Le Village des athlètes : quand les Jeux soignent leur héritage
Dans moins de deux ans, Paris va vivre au rythme des Jeux. Les regards du monde entier seront braqués sur les terrains de sport, certes, mais aussi sur le Village des athlètes en Seine-Saint-Denis. Le Secteur E, Les Belvédères, imaginé par une maîtrise d’œuvre convoquée par le groupement de maîtrise d’ouvrage Nexity – Eiffage Immobilier – CDC Habitat – Groupama – EDF, a su faire équipe et dessine ce nouveau quartier. Zoom sur un archétype de mixité des usages, de réversibilité et sur la mise en œuvre de solutions environnementales, avec pour guides les architectes Alexandre Jonvel de CoBe et Dimitri Roussel de l’agence DREAM.
Avril 2016, dans le cadre de la candidature de la ville de Paris à l’organisation des Jeux de Paris, une étude urbaine est menée sur le territoire de Saint-Ouen-sur-Seine en vue d’accueillir le Village des athlètes. Elle est confiée à Dominique Perrault Architecture, architecte mandataire chargé de la maîtrise d’oeuvre urbaine, qui décrit le lieu en ces termes : « C’est un site que personne ne connaissait, qui avait disparu de la carte. Notre travail a été de le révéler, de le mettre en lumière et de le porter. » Plus largement, poursuit-il, « il s’agit, bien sûr, de concevoir un quartier capable d’offrir, de façon temporaire, un accueil d’exception aux sportifs ainsi qu’à leurs délégations, mais c’est, avant toute chose, une réflexion urbaine à long terme dont l’objectif est la constitution d’un morceau du Grand Paris, de cette ville-région qui connaît une transformation sans précédent. » L’avenir des villes limitrophes au nord de Paris qui constituent Plaine Commune continue de se dessiner. Pas à pas.
L’idée directrice générale de ce plan cadre, l’implantation et les volumétries étaient donc définies pour cet aménagement qui totalisera 58 ouvrages construits. Son application prend un sens tout à fait particulier avec le Secteur E, le plus domestique, qui consiste en la construction neuve du Village des athlètes. Sur des terrains jusque-là occupés par de grands bâtiments industriels, cette opération mixte représente environ 58 000 mètres carrés SDP destinés à accueillir, dans un premier temps, environ 2 500 athlètes et para-athlètes à l’été 2024, pour laisser ensuite place aux futurs Audoniens (c’est ainsi que l’on nomme les habitants de Saint-Ouen) et usagers de bureaux.
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Faire équipe : sept agences pour un lot
Atelier Georges, Barrault Pressacco, CoBe, DREAM, KOZ, Lambert Lénack et SOA ont été convoquées par la maîtrise d’ouvrage pour imaginer ce secteur. Sept agences d’architecture auxquelles sont attribués deux bâtiments chacune. Alexandre Jonvel de l’agence CoBe portait une double casquette, celle de coordinateur architectural de l’équipe, d’une part, et celle d’architecte, d’autre part, avec la conception de trois bâtiments. « J’ai trouvé important de définir dès le départ une méthode pour qu’un esprit collectif émerge de cette proposition. » À l’image d’un entraîneur, il a positionné chacun à sa juste place pour qu’il puisse donner le meilleur de lui-même tout en formant une équipe cohérente, partageant une vision commune du programme. « Nous avions envie de réfléchir à des modes constructifs communs et de faire ressortir un air de famille malgré nos personnalités variées », se souvient-il. Côté structure, le mix bois/béton bas carbone sera le dénominateur commun du projet. Depuis le concours au sein de l’équipe d’architectes, c’est à l’agence KOZ qu’est revenue la mission de coordonner techniquement l’ensemble des lots. Côté esthétique, les maîtres d’oeuvre souhaitent donner à voir « une ville qui soit belle comme la nature est belle » et pour cela « être juste dans l’utilisation de la matière, en installant le bon matériau au bon endroit ». L’unité du quartier se lit dans les tonalités des matières des façades, dans les camaïeux de couleur qui reprennent celles de la ville ancienne et industrielle. Le travail sur les espaces extérieurs y participe également.
