Une rue de maisons pavillonnaires ; ©Istock
Publié le 12.12.23 - Temps de lecture : 4 minutes

Pavillon, une passion résistante

L’accession à la propriété d’une maison avec jardin connaît un grand succès depuis plusieurs décennies, une véritable passion pavillonnaire qui ne faiblit pas malgré la hausse des taux d’intérêt, le devoir d’adaptation au changement climatique et une loi ZAN (Zéro Artificialisation Nette) qui rebat sensiblement les cartes.

Si un désenchantement pavillonnaire existe, symbolisé par le pavillon excentré, insociable, inadapté ou inachevé, l’engouement pour la maison individuelle est toujours profondément ancré dans le paysage et dans les esprits français. Le pavillon reste cet endroit idéal, sécurisé, convivial, et son habitabilité, révélée par la pandémie de Covid-19, ne cesse de faire l’unanimité chez ceux qui rêvent de propriété et de bien-être.

Avec Le pavillon, une passion française d’Hervé Marchal et Jean-Marc Stébé (éditions PUF – 2023), voyage au cœur de ce rêve collectif.

En 2004, 82 % des Français pensent que la maison individuelle est le type d’habitat qui répond le mieux à leurs aspirations et pour 77 % d’entre eux, accéder à la propriété de sa maison constitue la combinaison parfaite.

La maison individuelle, un eldorado post-Covid

Après les trois confinements des années 2020 et 2021 qui ont contraint 8 millions de Français, soit 33% des salariés, à travailler à domicile, le pavillon apparaît plus que jamais comme la forme d’habitat la plus désirable à un moment où le logement est synonyme de sécurité sanitaire et de protection et où le chez-soi devient le théâtre de nombre d’activités, du télétravail aux loisirs en passant par le jardinage, la cuisine, le bricolage ou le sport.

Le télétravail a souligné des situations sociales et d’habitat très disparates et inégalitaires, notamment entre les appartements des centres-villes et les pavillons des lotissements : certains ont dû aménager un coin de bureau dans la chambre à coucher, dans le salon, quand le bureau n’était pas sur… les genoux. D’autres ont été contraints de partager leur espace de travail avec leur conjoint et leurs enfants. Les différents confinements ont, sans aucun doute, redéfini le périmètre des espaces intimes et les fonctions attribuées au logement.

La dissolution des frontières entre travail et domicile engendrée par l’expansion du télétravail a eu des conséquences directes sur la perception du domicile, qui voit ses fonctions de ressourcement, de repos et d’accueil festif redéfinies et réinventées. C’est là que le jardin trouve toute sa signification et sa fonction de décompression.

En plus d’avoir profondément bousculé les modes d’habiter, la pandémie de Covid-19 a révélé à quel point le pavillon avec jardin apparaît comme un ‘logement total’, avec une ‘potentialité habitante’, une ‘plasticité structurelle’ (espaces, temporalités, manières de vivre) qui font de l’habitant de la maison individuelle un ‘habitant total’.

Le pavillon, grand artificialisateur

Construit toujours plus loin des villes, l’habitat individuel a gagné les zones rurales épargnées pendant très longtemps par l’urbanisation pour les transformer, les remodeler durablement. Depuis 50 ans, de nombreux lotissements de maisons individuelles isolées et environnées d’un jardin se sont greffés sur une multitude de communes rurales plus ou moins éloignées des agglomérations urbaines, participant d’un mitage urbain aujourd’hui important.

Lorsqu’ils évoquent le développement pavillonnaire en France (2020), les sociologues Matthieu Gateau et Hervé Marchal parlent d’un phénomène d’une ampleur considérable. Les maisons individuelles occupent en effet un poids très important dans l’économie nationale parce qu’elles s’inscrivent de manière ostensible et constante dans les paysages, qu’ils soient urbains, suburbains ou ruraux, et parce qu’elles recouvrent près de 50% de la surface des terres artificialisées au cours d’une année.

Une seule statistique suffit pour se représenter l’emprise foncière considérable de l’habitat individuel en France : entre 2006 et 2014, 46 % des 491.000 hectares de terres artificialisées ont accueilli des maisons individuelles avec jardin soit 228.000 hectares.


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Pavillon + voiture, une combinaison insoutenable ?

Un point commun relie les habitants de ces zones pavillonnaires, un point commun qui, à travers le prisme du changement climatique, peut être vu comme un point noir : la voiture. En effet, lorsque vous habitez dans une maison individuelle, tout déplacement vers le travail, les loisirs, le supermarché, et parfois vers l’école, nécessite l’utilisation de la voiture. Comme la voiture, le pavillon avec jardin devient donc difficilement compatible avec la réduction des gaz à effet de serre.

