics empêchés. En France, c’est la loi pour l’égalité des droits et des chances du 11 février 2005 qui garantit la solidarité de la société entière à l’égard des personnes en situation de handicap. Des initiatives accélèrent ainsi le changement, comme le projet PANAMMES (2010-2015) porté par Streetlab et l’Institut de la Vision.
Chloé Pagot, docteur en ergonomie revient sur cette expérimentation conçue avec l’autorisation de la mairie de Paris pour équiper une partie du XIIème arrondissement en matériel dédié à l’accessibilité des personnes non ou malvoyantes : “sur proposition d’industriels, nous avons testé dans un périmètre situé entre la gare de Lyon et la Place de la Bastille, des bandes podo-tactiles sur les trottoirs, de nouveaux passages piétons, des balises sonores dans des stations de métro en lien avec la RATP mais aussi l’éclairage urbain de nuit”.
Un travail poursuivi avec la Société du Grand Paris dès 2015, avec l’équipement de stations de métro ou de gares, “avec un effort particulier sur l’accessibilité en termes d’éclairage, d’informations, de repérage dans l’espace”. Car du chemin reste à parcourir pour atteindre l’objectif fixé par la région Ile-de-France de rendre accessibles 268 gares et stations aux personnes à mobilité réduite en 2024 (contre 148 sur 448 aujourd’hui).
Un meilleur bien-être pour l’ensemble des usagers en ville
Justement, 2024 se profile à l’horizon et c’est l’occasion de concevoir le Village des Athlètes des Jeux de Paris en “accessibilité universelle”, en intégrant tous les publics en plus de la mobilité. D’autant que ce quartier central lié à l’événement sportif mondial sera, dès la fin des compétitions, transformé en nouveau quartier mixte pour les habitants de Saint-Ouen. “Cela permettra de rendre ce nouveau territoire accueillant pour les malentendants, les malvoyants, les personnes âgées ou encore les femmes enceintes”, témoigne Valérie Dumont, urbaniste à l’agence CoBe et en charge de la coordination architecturale du Village des Athlètes.
Ce projet exemplaire d’aménagement pourrait inspirer bien des promoteurs et des communes pour améliorer l’accessibilité en servant de laboratoire de bonnes pratiques grandeur nature. Car au final, en travaillant sur le plus petit dénominateur commun, on contribue à un meilleur bien-être de l’ensemble des usagers. “Il existe des déficiences qu’on ne soupçonne pas !” souligne Valérie Dumont : la personne qui porte ses sacs de course, l’assistante maternelle avec une poussette quatre places, les enfants qui n’ont rien d’adapté à leur hauteur…
Penser l’accessibilité dès la conception
L’enjeu ? Coupler aux installations d’accessibilité (hard) le nécessaire côté humain (soft). Pour y parvenir, le groupement en charge de la réalisation du secteur E du village des Athlètes, à Saint-Ouen, a missionné l’agence Mengrov afin de réaliser un carnet d’inspiration à l’accessibilité universelle pour le mobilier, l’agencement ou encore la signalétique du lot E du village : “On y parle de communication non verbale, grâce à des pictogrammes, de la signalétique inclusive, du son, de la médiation avec les habitants”, précise Céline Varenne Souchon, fondatrice et designer stratégique.
Pour réussir l’exercice, il a fallu s’émanciper de la norme handicap dans le secteur de la construction et de l’aménagement, qui est un guide formel indispensable mais qui s’avère “parfois un peu enfermante” pour Mengrov, et “qui n’arrive qu’en toute fin de projet” selon l’agence CoBe. Une nouvelle méthode de travail a ainsi été entreprise, bien plus en amont. “Nous avons d’abord réalisé une enquête de terrain auprès de personnes en situation de handicap : malvoyants, paraplégiques, plusieurs athlètes handisports…”, précise Céline Varenne Souchon. “Ces entretiens avec des personnes concernées et sachantes sont extrêmement enrichissants pour le projet, complète Valérie Dumont. Nous devons penser l’accessibilité dès la conception afin qu’elle soit complètement intégrée”.
Faire bénéficier à tous une ville plus inclusive
La co-construction avec les parties prenantes puis la mesure d’impact sont donc des outils indispensables à l’accessibilité. “Nous n’en sommes qu’au début de la compréhension des apports de l’accessibilité universelle. Une fois qu’on aura prouvé le bien être que cela apporte à une ville ou un quartier, cela va éveiller le regard sur la différence et sur l’autre”, espère Céline Varenne Souchon.
“Les grands halls peuvent être intimidants pour des personnes avec des problèmes psychiques”
“Ce Village doit être une vitrine exemplaire, tant pour les publics qui vont le fréquenter que pour les futurs usagers des logements d’habitation. Pour nous, la sensibilisation des publics est tout aussi importante que les instruments de guidage. Par exemple, les grands halls peuvent être intimidants pour les gens avec des problèmes psychiques. Nous avons proposé la création de parcours, en travaillant avec le toucher, des repères visuels, des matières qui créent des espaces dans l’espace. On a même évoqué la médiation par l’animal pour rendre la ville plus facile à vivre. L’objectif ? Offrir un panel de possibilités à l’usager qui les utilisera en fonction de son état d’esprit dans sa journée ou dans sa vie.”
Céline Varenne Souchon, agence Mengrov