Le stade de foot, une espèce en voie d’extinction ?
Centres de gravité sociale et culturelle de nombreuses villes françaises, les stades de football continuent à jouer un rôle structurant pour les territoires. Mais, en dépit de leur popularité, leur place dans les villes est de plus en plus contestée.
Une brève histoire du stade
Il faut remonter à l’Antiquité pour trouver une première trace des stades. Des jeux olympiques aux agoras, ils occupent une fonction hybride, tournée aussi bien vers la pratique sportive, que vers le rassemblement populaire et la représentation politique.
Pendant près de 1 500 ans, à la suite de la chute de l’Empire grec, les stades perdent progressivement leur fonction sociale structurante et tombent en désuétude. Ce n’est qu’à la fin du XIXᵉ siècle, à la faveur du développement du loisir sportif, qu’on les voit réapparaître dans le paysage urbain. Très vite, ils redeviennent les espaces de célébration et de rassemblement qu’ils représentaient dans l’Antiquité, capables de favoriser le brassage social autour de la passion sportive.
Que l’on pense au stade Vélodrome à Marseille, à celui de Geoffroy Guichard à Saint-Étienne, ou encore au Stadium de Toulouse, le sacre populaire du football au cours du XXᵉ siècle se traduit par la construction d’infrastructures massives dans la plupart des grandes villes françaises.
Vecteurs de cohésion sociale, les stades participent intensément à la construction de l’histoire et de l’identité des villes. Comme l’explique Nicolas Hourcade, sociologue spécialisé dans les supporteurs de football, les habitants des villes nouent des liens intimes avec les grands stades. Souvenirs familiaux ou amicaux, ces enceintes sportives emblématiques permettent, contrairement aux idées reçues, de brasser de larges pans de la population.
Lieux d’émotions collectives, ils ouvrent également un champ à l’expression collective : à travers la célébration, les supporteurs s’expriment et contribuent à forger une sous-culture propre, le « supportérisme ». Cette utilité sociale se retrouve à l’échelle plus réduite du sport amateur, voire du sport de rue (city stades, stades de quartier…) : “le sport possède un nombre conséquent de vertus pour répondre à des problématiques sociales et faire briller les villes” souligne Jean-Jacques Pazdzior.
Les stades en proie à des difficultés croissantes
Si les stades de football ont progressivement acquis une place prépondérante dans l’écologie des villes, leur avenir semble aujourd’hui s’écrire au conditionnel. Car leur fonctionnement, gourmand en ressources financières comme naturelles, soulève un certain nombre d’interrogations sur la pérennité du modèle.
Frais de rénovation exorbitants pour les collectivités, réserves foncières, nuisances sonores et dégradations : la présence des stades de football au cœur des villes n’est pas sans générer de crispations, jusqu’au contribuable lui-même. Signe des temps, de nombreux stades, petits comme grands, ont dû fermer leurs portes au cours des dernières années.
Alors qu’une large majorité des grands stades français ont été construits dans la première moitié du XXᵉ siècle, une grande partie de ces derniers sont aujourd’hui entrés en phase d’obsolescence et entraînent la nécessité de rénover, voire de construire.
Quitter le centre-ville pour s’installer en périphérie des villes ?
Récemment, Lyon et Bordeaux ont fait le choix d’investir dans la construction de stades flambants neufs, en périphérie de leur ville, pour pouvoir accueillir plus de supporters et moderniser leur infrastructure. A Lyon, le mythique stade de Gerland, situé dans le 8ème arrondissement, a récemment fait ses adieux à l’Olympique Lyonnais à la suite de la construction du Groupama Stadium sur la commune de Décines-Charpieu. Aussi, conséquence de ce déménagement, le quartier de Gerland s’en trouve modifié. Le stade accueille désormais le club de rugby de la ville, le LOU rugby. Pour les supporteurs de ces deux clubs, leurs habitudes sont bouleversées : les lieux de sociabilités, restaurants et bars, situés à proximité de l’ancien stade, ont perdu grand nombre de leur clientèle les soirs de match de football.
La décision de déplacer les infrastructures en périphérie des villes soulève néanmoins de nombreuses interrogations ayant trait à l’aménagement du territoire et à l’évolution des usages des habitants.
Il faut tout d’abord noter que ce mouvement de délocalisation des stades entraîne une moindre accessibilité pour les supporters, rendant l’offre de transports en commun inadaptée, tant au plan des infrastructures qu’à celui des services. L’accès au nouveau stade de l’Olympique Lyonnais est par exemple assuré par une seule ligne de tramway, diminuant de loin son accessibilité.
Les retombées commerciales et sociales de la délocalisation d’un stade sur ancien quartier d’implantation soulèvent un deuxième enjeu : le risque de dévitalisation. Les lieux de sociabilités, restaurants et bars situés à proximité de l’emblématique stade Gerland ont par exemple perdu une large part de leur clientèle les soirs de match.
En creux, la dévitalisation des quartiers historiques pose la question de la vitalisation des nouveaux quartiers d’implantation des stades. Comment favoriser l’appropriation de nouveaux espaces souvent éloignés des centres-villes, créés ex-nihilo, et permettre à de nouveaux usages de germer dans la durée ? La réponse lyonnaise a résidé dans l’hybridation : le nouveau complexe sportif lyonnais a été conçu de façon à associer le stade à d’autres offres de services et de loisirs destinées à accueillir les supporters dans la durée et à drainer des flux de passants attirés par d’autres usages le reste de la semaine.
Sport en ville : une nouvelle histoire à écrire ?
Considérés comme symboles du bétonnage, décriés pour leur impact écologique, leurs nuisances pour le voisinage, les stades n’en restent pas moins essentiels à la respiration des territoires. Comment répondre à ces critiques tout en les insérant harmonieusement dans les projets de transformation urbaine ?
À Meudon-la-Forêt, le quartier de la Pointe-de-Trivaux, créé pour accueillir les ouvriers de l’usine Renault dans les années 60, est en pleine transformation. Le parc immobilier tout comme les infrastructures éducatives et sportives du quartier d’origine connaissent de profonds travaux de réhabilitation. Afin de renforcer l’attractivité du quartier, la collectivité fait le choix de renforcer le pôle sportif en implantant sur le toit de la patinoire un stade de football.
Une solution aussi harmonieuse qu’astucieuse, permettant d’optimiser le foncier du quartier tout en proposant aux habitants une offre sportive complète, intégrée et de proximité (squash, padel, patinoire, football).
Au Havre, la municipalité a quant à elle décidé de réimplanter un complexe sportif en cœur de ville. À la suite de la destruction des tours de la cité Chicago du quartier de la Vallée-Béreult, dont la fin est programmée en 2022, la municipalité prévoit l’implantation d’un vaste espace sportif paysager, qui devrait accueillir pas moins de 3 stades en 2024.
Ces deux exemples illustrent la tendance de la ville réversible : au Havre comme à Meudon-la-Forêt, la tendance qui se dessine est celle d’une hybridation des usages par laquelle le stade de foot devient le support d’activités diverses s’enracinant autour de la pratique sportive. Dorénavant, le stade de football est non seulement un lieu où l’on pratique le football, mais également un endroit où l’on sociabilise, un lieu pleinement inséré dans le paysage urbain, capable d’entrer en interaction avec des usages connexes à la pratique sportive (commerces, etc.)
Plus que de s’éteindre, les stades de football cherchent encore leur voie entre gigantisme des clubs professionnels et proximité des stades amateurs. A cheval entre ces deux orientations, la transformation urbaine hérite en définitive de la dynamique de polarisation interne à l’économie du football.