Accès aux droits fondamentaux : Lyon,quelle place pour les institutions sociales dans la ville d’aujourd’hui ?
Publié le 19.06.24 - Temps de lecture : 5 minutes

Accès aux droits fondamentaux : quelle place pour les institutions sociales dans la ville d’aujourd’hui ?

À RETENIR

  • L’accès aux droits et aux services publics est crucial dans nos sociétés démocratiques, mais les plus vulnérables perçoivent souvent les institutions comme des adversaires, rendant leur accès aux droits difficile.
  • Initié par une étude sur le non-recours aux droits, ce projet vise à garantir l’accès aux droits existants en combinant culture et bien-être, en partenariat avec la Fondation Nexity et divers acteurs locaux.
  • Le bouclier social garantit l’effectivité des droits, y compris l’accès à des activités culturelles et sportives. Le projet inclut des visites accompagnées de musées et des ateliers de bien-être, aidant les femmes précaires à se ressourcer et à retrouver confiance en elles.
  • La collaboration entre la Ville de Lyon, la Fondation Nexity et d’autres acteurs a permis de mutualiser les expériences et de valoriser les missions de service public, créant des synergies et des initiatives innovantes. Les bénéficiaires ont exprimé une grande satisfaction, soulignant l’importance de ces actions pour leur bien-être et leur inclusion sociale.

 

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L’accès au droit et à l’exercice des droits constitue l’un des fondements de nos sociétés démocratiques. Depuis une trentaine d’années, l’accès aux services publics et aux droits s’est constitué en véritable priorité politique dans la plupart des domaines : accès aux droits sociaux, accès au logement, accès à la justice. Les citoyens les plus démunis et les plus vulnérables ont une perception du droit et de la justice souvent négative, les institutions étant majoritairement envisagées comme des adversaires et non comme des ressources potentielles pour défendre leurs propres intérêts. Pour accompagner les plus fragiles, de plus en plus de collectivités mettent en place des projets visant à lutter contre le non-recours aux droits et à favoriser l’accès aux droits fondamentaux, comme ce projet « Femmes, bien-être et culture » porté par la Ville de Lyon et détaillé par Sandrine Runel, adjointe au maire de Lyon en charge des Solidarités et l’inclusion sociale.

Quelle est la genèse de la démarche qui a abouti au projet « Femmes, bien-être et culture »?

Sandrine Runel : Nous avions déjà travaillé sur un premier projet de mise en place d’un baromètre du non-recours aux droits en 2021. Le baromètre du non-recours aux droits est une démarche partenariale scientifique qui interroge à l’échelle d’un territoire les situations de non-recours. Portée par la Ville de Lyon et son Centre Communal d’Action Sociale (CCAS), en lien avec la Métropole de Lyon, cette démarche s’appuie sur un réseau d’acteurs institutionnels et associatifs, sensibilisés aux problématiques du non-recours et aux enjeux du territoire. Situé à Grenoble, l’Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore) garantit la méthodologie en tant que partenaire scientifique et la Fondation Nexity soutient financièrement le projet. La Fondation nous a accompagnés dans cette démarche, à la fois par un financement mais aussi par la présence de Julie Montfraix au sein du comité de pilotage.

1 personne sur 5 en situation de non-recours avéré.

Pendant deux ans, nous avons mené une étude sur deux arrondissements à Lyon, le 7e et le 8e, dans des centres sociaux, des MJC, dans la rue, avec l’objectif de pouvoir mesurer la difficulté des gens à accéder à leurs droits. Les connaissaient-ils ? Pourquoi ne les mobilisaient-ils pas ? Était-ce trop compliqué, parce qu’ils n’arrivaient pas à faire les démarches administratives, parce qu’ils n’y pensaient pas ou ne savaient pas que cela existait ? De ce premier travail mis en place dans le cadre du baromètre du non-recours, nous avons tiré trois enseignements majeurs :

  1. À partir d’une palette de droits très large (droit au logement, droit aux prestations monétaires, droit à la culture, droit aux loisirs, droit à la santé, droits à l’alimentation, et tous les droits fondamentaux) nous sommes arrivés à la conclusion qu’une personne sur cinq était en situation de non-recours avéré.
  2. En analysant les causes du non-recours, il est apparu que la non-connaissance, la non-demande, la non-proposition en constituent l’essentiel.
  3. Certains ne souhaitaient pas forcément une aide monétaire mais attendaient que d’autres droits soient mobilisés, des droits élémentaires comme les loisirs, la culture, le sport.

En fait ils s’interdisaient complètement tout ce qui leur était accessible, pensant que s’ils ne bénéficiaient pas des prestations sociales, s’ils n’arrivaient pas à se nourrir correctement, il était inimaginable d’envisager une sortie sportive ou culturelle. C’est à partir de l’ensemble de ces résultats que nous avons mis en place un bouclier social.


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Le bouclier social fait-il partie des dispositifs qui facilitent l’accès aux droits fondamentaux dans la ville d’aujourd’hui ?

Sandrine Runel : Oui absolument. Ce bouclier social garantit l’effectivité des droits, on ne crée pas de nouveaux droits on garantit que les droits existants sont mobilisés et accessibles. Les retours des usagers confirmaient à quel point le fait pour eux d’aller au théâtre ou de faire du sport était totalement superflu. Leur problématique majeure c’est de remplir leur panier donc ils ne se posaient jamais cette question. Ils pouvaient y penser a minima pour leurs enfants mais pour eux, ils pensaient vraiment que c’était impossible, ils se l’interdisaient.

