L’échelle locale, laboratoire de la démocratie participative ?
Concertations entre voisins, conseils citoyens… Qu’il s’agisse de l’évolution de leur quartier ou des grands travaux d’aménagement urbain, les Français veulent avoir leur mot à dire. Se dirige-t-on demain vers une politique d’aménagement du territoire de plus en plus participative ?
Si l’expression “démocratie participative” n’a vu le jour qu’au milieu des années 1990, l’idée d’une participation citoyenne aux processus de décision politique est beaucoup plus ancienne. Elle s’est généralisée après les grands mouvements sociaux de mai 1968 en opposition à la démocratie représentative. À l’époque, les citoyens revendiquent le fait d’être associés à l’exercice du pouvoir. Alors que la première fonction de l’État est d’aménager le territoire, certains élus décident d’expérimenter une forme de démocratie participative autour de la question des ressources naturelles et de la planification de la ville. La discussion, l’échange avec les Français et cet effort de décentralisation doivent permettre aux élus qui s’en saisissent de gagner en légitimité.
Paradoxalement, alors que les Français se déplacent de moins en moins lors des scrutins et se retirent progressivement de la vie démocratique classique, ils sont de plus en plus nombreux à vouloir être consultés. Le mouvement des “gilets jaunes”, inédit par sa constance à travers le pays, a matérialisé la volonté d’une partie des Français de bénéficier de nouveaux outils démocratiques.
Donner à chaque citoyen les moyens de s’exprimer
La démocratie participative a d’abord pris des formes très diverses, en dehors de toute obligation légale : comités de quartier, consultations citoyennes, conseils de jeunes… Le concept de démocratie participative renvoie également à des actions spontanées provenant des membres de la société civile et visant à prendre la parole dans l’espace public afin d’interpeller les autorités, comme les manifestations et les occupations. Il repose sur l’idée que le pluralisme est indispensable au bon fonctionnement démocratique. Dès la fin des années 1960, les villes sont progressivement devenues le lieu d’expérimentation d’une gouvernance ouverte à la participation citoyenne. Dans certaines d’entre elles, des dispositifs participatifs visant à associer les citoyens aux processus de décisions ont été mis en place. À Lille par exemple, l’atelier populaire d’urbanisme a vu le jour dès 1979 pour défendre ses habitants et construire “une ville à nous”.
Progressivement, certains dispositifs de démocratie participative sont devenus obligatoires. Les communes réalisant des aménagements, ouvrages ou travaux pouvant porter atteinte à l’environnement ou le modifier de manière significative sont désormais tenues de réaliser une enquête publique auprès de leurs habitants. Cette enquête s’assure que les intérêts du public ont bien été pris en compte et qu’il est informé des changements à venir. Tout citoyen est alors en mesure de présenter des observation favorables ou non au projet. Il peut également faire des suggestions et des contre-propositions. En région parisienne, l’aménagement de la Porte de Montreuil, qui prévoit une modification importante du paysage, a ainsi été soumis à une enquête publique réalisée durant l’été 2019.
Pour les projets d’aménagement du territoire de grande ampleur dépassant les 300 millions d’euros, une commission nationale du débat public est obligatoire. Qu’il s’agisse d’un projet autoroutier, d’une ligne de TGV ou de la construction d’un aéroport, cette commission doit permettre de faire participer le public et remporter son adhésion. C’est d’ailleurs l’absence de dialogue avec les citoyens sur les grands projets d’aménagement du territoire qui est souvent considéré comme la cause principale des conflits. À Sivens comme à Notre-Dame-des-Landes, l’opinion publique a découvert une nouvelle forme de contestation, la ZAD (zone à défendre). Les politiques ont alors constaté que les aménagements, s’ils ne rencontrent pas l’adhésion du grand public, peuvent tourner au cauchemar, raison pour laquelle il est indispensable de remettre le dialogue au cœur des grands projets publics.
La révision constitutionnelle de 2003 a permis de consacrer plusieurs dispositifs de démocratie participative. Premièrement, le droit de pétition des citoyens locaux : les habitants ont désormais la possibilité de demander l’inscription à l’ordre du jour d’une question relevant de la compétence de la collectivité locale. Ce droit est cependant relativement limité : l’assemblée n’est pas tenue d’examiner la pétition et encore moins d’y donner suite. La réforme a également permis au conseil municipal et au maire d’avoir recours au référendum local, un référendum plébiscitaire. Tout projet relevant de la compétence de la commune et de son élu peut ainsi être soumis aux citoyens : implantation d’éoliennes, changement du nom des habitants… Pour que le projet soit adopté, la moitié des électeurs doit avoir pris part au scrutin et il doit avoir réuni au moins la moitié des suffrages exprimés. Ces deux mécanismes n’ont pas connu l’effet escompté et sont, dans les faits, rarement utilisés.
