Stades, casiers et pistes de course : ces architectes veulent faire de la ville un terrain de jeu pour tous
Métro, boulot, dodo mais aussi course à pied ou match de foot en chemin. L’agence d’architecture parisienne SCAU a coordonné un ouvrage collectif, “Time to play” (Archipress éditions), autour de l’importance du jeu en milieu urbain, un élément fondamental qui façonne la ville comme la société. Avec en creux la question de l’accès aux équipements sportifs à tous. Mathieu Cabannes et Luc Delamain architectes associés de l’agence d’architecture SCAU (Paris) ont répondu à nos questions.
Quelle place occupe le jeu dans la ville ?
SCAU : D’une certaine manière, le jeu fait la ville. A partir de cette hypothèse, chaque espace devient un espace de jeux, le jeu fait cité, et faire cité, c’est vivre ensemble. C’est enfin définir des règles de vie commune… tout en acceptant que le jeu soit aussi un moyen par lequel on transgresse la règle dans l’espace public. C’est le cas par exemple des skateurs qui détournent l’usage initial de certains mobiliers urbains comme le banc public ou l’esplanade. Cet été, avec notamment le travail de Thomas Jolly pour la cérémonie d’ouverture des Jeux, nous avons pu voir la ville autrement. Il l’avait choisie comme théâtre, le jeu était partout. Cela peut exister à l’échelle d’un quartier, d’une copropriété, même d’un bâtiment. On peut participer si on décide de jouer ensemble, avec des règles déterminées. Cela permet d’apaiser aussi une société, de ne plus être dans le conflit, de développer l’intelligence et le plaisir à être ensemble. Grâce à ce jeu, on peut intégrer des contraintes qui sont très fortes dans la ville, comme la présence d’un fleuve par exemple.
« Le jeu permet d’avoir un impact très concret, politiquement et socialement parlant. Les pouvoirs publics peuvent s’en saisir. »
Donc le jeu en ville, c’est plus qu’un simple toboggan ?
SCAU : Nous sommes beaucoup intéressés aux travaux d’Aldo van Eyck, un architecte hollandais qui a travaillé à Amsterdam après la Seconde Guerre mondiale. La ville lui a demandé d’intervenir dans des zones bombardées. Cet espace qui portait la trace de la souffrance et de l’événement traumatique ne devait pas être effacé en reconstruisant l’immeuble à l’identique. Au contraire, il fallait reconstruire une manière de faire société en repartant du jeu. Une renaissance par la reconstruction, mais qui se fait en mémoire, en conscience de ce qu’il s’est passé, ce qui permet aussi de se construire de manière plus sereine et plus juste. C’est une vraie question de ce que l’on fait de notre espace public, comment on le partage, comment on s’autorise à ce que ce soit un espace qui n’est pas programmé aujourd’hui.
Comment peut-on permettre l’accès aux équipements sportifs au plus grand nombre, même simplement en bas d’un immeuble ?
SCAU : Le jeu peut s’incarner dans un terrain de foot grâce à des lignes marquées sur un hectare de terrain. Faire un jeu, c’est dessiner des lignes, mettre un panier de basket ou un but ou dessiner un but sur un mur. C’est quelque chose qui peut être assez simple, mais qui va tout de suite faire une interaction entre l’espace et ce que peut en faire un groupe d’individus à un moment donné.
Le jeu peut être favorisé avec certains éléments très simples. Un exemple qui nous a été soufflé : il suffirait de créer sur la façade d’un immeuble, face à une aire de jeux, un petit coffre où les enfants peuvent mettre leurs affaires. Lorsqu’on a l’inquiétude de se faire dérober ses affaires pendant qu’on joue, on n’ira pas jouer.
Pour des architectes, vous parlez beaucoup de sol, pas forcément de construction…
SCAU : Le sol, c’est un lieu où on peut se rencontrer, discuter, se confronter s’il le faut. Cela nous rappelle aussi la Colombie qui, dans un contexte difficile après les Farc, a choisi de travailler sur la présence des sportifs de haut niveau dans le quotidien. Des pistes de course ont été créées en ville, par exemple. Les sportifs les plus expérimentés peuvent s’y entraîner, des enfants peuvent les regarder et ainsi se projeter dans l’excellence quand d’autres personnes s’y rendent simplement pour garder la forme. Tout le monde se mélange.
Favoriser l’égalité hommes-femmes par la conception des équipements sportifs. Dans le cadre du Plan 5 000 équipements sportifs – génération 2024, la conception des installations sportives se veut plus inclusive pour encourager la pratique féminine. Ce plan vise à adapter les infrastructures afin de garantir un accès égal aux femmes et aux hommes, en répondant aux besoins spécifiques de chaque groupe. La question des vestiaires mixtes, souvent perçus comme inconfortables par les femmes, est un enjeu central. Sécuriser et aménager ces espaces peut lever les freins à la participation des femmes. Une approche nécessaire, alors que les études montrent que la pratique sportive féminine tend à diminuer lors de certaines transitions de vie, telles que la maternité ou la ménopause. Rendre les équipements plus adaptés et sécurisants est ainsi un levier clé pour garantir une pratique sportive réellement égalitaire.