Le renouveau de La Défense : oui mais comment ?
Télétravail, transition écologique, réorientations professionnelles : La Défense fait face à de nombreuses mutations accentuées par la crise du Covid. Comment réinventer ce quartier devenu l’un des symboles de l’économie française ?
Premier quartier d’affaires d’Europe par l’étendue de son parc de bureaux, la Défense traverserait une « crise existentielle », selon Le Monde qui évoquait en juin dernier des « tours à moitié vides, un parvis déserté, des restaurants sans clients ». Selon Paris La Défense, l’établissement public qui gère le quartier, 25 % des 180 000 personnes qui travaillaient dans cette zone avant la pandémie de Covid-19 ne sont pas retournés travailler.
La démocratisation du télétravail, initialement imposée pour raisons sanitaires et rapidement adoptée, explique en grande partie cette situation mais pas seulement, comme le montrent les travaux de La Défense en Perspectives. Cette chaire universitaire pluridisciplinaire est le fruit d’une collaboration entre l’Université Paris Nanterre et différents partenaires du monde économique. Initiée en 2019, elle vise à nourrir les orientations stratégiques permettant d’accroître l’attractivité des entreprises et des territoires, dans un contexte post-Brexit de compétition entre Paris et Londres.
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Cœur du réacteur économique
Maître de conférences à l’UFR de Sciences Psychologiques et Sciences de l’Éducation de l’Université Paris Nanterre, Sophie Prunier-Poulmaire est co-responsable de la chaire. En tant qu’ergonome et psychologue du travail, elle analyse des situations professionnelles afin de proposer des améliorations (aménagements de l’espace, organisation…) qui préservent à la fois la santé des salariés et l’efficacité de l’entreprise. Selon elle, « La Défense reste un symbole fort, avec une image de cœur du réacteur économique », notamment à l’étranger. Une analyse comparative réalisée à partir de mentions dans la presse et les réseaux sociaux montre d’ailleurs que l’image du quartier est plus forte et positive outre-Manche qu’en France.
En mars 2020, le premier confinement donne une nouvelle dimension au projet, et suscite de nouvelles études autour du distanciel, du sens du travail, de l’attachement à l’entreprise et au quartier. « Ce n’est pas uniquement l’architecture marquée par ses grandes tours que certains des salariés ont fui, c’est le travail dans sa forme actuelle », avance Sophie Prunier-Poulmaire. Et d’ajouter : « les jeunes générations aspirent à plus d’horizontalité dans les relations humaines, en particulier au travail. Il y a, pour beaucoup, une attente d’aplanissement des pyramides hiérarchiques, et de ce point de vue-là, La Défense symbolise clairement autre chose, nos études en attestent ».
Un modèle obsolète, mais un « Chemin » pour le renouveau de la Défense
Parallèlement aux études menées par la chaire, d’autres initiatives se développent pour proposer des pistes de réflexions sur l’avenir du quartier. C’est le cas du projet « Le Chemin » initié par l’assureur Groupama qui, de sa propre initiative, a mobilisé des ressources pour proposer un réaménagement complet du quartier. Cinq cabinets d’architectes avaient été sollicités, ainsi que des experts comme le sociologue Jean Viard et Sonia Lavadinho, fondatrice du bureau d’expertise bfluid. Géographe de formation, cette spécialiste de la ville multimodale dispose d’un solide bagage en sociologie et anthropologie urbaines. Pour elle, « le modèle global qui a inspiré La Défense, basé sur le zoning et la mono fonctionnalité, est bien entendu obsolète ».
L’expert souligne que le quartier « manque cruellement de fluidité dans l’écoulement de ses espaces-temps, il est compliqué de glisser d’un temps à l’autre, car les rythmes restent disjoints et les transitions trop saccadées : cela contribue beaucoup au sentiment d’artificialité qui y règne ». Pour y remédier, des architectes du projet Le Chemin avaient imaginé des « piles », sortes de structures légères végétalisées pour lier entre elles les tours via des sentiers.
Le premier quartier d’affaires post-carbone du monde ?
Censées inspirer les pouvoirs publics, les propositions des architectes du Chemin ont depuis fait place à des annonces officielles : en début d’été, Paris La Défense a dévoilé le projet « Le Parc ». L’objectif est ambitieux : transformer l’Esplanade de La Défense en un parc urbain de 5 hectares en amplifiant la place du végétal, en transformant le sol, en animant les espaces, tout en valorisant son patrimoine pour devenir le « premier quartier d’affaires post-carbone au monde ».
En bref, le Parc 'est :
👉5⃣hectares
👉6⃣0⃣0⃣ mètres de longueur
👉4⃣5⃣0⃣ platanes et tilleuls conservés
🌿 Soit un total de 6⃣0⃣ % des surfaces de l'Esplanade végétalisées🌺 pic.twitter.com/0wdkn3ajKF— Paris La Défense (@ParisLaDefense) June 28, 2022
Les travaux de ce futur parc de 5 hectares débuteront en 2024, en visant une livraison échelonnée à horizon 2026, avec d’ici là différents temps de concertation avec les riverains et les usagers. Est-ce qu’un tel projet suffira à garantir le retour progressif des salariés dans les bureaux et le renouveau du quartier ? L’une des études de la chaire La Défense en Perspectives porte sur l’attachement au quartier. Selon Sophie Prunier-Poulmaire, pour les salariés interrogés, « c’est la qualité des relations au travail – le fait qu’elles soient basées sur la confiance, chaleureuse et sans friction – qui est citée comme priorité, devant la végétalisation des lieux, les services type conciergerie ou les accessoires type babyfoot au bureau ».
D’après les témoignages recueillis par les chercheurs, rivaliser d’innovation architecturale et éco-responsable est nécessaire mais insuffisant pour redonner aux quartiers d’affaires leur attractivité. « Il faut que les entreprises se penchent sur le contrat moral passé avec leurs salariés, qu’elles réfléchissent à ce que travailler chez elles signifie réellement, autant pour recruter les talents de demain que pour fidéliser ceux qui y sont déjà », estime l’universitaire. « Trouver un sens à ce que l’on fait quotidiennement, être en accord avec ses valeurs personnelles, se sentir chaque jour utile dans son entreprise, comme pour la société tout entière, est devenu vital. »
Si le cadre et les loisirs proposés sur site ont leur importance, cette fidélisation passera donc également par un renforcement du lien social. À l’heure du flex office (bureau flexible) clairement peu plébiscité par les salariés interrogés, une rénovation de l’organisation du travail semble tout autant nécessaire que celles des tours de bureaux.