Un projet qui allie l’ouverture à la culture et la dimension « prendre soin »

Nous avons alors développé cette idée de bouclier social, avec plusieurs axes dont un autour des loisirs et de la culture, avec par exemple l’accès aux piscines que nous avons déclenché l’année dernière, avec des entrées gratuites pour les familles repérées par nos services, l’accès à la patinoire ou à la bibliothèque, avec l’automatisation de la délivrance des cartes de bibliothèque qui étaient déjà gratuites pour les moins de 18 ans. Puis nous avons travaillé l’axe culture avec ce projet de favoriser l’accès au musée pour les publics en situation précaire, et surtout de les accompagner, avec l’idée d’allier l’aspect culturel et l’aspect bien-être.

Julie Montfraix de la Fondation Nexity m’avait parlé d’un projet similaire qu’elle avait soutenu et accompagné à Saint-Denis, basé sur les mêmes principes de culture et de bien-être. Nous avons donc demandé au musée d’art contemporain d’imaginer un projet qui permettait à des femmes d’entrer au musée en étant accompagnées sur le parcours artistique mais aussi de pouvoir bénéficier d’un temps pour elles, un temps qui leur est dédié, sans les enfants, avec des ateliers bien-être comme des cours de yoga. Il était essentiel de conjuguer le côté « prendre soin » et l’aspect ouverture à la culture dans ce même projet.

La considération de nos actions est essentielle parce qu’elle crée beaucoup de synergies avec les différents acteurs

Quels sont les apports de la co-construction de projets entre une collectivité, un mécène privé comme la fondation Nexity et les différents acteurs comme les associations et les institutionnels ?

Sandrine Runel : Travailler avec une fondation comme la Fondation Nexity a été aussi intéressant qu’enrichissant, cela nous a permis de bénéficier d’autres expériences réalisées sur d’autres territoires. À la mairie de Lyon, notre plan de mandat fixe de façon claire le cap de notre action et les objectifs à atteindre, et le fait de travailler avec une fondation nous permet d’assurer une sorte de « benchmark » en mode accéléré sur les différentes initiatives, bonnes idées, bonnes pratiques qui peuvent nous inspirer. Nous essayons ensuite d’adapter et d’améliorer chez nous tout ce qui a fonctionné ailleurs, et à ce titre, cet accompagnement a été très efficace et très utile. Et puis ça valorise également le soutien financier que peuvent apporter les fondations privées, y compris pour de grandes collectivités, pour impulser des projets innovants. C’est aussi un enjeu de reconnaissance des missions de service public et des équipes qui les mettent en œuvre. Les équipes du Musée d’Art Contemporain étaient très touchées qu’une fondation s’intéresse à ce projet d’aider des femmes en situation précaire. Au-delà de l’aspect financier qui n’est pas neutre bien sûr, mais la considération de nos actions est essentielle parce qu’elle a valeur d’exemple et crée par ailleurs de multiples synergies avec les différents acteurs.

Itw Sandrine Runel. Accès aux droits fondamentaux : Lyon,quelle place pour les institutions sociales dans la ville d’aujourd’hui ?

Comment les femmes concernées ont-elles vécu cette journée au musée ?

Sandrine Runel : Elles ont adoré ! Le 6 juin dernier, les femmes accompagnées par l’association « Habitat et humanisme » ont été accueillies chaleureusement au Musée d’Art Contemporain (MAC) de Lyon par Isabelle Bertolotti, directrice générale du MAC, Julien Némoz et moi-même. Après un accueil petit déjeuner, les femmes présentes ont pu déambuler dans la salle abritant une fresque géante de 140 m de long de l’artiste Sylvie Selig et admirer ses personnages mixant broderies sur textile, peintures, dessins et sculptures. À l’abri dans le « living » du musée, elles ont pu bénéficier de soins dans le cadre de la partie socio-esthétique du projet. Elles ont pu prendre soin d’elle pendant 1h30 avec une sélection de soins, gommage, masque, hydratation et secrets de beauté, auxquels elles ne peuvent quasiment jamais avoir accès. Les femmes sont sorties ravies de cet atelier, et les expressions de leur enchantement résonnaient : « Enfin du temps pour moi, rien que pour moi », « je me sens mieux, je me sens belle » « j’aimerais refaire un atelier comme ça ». Des phrases qui racontent à elles seules le succès de cet atelier, et de ce projet en général. Pour finir cette journée en beauté, nous avons partagé un repas au restaurant avant une visite guidée de l’exposition de Tereza Bušková qu’elles avaient rencontrée lors d’une pré-séance de présentation du programme et qui avait partagé sa passion pour la cuisine et son art avec elles.

Ce programme a apporté une réponse à plusieurs problématiques, il a redonné confiance à ces femmes, il a permis aussi aux équipes du musée d’apprécier cette adhésion à leur programmation de la part d’un public précaire, ce qui est une belle reconnaissance de leur travail, ce temps d’émancipation et d’accès aux droits fondamentaux a rempli beaucoup d’objectifs.

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