Déconfinement : à Rennes, une expérience inédite pour se réapproprier l’espace urbain
Le confinement est une expérience singulière, riche d’enseignements pour les villes. Quels usages les citoyens font-ils de l’espace urbain, après en avoir été privé ? Qu’est-ce que cela induit en termes de nouveaux comportements et d’appréhension du lieu public ? C’est à toutes ces questions que s’est intéressé l’atelier Villanthrope, qui conseille les collectivités dans le domaine de l’usage urbain résilient, et la compagnie de théâtre Kislorod, en organisant « Un salon dans la ville », une expérience urbaine inédite. Explications avec Marie Venot, fondatrice de Villanthrope.
Pourquoi avoir lancé Un salon dans la ville ?
Après la période encore inédite de confinement généralisé du printemps 2020, nous avons observé, au début du déconfinement, un sentiment grandissant de méfiance à l’égard de « l’autre », ressenti comme une menace lors des parcours quotidiens. Villanthrope a alors engagé une action auprès de la population de son port d’attache : la ville de Rennes. En tant qu’entreprise de l’économie sociale et solidaire, engagée dans la fabrique de territoires favorables à la santé, à l’inclusion de tous, du bien grandir au bien vieillir, nous voulions simplement aller vers les citoyens afin de connaître leur état de santé mentale, avoir des indices sur leur rapport à l’espace extérieur pendant le confinement : les trajectoires, les stratégies utilisées pour contourner le cadre réglementaire, les espaces découverts durant la balade quotidienne autorisée, les espaces ressourçant. Et, plus globalement, nous voulions redonner à l’espace public sa fonction principale, celle de l’espace de la vie collective et de la rencontre.
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Comment l’initiative est-elle née ?
Il n’était pas question pour nous de réaliser un micro-trottoir désincarné mais bien de prendre le temps de la rencontre et de la discussion. En collaboration avec la Compagnie de théâtre Kislorod, et au fil des contraintes dues au contexte du déconfinement, nous avons façonné cette initiative originale. « Le salon dans la ville » est en fait l’installation éphémère d’un espace « salon » sur l’espace public, « un chez-soi » en dehors de chez soi. L’image réconfortante et propice à l’intimité du salon nous sert à interpeller, à donner envie de faire une pause, de partager un café, de parler de soi, d’échanger. Le salon est alors exposé comme une scène, avec de nombreux objets placés pour l’agrémenter mais aussi utiles pour engager la conversation et parler de soi.
Quelles ont été les réactions des habitants et des participants ?
Les réactions ont été aussi nombreuses que variées : de la curiosité à la suspicion en passant par l’envie de participer. Mais c’est principalement le besoin de lien avec autrui qui s’est fait sentir. Les témoignages que nous avons reçus abondent dans ce sens : « je suis restée enfermée chez moi pendant tout le confinement, comme dans une boîte », nous disait une femme âgée seule. Un autre, dont la voiture était le seul refuge depuis plusieurs nuits nous demandait : « ma voiture est à la fourrière, où dois-je aller ? » Cette nuit-là au moins il a pu être recueilli par l’église… Les expériences intimes et émouvantes se sont multipliées au gré des rencontres, à mesure que les participants se dévoilaient. Un homme venant juste de recevoir une lettre personnelle nous demandait qu’on la lise pour lui. Une lettre qui l’informait qu’après 10 années d’attente, sa femme algérienne pouvait enfin le rejoindre légalement sur le sol français. Il nous a ensuite fait part de son histoire aussi émouvante que touchante.
L’envie spontanée des participants de prendre part à l’amélioration de leur cadre de vie s’est également faite ressentir. Nous avons dessiné des arbres et des bancs symboliques pour organiser un espace social imaginaire et inviter à repenser collectivement l’aménagement urbain. Alors certains ont joué le jeu en nous interpellant : « j’aurais mis le banc ailleurs, il faut aussi de l’ombre ! » On a constaté avec plaisir que l’espace salon comme l’espace urbain étaient réappropriés par les participants le temps d’une mise en scène.
Que retenez-vous de cette expérience ?
Tout d’abord, à aucun moment la peur de la contamination par l’autre n’a été évoquée et à aucun moment la réticence d’être à côté de l’autre ne s’est faite ressentir. Au contraire même, la curiosité, le besoin et surtout l’envie de relations sociales ont toujours eu le dessus sur l’appréhension de contracter la maladie. Alors on retient avant tout des rencontres authentiques. On retient les gens qui se livrent, « qui vident leurs poches », qui nous remercient 10 fois, qui ont du mal à partir, qui reviennent pour nous apporter une poignée de haricots verts pour notre déjeuner ou un dessin parce qu’ils ont passé un bon moment et que ça leur a fait du bien. On retient aussi les gens qui passent, qui n’ont pas le temps, qui nous évitent et ceux qui nous observent de loin ou bien qui nous prennent en photo comme une curiosité. On retient des endroits vides qui, avec un tapis et une comtoise, un peu de café et des sourires, ont repris vie le temps d’un instant. On en retient aussi d’autres où nous nous sommes sentis en dehors de la vie du quartier, regardées comme des bêtes curieuses… Heureusement, dans ce lieu, la petite Serena s’est emparée de nos craies pour dessiner sur le parvis. On retient enfin un sentiment de liberté, d’avoir pu ÊTRE sur l’espace public, juste être là, sur l’espace commun, partir à la rencontre de ceux qui vivent là et partager avec eux un bout de vie.
Prévoyez-vous de donner suite à votre démarche ?
Nous avons pensé que le deuxième acte de cette pièce, qui reste encore à écrire, serait un plaidoyer intitulé : “De la vie dans l’espace public, c’est vital”. Parce qu’avec une installation éphémère de petite envergure et un peu d’audace, nous avons en effet récolté les ingrédients essentiels pour penser autrement la fabrique de la ville, pour penser autrement le rapport humain/bâti à travers des réflexions sur les espaces publics, sur l’habitat et la liberté.
Nous avons mis en exergue les nécessaires dimensions de proximité et de confiance dans la vie sociale au moment précis où celle-ci était fragilisée par le confinement. Avec une installation de petite envergure, nous avons réussi à toucher les habitants en leur faisant vivre des émotions déconfinées. Avec une simple installation sur l’espace public, nous avons finalement montré qu’il est possible de réenchanter notre quotidien en concevant des espaces publics vivants, de petite taille, favorisant l’intimité, la rencontre, le repos et induisant une liberté plus conséquente.
Comment les collectivités peuvent-elles s’approprier ces enseignements pour mieux aménager l’espace urbain ?
Mieux aménager l’espace urbain demande de prendre le temps : le temps de la rencontre, de l’appropriation et de la compréhension du changement par les habitants. Mieux aménager, c’est aussi la dimension de la proximité pour prendre en considération, mettre en valeur les besoins de toutes les vies, surtout des moins visibles qui sont souvent les plus fragiles (personnes âgées, personnes en situation de handicap, familles monoparentales).
Mieux aménager, c’est penser des espaces de petite échelle pour favoriser la rencontre et l’intimité, c’est penser des espaces multi-usages pour rassembler et créer du lien, de la mixité, c’est fabriquer du commun. Enfin, mieux aménager c’est redonner à la vie humaine sa place centrale dans la conception de l’espace : passer du projet urbain au projet humain.