Deux enfants roulant sur leurs trottinettes dans une rue calme.
Publié le 22.10.24 - Temps de lecture : 4 minutes

Comment adapter l’espace urbain aux enfants ?

Les enfants sont-ils les grands oubliés de l’urbanisme ? Quelle place leur accorde l’aménagement urbain des sociétés modernes ? Pourquoi la ville est-elle inadaptée à l’enfant ?

Loading the Elevenlabs Text to Speech AudioNative Player…

À RETENIR

  • L’aménagement urbain actuel est souvent inadapté aux enfants, limitant leur autonomie et leur capacité à explorer, en grande partie à cause de la sédentarité croissante et de la focalisation sur la sécurité excessive des parents.
  • Les bénéfices des espaces extérieurs et du jeu en plein air pour le développement cognitif et psychologique des enfants sont bien établis, avec des impacts positifs sur la concentration, l’estime de soi, et la réduction de l’anxiété.
  • Plusieurs initiatives urbaines, comme à Nantes ou à Bâle, cherchent à intégrer les enfants dans le processus d’aménagement, en adaptant les infrastructures (trottoirs, signalisation) et en leur donnant la possibilité de participer à la planification.
  • Pour rendre la ville plus adaptée aux enfants, il est essentiel de diversifier les lieux d’apprentissage, d’encourager la mobilité autonome, et de consulter les enfants pour qu’ils puissent contribuer activement à la création des espaces publics.

Envies de Ville ouvre le dossier de l’adaptation de l’espace urbain aux enfants à travers des témoignages de spécialistes et plusieurs exemples de villes qui ont su prendre des mesures pour intégrer pleinement l’enfant dans un espace qui lui est trop souvent hostile.

En étudiant le vécu des enfants dans les espaces publics, l’agence d’urbanisme bordelaise a‘urba a interrogé la conception de l’espace public et le modèle de ville associé, et par extension, les stratégies et les différents modes de faire des collectivités pour améliorer l’intégration des enfants dans l’espace urbain. Cette synthèse rappelle le caractère essentiel du plein-air et du jeu en liberté pour le développement cognitif de l’enfant qui a besoin de ces deux piliers pour son équilibre psychologique.

Les enfants qui jouent dehors ont tous en commun de voir leur anxiété et leur hyperactivité diminuer, alors que la confiance en soi et la capacité de concentration augmentent de façon significative. L’usage des espaces publics apparaît comme une expérience spécifique qui construit les rapports des enfants au territoire, leur permettant de l’appréhender, de se repérer et de comprendre le monde qui les entoure avec une confiance renforcée.

Accéder à l’autonomie et se confronter au réel plutôt que de s’y soustraire

Penser l’aménagement de la ville en prenant en compte la place de l’enfant c’est lui permettre d’accéder à une autonomie qui ne cesse de se réduire au contact des écrans et de la sédentarité, c’est l’inviter à se confronter au réel plutôt que de s’y soustraire et c’est encourager l’aisance et la sécurité de tous les enfants dans leur parcours en ville, ainsi que l’ouverture vers les autres. En France, les enfants de moins de 3 ans regardent les écrans en moyenne 11 minutes par jour et les enfants de 3 à 12 ans 55 minutes par jour. Les impacts sur la santé de cette réduction de l’activité physique et cette croissance de la sédentarité peuvent être forts.

La Fédération Française de Cardiologie (FFC) tire le signal d’alarme dans une étude de 2016 :
« Depuis 40 ans, les jeunes de 9 à 16 ans ont perdu 25 % de leur capacité physique, ils courent moins vite et moins longtemps. En 1971, en moyenne, un enfant courait 600 mètres en 3 minutes, il lui fallait 4 minutes pour couvrir la même distance en 2013. » À cette sédentarité, s’ajoute la réduction des occasions de déplacements à pied et à vélo, décrite dans l’édition 2022 de l’Insee Références « France, portrait social », qui propose un éclairage sur les pratiques sportives et culturelles en France.

De plus en plus de collectivités territoriales se saisissent de ce dossier essentiel en pensant la ville autrement, et en remettant l’enfant au milieu de l’urbain. À Nantes, Sainte-Luce-sur-Loire et Les Sorinières, ce sont des ateliers « ville à hauteur d’enfant » qui ont été proposés pour les jeunes de 8 à 13 ans. Les enfants sont ainsi invités à se situer géographiquement dans leur région, puis à s’exprimer sur les raisons qui déclenchent la peur face à la ville ou de partir à la découverte de leur environnement en associant un lieu à un mot.