« Le travail de l’Atelier Georges, paysagiste du projet, est venu créer du lien », souligne Alexandre Jonvel, « avec le “parcours universel” destiné aux êtres humains, enfants, seniors, personnes à mobilité réduite, mais aussi au monde du vivant et ses représentants comme les hérissons ou les insectes. »
Le jeu très simple de la réversibilité
« C’est une commande incroyable que d’avoir à imaginer un projet urbain pour six semaines, mais dont la véritable finalité est l’héritage », sourit Alexandre Jonvel. La question des conditions de la réversibilité s’est donc très vite posée. « Nous sommes venus à la conclusion que la meilleure des réversibilités est celle qui engage le moins de travaux, dans une logique de frugalité et d’effort mesuré. » Avec pour langage commun à tous les bâtiments une structure poteaux-poutres, il suffit de bouger les éléments non porteurs pour passer du Village des athlètes à un quartier aux usages familiaux. Les 527 logements sont surcloisonnés pour créer, par exemple, deux chambres dans un salon et une autre dans ce qui deviendra ensuite une cuisine. Il suffira alors de onze mois de travaux après l’été 2024 pour que les appartements puissent accueillir les nouveaux habitants.
Le summum de la réversibilité minimale est atteint avec la résidence de coliving, confiée aux architectes de CoBe. « Il y a peu de différences entre ce programme et les logements pour les athlètes, constate Alexandre Jonvel, responsable de ce projet spécifique. Certains appartements vont jusqu’au T7. Salles de bains et séjours sont partagés en plus des espaces communs du bâtiment comme l’entresol, le toit… C’est un mode d’habiter qui a beaucoup d’avenir, car il correspond exactement aux besoins des jeunes actifs. »
Rez-de-vie et basket en rooftop
Pour animer l’espace public, les rez-de-chaussée donnent la priorité aux espaces commerciaux de proximité ou dédiés à de l’artisanat local. Actifs, ils sont ce qu’Alexandre Jonvel appelle des « rez-de-vie ». « Pour qu’ils soient un réel plus, nous n’avons pas hésité à proposer de déplacer certains éléments du programme. Par exemple : la crèche a été déplacée à l’accroche du village ancien de Saint-Ouen et non pas sur l’axe principal comme il était prévu, décrit Alexandre Jonvel. Un restaurant est placé en bord de Seine. » Les éléments sont réunis pour que la greffe avec le vieux Saint-Ouen prenne.
Parmi les éléments de programme les plus emblématiques des Jeux d’une part, mais aussi de la volonté de faire entrer la mixité au cœur des usages, un terrain de basket perché au dernier étage d’un immeuble de bureaux ! Dimitri Roussel, fondateur de l’agence DREAM, architecte, mais aussi ancien basketteur professionnel, a convaincu d’intégrer un équipement de proximité dans l’immeuble de bureaux qu’il avait la charge de concevoir et qui devait être selon lui « un fleuron du Village des athlètes sur les deux grands axes de l’écologie sociale et de l’écologie environnementale ». Un exploitant privé proposera l’accès à des terrains de basket indoor, à savoir trois demi-terrains de 3 x 3. « C’est un positionnement populaire. En Seine-Saint-Denis, un tel équipement ne s’adresse pas qu’aux futurs habitants, mais aussi à ceux qui sont là depuis toujours, dans le Grand Paris. Cela va créer des synergies entre les populations », explique Dimitri Roussel.
Le projet, proposé par l’équipe coordonnée par CoBe, est performant du point de vue environnemental. Il affiche une certification E3C2 et donne une place aux énergies renouvelables avec notamment des ombrières photovoltaïques placées sur les toits. Un travail sur la biodiversité a été mené par l’Atelier Georges. Architectes et paysagistes, ils ont veillé à récréer un sol vivant et à installer un milieu naturel résilient à l’augmentation des températures avec des essences endémiques, les moins modifiées d’un point de vue génétique.
« J’aimerais comme symbole de la réussite de ce quartier que les habitants sentent qu’ils sont dans un endroit particulier, où les valeurs de respect entre nous qui nous ont animés, mais aussi de la planète, du contexte, continuent à prospérer. Tous les éléments sont là pour créer du lien », conclut Alexandre Jonvel.