Les limites de la démocratie participative
Problème, la complexité des démarches administratives décourage parfois les acteurs qui souhaitent faire participer les citoyens. Or, les différents dispositifs existant reposent quasi exclusivement sur la bonne volonté des pouvoirs publics qui peuvent avoir tendance à monopoliser le débat, selon le chercheur et maître de conférence à l’université de Lille Julien O’Miel. Les citoyens demandeurs de plus d’initiatives citoyennes regrettent le fait que les mécanismes de démocratie participative directe ou indirecte soient aussi cadenassés.
Autre difficulté majeure, la nécessité de mettre tout le monde d’accord. La multiplication des concertations ne permet parfois pas aux projets de voir le jour. Les maires, qui doivent prendre le poul de toutes les parties prenantes sont de plus en plus amenés à jouer le rôle complexe de chef d’orchestre. À eux de s’assurer de la cohérence des aménagements dans leur ville.
Enfin, les expérimentations menées montrent que les assemblées mobilisent souvent les mêmes personnes et ont du mal à se faire une place dans les milieux populaires. Seule une partie des acteurs s’exprime, celle qui se sent assez légitime pour prendre la parole.
La multiplication des consultations
Depuis quelques années, des formes de participation citoyenne plus “légères” se multiplient. Les consultations à l’initiative du gouvernement ou des parlementaires font partie de l’arsenal des outils participatifs les plus en vogue : Consultation citoyenne sur les retraites en 2018, Grand débat national en 2019, Convention citoyenne pour le climat ou encore consultation sur l’après-Covid en 2020… Si les conclusions de ces réunions entre membres de la société civile ne sont pas toujours suivies à la lettre, elles ont prouvé “leur efficacité quand il s’agit de résoudre des dilemmes politiques qui requièrent un consensus minimal et une forme de compromis” selon Claudia Chwalisz, experte des questions de participation citoyenne à l’OCDE.
Certaines communes se montrent également très volontaires à ce sujet. Selon le sociologue Loïc Blondiaux, c’est à l’échelle municipale que la démarche participative se diffuse le mieux, souvent à l’initiative des élus locaux. Dans la Drôme, le village de Saillans a expérimenté depuis 2014 une gouvernance participative et collégiale. Un quart des adultes a participé à des commissions et des groupes de travail. À Grenoble, le maire écologiste Eric Piolle avait lancé en 2014 plusieurs expérimentations permettant aux Grenoblois de s’impliquer dans la vie politique de la commune, qui ont montré des résultats contrastés. Malgré tout, 25% des participants aux différentes votations ne sont pas inscrits sur les listes électorales selon la mairie. Ces outils permettent donc à minima d’aller à la rencontre des habitants mais aussi des publics qui ne sont pas convaincus par les scrutins traditionnels.
Le principe du budget participatif, mode de gouvernance qui permet de répondre à la crise de confiance entre citoyens et décideurs connaît, lui aussi, un essor sans précédent, note la fondation Jean Jaurès. En règle générale, il représente 5% du budget d’investissement de la ville. Tous les habitants peuvent y participer, qu’ils aient ou non le droit de vote (mineurs, étrangers…). Si le montant alloué en moyenne par Français est encore restreint (6,50 euros en moyenne), il peut atteindre des sommes importantes dans les grandes métropoles : jusqu’à 45 euros par Parisien dans la capitale.
L’essor des consultations numériques
De nombreuses villes et communes ont également choisi d’enrichir leurs modes de consultation traditionnels par des consultations numériques. Sondages, pétitions, de consultations diverses et variées, les outils numériques permettent de favoriser la contribution des Français qui ne se déplaceraient pas forcément dans les instances de démocratie participative, notamment les jeunes.
Les civic tech (civic technologies) désignent les outils technologiques visant à faire participer les citoyens et incluent de nombreuses solutions dont le but est d’améliorer le fonctionnement démocratique. A Marseille, Lille, Grenoble ou encore Laval, la plateforme de médiation urbaine Débatomap (ex-Carticipe) encourage les citoyens à prendre part aux débats sur l’urbanisme. De nombreuses villes ont également recours à la solution logicielle TellMyCity qui permet aux habitants de féliciter une initiative ou de suggérer une idée.
A Paris, la ville vient tout juste d’interroger ses habitants sur les évolutions qu’ils souhaiteraient appliquer au Plan Local d’urbanisme (PLU) pour faire face au changement climatique : souhaitent-ils favoriser la faune et la flore ? Rendre l’utilisation de matériaux bio-sourcés obligatoire ? 3360 internautes se sont exprimés sur la plateforme numérique de la ville dédiée aux campagnes participatives. Malgré tout, l’impact du numérique ne doit pas être surestimé : selon le Conseil d’Etat, il tendrait à reproduire les biais et inégalités observés dans les consultations traditionnelles.
De nombreuses solutions ont été mises en place pour favoriser l’inclusion et la prise de décisions des citoyens à l’échelle locale. Alors que les Français veulent pouvoir s’exprimer et peser sur les décisions politiques, les expérimentations participatives sont toujours plus nombreuses. L’essor du numérique a permis de faciliter la participation des membres de la société civile à grande échelle.