Publié le 07.04.20 - Temps de lecture : 3 minutes

« Demain, il faudra s’appuyer sur les dynamiques de solidarités qui ont pris racine pendant l’épidémie »

Le jour d’après est une série d’interviews et de tribunes qui portent un regard sur les enseignements que nous pourrons tirer, demain, de la crise sanitaire que nous vivons actuellement. Quels nouveaux besoins, quels nouveaux usages et relations sociales s’organisent dans ce contexte sans précédent ? Comment les initiatives positives créées par cette situation inédite peuvent-elle constituer des enseignements durables pour plus d’urbanité et une meilleure qualité de vie en ville ? Urbanistes, sociologues, géographes, architectes, mais aussi start-upper nous éclairent de leurs regards multiples sur l’urbanité bousculée que nous vivons aujourd’hui, pour inspirer durablement celle de demain.

Experts, observateurs , usagers de la ville, si vous souhaitez participer à la série #Lejourdaprès, écrivez-nous sur contact@enviesdeville.fr.

Léa Mestdagh est chercheuse associée au centre de recherche sur les liens sociaux et spécialisée en sociologie urbaine et sociologie des pratiques culturelles*. Elle a notamment travaillé sur les liens sociaux créés via les jardins partagés. Elle nous parle de ce que révèle ce contexte inédit de confinement en termes de liens sociaux et de solidarités.

Avec la crise en cours, et notamment les mesures de confinement, nous voyons se développer de plus en plus de liens sociaux de proximité et notamment des liens de solidarité. Est ce que vous pensez que cela puisse perdurer après la crise ?

Il m’est difficile de vous répondre quant à un développement de ces liens sans l’avoir évalué. Il me semble que le lien social, au sens que lui donne Serge Paugam, apportant protection et reconnaissance aux individus, était déjà présent dans le corps social à un niveau intra-individuel. Le phénomène de ces dernières décennies en termes de lien social me paraît davantage être le relâchement des liens collectifs et institutionnels de solidarité. Nous voyons avec la crise actuelle du Covid-19 que des initiatives à l’échelle locale tentent de compenser cette déperdition. Il faut espérer que la sortie de crise soit l’occasion de rediscuter les choix politiques qui ont conduit à cette situation, pourquoi pas en s’appuyant sur les dynamiques locales qui auront pris racine pendant l’épidémie.

Au-delà de la solidarité nationale, on observe que l’échelle de la résidence collective devient de plus en plus prégnante. On voit notamment des voisins s’entraider, ou même organiser des activités en commun, tout en conservant la distanciation sociale nécessaire, alors que bien souvent le lien entre voisins apparaissait auparavant comme inexistant en ville. Qu’en pensez-vous ?

Il me semble que la solidarité existait en ville mais qu’elle était davantage affranchie de considérations géographiques. Il est possible que les pratiques sociales des citadins et des citadines s’étant resserrées sur leur domicile, elles fassent émerger de nouvelles interactions axées sur la proximité. Il faudrait toutefois nuancer cette analyse en la croisant avec les positions sociales des individus. On a noté dans la recherche en sociologie urbaine que les cadres étaient par exemple plus mobiles que les ouvrières et les ouvriers dans leurs pratiques de loisirs. La question de la localité est toujours fortement située socialement.

Quelles sont les autres observations que vous pouvez faire en tant que sociologue spécialisée sur les pratiques culturelles urbaines ?

Mes observations sont pour l’instant limitées, dans la mesure où, comme une partie des Français et des Françaises, je suis confinée dans mon appartement. Votre question m’inspire tout de même deux réflexions. L’une concerne les discours fortement moralisateurs que l’on entend et lit à propos des quartiers populaires et de ce qui est présenté comme un manque de rigueur dans l’application des mesures de confinement par leurs habitantes et leurs habitants. Je trouve regrettable que deux dimensions ne soient pas prises en compte dans ces analyses. D’une part le niveau de peuplement et la qualité – ou le manque de qualité – des logements concernés méritent d’être questionnées. D’autre part, la densité habitante dans ces quartiers doit être indiquée : à proportion de « sortants et de sortantes » égale, si la densité habitante est le double de celle d’un autre quartier, la population dans la rue sera bien plus importante. Ma seconde réflexion est davantage prospective : ayant travaillé sur les jardins partagés, je sais à quel point ils pouvaient constituer des supports de sociabilité pour leurs membres mais aussi des espaces de normalisation de l’espace public. Quel sera l’effet de leur « abandon » par les associations jardinières pendant le confinement ? Vont-ils être appropriés par d’autres citadines et d’autres citadins pour y développer d’autres usages ?

De manière plus générale, de quelle manière pensez-vous que notre rapport à la ville puisse évoluer demain, après la crise, en fonction de toutes les données que nous observons aujourd’hui ?

J’aimerais que la nécessité d’utiliser une partie des chambres d’hôtel pour héberger des soignantes et des soignants et / ou des confinés et des confinées s’étende à une réflexion plus large sur la gestion des logements vides et / ou peu utilisés. La période de confinement rend saillantes les difficultés que vivent des centaines de milliers de Français et Françaises quant à leurs conditions de logement. Si des crises de ce type viennent à se reproduire, il est indispensable que le politique s’en empare pour garantir des conditions de vie décentes aux habitantes et habitants.

Qu’est-ce qu’on peut apprendre de ce que l’on vit aujourd’hui pour imaginer la ville de demain ?

La question de l’échelle locale me semble fondamentale. Elle était déjà dans les esprits mais prend une acuité particulière avec l’obligation de rester dans un rayon d’un km autour de son domicile. Si elle se pose pour tout un chacun en ce qui concerne l’approvisionnement et les loisirs, elle doit aussi être mobilisée au niveau de la solidarité. Il est par exemple très difficile en ce moment pour le champ social de garantir aux plus précaires l’accès à des repas. Les structures d’hébergement et de repas sont parfois très éloignées les unes des autres et compliquent le travail des professionnelles et professionnels auprès des populations les plus en difficulté.

 

*Son dernier ouvrage s’intitule Jardiner entre soi, L’Harmattan, Logiques sociales, 2018.

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