Si bien que la ministre déléguée auprès de la ministre de la Transition écologique, chargée du logement, Emmanuelle Wargon déclare en octobre 2021 : « Nous devons désormais l’affirmer de façon claire : le modèle du pavillon avec jardin n’est pas soutenable et nous mène à une impasse (…). Les professionnels, comme le grand public, ont depuis longtemps fait le constat que ce modèle d’urbanisation, qui consacre chaque espace à une unique fonction et qui dépend de la voiture pour les relier, était largement dépassé et constituait aujourd’hui un non-sens écologique, économique et social ».

Aujourd’hui, c’est donc autour de l’artificialisation des sols, de l’érosion de la biodiversité, et de l’amplification de l’empreinte carbone que les critiques font rage.

La maison individuelle au cœur des enjeux réglementaires

Certains médias se sont engagés dans un combat sans merci contre ce qu’ils considèrent être « La France Moche », « La France des lotissements et de la bagnole » ou « La France de la ville diffuse ». Ce qu’on appelle « ville diffuse » est un éparpillement de la ville contemporaine, une ville étalée qui affecte négativement l’environnement puisqu’elle utilise de plus en plus d’espace, pris sur les terres arables et les forêts.

Afin de limiter la prolifération des lotissements pavillonnaires périurbains et de freiner le mitage urbain, la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) scelle le lien entre densification et ville durable, imposant l’idée que le terrain est désormais une ressource rare qu’il faut absolument préserver. Viennent ensuite la loi Alur en 2014 qui fait de la lutte contre l’artificialisation des sols un de ses chevaux de bataille, puis en 2018 la loi Elan (Evolution du logement, de l’aménagement et du numérique) qui encourage les collectivités à développer des projets locaux de densification urbaine.

Enfin, le 22 août 2021, la loi « Climat et résilience » fixe une échéance à la bétonisation des terres avec un rythme d’artificialisation qui devra être divisé par deux d’ici 2031 et un Zéro Artificialisation Nette (ZAN) à atteindre d’ici 2050. La consommation de foncier par chaque maison individuelle est désormais durablement installée au cœur des enjeux d’aménagement du territoire.

Si, dans le contexte de la crise environnementale, le succès du pavillon peut se voir compromis et si la ville dense est devenue un des référentiels dominants de la fabrique de la ville et de l’aménagement urbain, les Français n’en plébiscitent pas moins la maison individuelle avec une constance remarquable, puisque plus des trois quarts d’entre eux souhaitent vivre dans ce type d’habitat. La crise sanitaire n’a fait que renforcer l’engouement pour le pavillon, facilement appropriable avec ses coins et ses recoins, le pavillon et son jardin, son barbecue, cet objet sociologique incontournable qui a matérialisé pendant plusieurs décennies l’accession à la propriété et à la maison individuelle en particulier, supplanté aujourd’hui par la piscine enterrée, symbole de l’appartenance à un pavillon désirable.

Force est de constater que phénomène pavillonnaire relève du fait social dans le sens où il s’impose au plus grand nombre comme une évidence en dépit des critiques écologiques, médiatiques et politiques formulées à son encontre : il oppose une fin de non-recevoir aux critiques dénonçant ses conséquences en matière d’étalement urbain, de défiguration des villages, d’artificialisation des sols ou d’omniprésence de l’automobile. Loin de faire l’objet d’une disqualification sociétale, le pavillon reste une passion française profondément ancrée dans les rêves d’accession à la propriété. Au point d’en être presque le symbole.

CHIFFRES CLÉS :

Les maisons individuelles représentent aujourd’hui 56 % du parc total de résidences. Mais depuis 2008, sa part recule légèrement car le nombre de logements collectifs augmente plus vite que celui des maisons individuelles. L’habitat individuel est d’autant plus fréquent que la commune est petite, aussi bien pour les résidences principales que pour les résidences secondaires. [Insee]

80 % des Français préféreraient vivre en maison individuelle plutôt qu’en appartement. Dans le détail, la proportion augmente chez les personnes issues de communes rurales (94 %), celles vivant dans un foyer de 3 personnes et plus, et ayant des enfants de moins de 14 ans (87 %). Parmi eux, 71 % seraient prêts à faire des concessions sur la surface du terrain pour réduire l’impact sur l’environnement et la biodiversité. En revanche, ils ne seraient que 50 % à accepter de vivre dans une maison mitoyenne. [Sondage FFC / IFOP – janvier 2022]

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