Deux dispositifs sont à revisiter : l’école et la fabrication urbaine
Thierry Paquot

Thierry Paquot, philosophe, spécialiste de l’urbanisme et grand défenseur des enfants, auteur de Pays de l’enfance (éditions Terre Urbaine) a répondu à la question « Nos villes sont-elles conçues pour les enfants » au micro du podcast Les adultes de demain.

Après avoir expliqué la place des enfants dans la ville et pourquoi ils sont devenus les grands oubliés de l’urbanisme, tout en livrant quelques pistes pour que les enfants retrouvent une place dans les villes des sociétés modernes, Thierry Paquot dresse un constat sans appel :

« Je me suis aperçu avec stupéfaction que tout était plus dramatique, que l’enfant qui jouait dans la rue, qui allait à l’école tout seul à pied ou à vélo dans les années 60-70, qui passait cinq ou six heures par jour sans un adulte, tout ça avait disparu. Que maintenant, ils étaient hyper surveillés », explique-t-il. En caricaturant à peine, il avance que les parents rêveraient de pouvoir pucer leurs enfants pour les géolocaliser en permanence et les protéger, avant de conclure : « je constate que la société essaie de formater des enfants obéissants (…) deux dispositifs sont à revisiter : l’école et la fabrication urbaine ».


À lire aussi


Trop centrée sur l’automobile, l’urbanisation moderne est dangereuse pour les enfants

Parmi les pistes proposées pour mieux intégrer l’enfant dans l’espace urbain, et après avoir rappelé que « les enfants sont moins présents dans les espaces urbains qu’auparavant, ce qui limite leur autonomie et leur capacité à explorer leur environnement », Thierry Paquot souligne l’importance du jeu et de l’exploration et suggère de diversifier les lieux d’apprentissage en utilisant la ville comme une salle de classe à ciel ouvert. Si cette diversification a besoin des aménageurs pour faire évoluer l’urbanisation moderne, trop centrée sur l’automobile, et dangereuse pour les enfants avec des trottoirs étroits, une absence de signalétique adaptée et un manque d’espaces de repos, elle a également besoin de consulter les enfants « car leur perspective unique peut apporter des idées innovantes et pertinentes ».

En 2006, la municipalité de Bâle a lancé une expérimentation intitulée « la ville à la taille des enfants ». Cette initiative repose sur 12 principes, tels que la signalétique, le mobilier urbain, la largeur des trottoirs, et les rythmes de passage des feux tricolores, tous adaptés à la taille et au rythme des enfants. En Belgique et en Espagne, Bruxelles et Pontevedra ont pris des mesures pour sécuriser les espaces urbains et promouvoir la mobilité autonome des enfants. Bruxelles a inventé un code de la rue qui vient compléter le code de la route, tandis que Pontevedra a réussi à concilier la circulation automobile avec la présence des enfants en promouvant les espaces piétonniers. En Suisse, le conseil municipal des enfants de Sion a réussi à obtenir une journée entière de discussion avec les membres du conseil municipal, leur permettant de partager leurs perspectives et de proposer des améliorations pour la ville.

Intégrer les enfants dans le processus de planification

À l’heure où les nouvelles technologies sont utilisées massivement par les plus jeunes, leur redonner goût à l’environnement extérieur, aux interactions « physiques » et à la ville représente un enjeu fort pour leur épanouissement et leur sociabilisation.

Pour adapter l’espace urbain aux enfants, il est crucial de repenser notre approche de l’urbanisme en intégrant les enfants dans le processus de planification, en créant des environnements qui favorisent leur autonomie et en sortant d’une programmation souvent très centrée sur l’adulte actif et sur la recherche d’efficacité en termes de marchandisation. Il faut renouer avec les besoins fondamentaux des enfants et des adolescents et les laisser devenir des producteurs de l’espace public au même titre que les autres usagers.

Envies de ville : des solutions pour nos territoires

Envies de ville, plateforme de solutions pour nos territoires, propose aux collectivités et à tous les acteurs de la ville des réponses concrètes et inspirantes, à la fois durables, responsables et à l’écoute de l’ensemble des citoyens. Chaque semaine, Envies de ville donne la parole à des experts, rencontre des élus et décideurs du territoire autour des enjeux clés liés à l’aménagement et à l’avenir de la ville, afin d’offrir des solutions à tous ceux qui “font” l’espace urbain : décideurs politiques, urbanistes, étudiant, citoyens…

✉️ Je m’inscris à la newsletter