« Penser la ville pour les enfants, ce n’est pas mettre plus de toboggans »
En dehors des aires de jeux, les enfants investissent peu la ville. Madeleine Masse, architecte et urbaniste, Présidente fondatrice d’atelier SOIL, défend le concept de ville pour les enfants, un modèle plus inclusif, plus écologique, pas trop coûteux pour les villes.
Pour qui la ville et l’espace urbain ont-ils été pensés ?
Madeleine Masse : La ville a été pensée pour être efficace, notamment pour assurer la fluidité du trafic. Il y a eu une concentration sur la question de la voiture qui a pris beaucoup de place dans l’espace urbain au détriment d’autres usages ou d’autres formes de mobilité. Cela date des années 60. Par ailleurs, historiquement, la ville telle qu’on la connaît aujourd’hui, a été pensée par des urbanistes qui n’avaient pas complètement appréhendé certaines contraintes comme les trajets des enfants à l’école par exemple.
Aujourd’hui quelle place y occupe l’enfant ?
Madeleine Masse : L’enfant n’occupe plus beaucoup de place. Dans les années 50, il avait un périmètre d’autonomie qui pouvait aller jusqu’à 4 km. Il pouvait aller chercher le pain, jouer avec ses copains dans les friches. Dans les années 90, leur périmètre s’était réduit à 400 mètres. Aujourd’hui, les enfants n’ont plus d’autonomie, de liberté de mouvement dans la ville à part dans les aires de jeux. Or, l’aménagement d’une aire de jeux est très compliqué pour les collectivités parce que c’est un espace qui doit répondre à beaucoup de codes : le sol souple, la robustesse, l’ergonomie. L’autre conséquence est le prix. Une aire de jeux, cela représente un sacré budget. Ce n’est pas quelque chose d’anodin sur le budget de la commune.
Vous critiquez aussi l’accessibilité de ces installations et leur impact sur le développement de l’enfant ?
Madeleine Masse : Ce sont souvent des espaces fermés, clôturés ou grillagés. La dimension aventure et découverte de l’enfant est très importante dans son développement. Le fait qu’il ne puisse pas profiter de l’espace pour se balader seul, partir à l’aventure, cela en fait des adultes qui, selon des études, ont moins confiance en eux. Il faudrait plutôt réinvestir les espaces publics ouverts. Penser la ville pour les enfants, ce n’est pas mettre plus de toboggans et de bateaux pirate !
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Se poser la question de la place de l’enfant, c’est aussi se poser la question d’une ville plus inclusive ?
Madeleine Masse : C’est se poser la question de la place des personnes âgées par exemple. Elles sont un peu enfermées chez elle comme les enfants qui sont assignés à résidence. L’espace public doit accueillir tous les publics. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, il y a un vrai enjeu de reconquête de cet espace. Si on prend en considération un public qui fait 1m20, qui est vulnérable, qui doit pouvoir se repérer sans forcément savoir lire, si on considère tous ces codes-là, cela veut dire qu’on conçoit l’espace public de manière inclusive.
Une ville pour les enfants est-ellle plus écologique ?
Madeleine Masse : Déminéraliser, rouvrir les squares, les parcs. En fait, tous ces leviers participent à faire baisser la pollution, notamment la pollution atmosphérique. Le projet de la ville pour enfants est non seulement écologique par nature mais, en plus, il offre aux enfants un cadre qui va répondre à tous les défis notamment climatiques.
Pouvez-vous citer des exemples d’aménagement qui changent l’expérience de la ville pour les enfants ?
Madeleine Masse : On peut révolutionner l’aménagement de l’espace public sans faire de grands investissements. Dans le tramway de Clermont-Ferrand, par exemple, les stations ont chacune un nom et à côté un petit insecte ou animal dessiné. C’est très malin, les enfants peuvent reconnaître ainsi leur arrêt. Il y a même une gradation, puisque les arrêts vont de la fourmi jusqu’à l’éléphant. Je pense aussi à l’installation d’une mini via ferrata, des accroches que l’on met sur les murs. Les enfants escaladent, ils adorent. On peut en poser une sur un mur aveugle ou sur un petit muret dans la ville, tout d’un coup, c’est un petit événement.
Les rues aux écoles sont un autre exemple. Cette piétonisation permet un apaisement de la circulation autour des établissements scolaires. Cela change complètement le quartier. Pour les enfants, le trajet pour aller à l’école rime avec autonomie parce que le parent peut lui lâcher la main, c’est comme une petite aventure qui lui permet une responsabilisation très stimulante. Cela ne nécessite pas de gros aménagements, il peut suffire de poser une jardinière de part et d’autre de la rue pour la piétonniser. Par contre, ce qui est important c’est de se poser pour élaborer une stratégie globale. Il ne s’agit pas de faire des à-coups comme ça qui vont créer des crispations.
Quel regard portez-vous sur la multiplication des pistes cyclables ? Cela bénéficie-t-il aux enfants ?
Madeleine Masse : On compte de plus en plus de pistes cyclables, c’est une très bonne chose. Malheureusement, nous sommes encore dans le débat où on essaye de tout mettre au même endroit : des voitures, des bus, des vélos, des trottinettes, des taxis et des piétons. Cela provoque forcément des conflits d’usage. Il n’y a pas de place sur ces voies pour les gens qui ne sont pas dans cette efficacité de déplacement et notamment le public des enfants. On a réussi en très très peu de temps à développer des centaines de kilomètres linéaires de voie vélo, mais je pense qu’il faut vraiment réfléchir maintenant sur leur ergonomie, leur dimensionnement, la cohabitation. À un moment donné, il va falloir faire des choix.
Comment choisir ?
Madeleine Masse : C’est très difficile pour les collectivités, notamment les élus de dire qu’il va falloir faire des choix sur la voirie. Des voiries vont être vélos piétons, d’autres pour tous les modes parce qu’elles seront de très larges gabarits. On ne peut plus dire qu’on met tous les usages sur une voie trop étroite.
À l’étranger quels aménagements vous ont particulièrement séduite ?
Madeleine Masse : À Barcelone, ils ont piétonnisé certains quartiers. L’aménagement n’est pas idéal car le mobilier est un peu frugal mais l’impact de cet aménagement-là dans les rues est incroyable. Les parents surveillent par la fenêtre tous les enfants qui jouent ensemble en bas de la rue. Je pense aussi à Vienne en Autriche, au travail d’Eva Kail, urbaniste de la ville dans les années 90/2000, qui a énormément œuvré pour mettre en place un urbanisme inclusif, dans les quartiers, les pieds d’immeuble, les cours…