Le confinement nous ramène à l’échelle de la rue pour bien vivre en ville
Marie et Mïa sont deux étudiantes en entrepreneuriat à l’Université Paris-Dauphine qui ont décidé de partir observer les initiatives urbaines de 6 villes d’Amérique du Nord ! Le confinement les a conduites à repenser leur projet et à s’intéresser aux nouvelles conceptions de la ville de demain, depuis leur domicile. Pendant 6 mois, Envies de ville va suivre et publier les réflexions et les découvertes de ces deux reporters autour des innovations en termes d’urbanisme.
Confinement annoncé, projet avorté. Après avoir arpenté Montréal et Toronto, nous prenons à nouveau l’avion. Retour à la case départ : l’occasion de creuser de nouvelles pistes, de pousser certaines réflexions, de repenser certaines pratiques découvertes… En bref, d’imaginer d’autres futurs possibles pour les villes de demain.
Le virus a balayé toutes les règles établies et nous montre que d’autres modes de vie sont possibles. Les citadins qui ont l’habitude de parcourir plusieurs kilomètres quotidiennement pour travailler ou faire leur course économisent désormais ce temps, qu’ils peuvent consacrer à d’autres occupations. Nouveau rapport au temps et à l’habitat, on prend alors conscience d’autres priorités, entre autres, celle de se retrouver avec soi-même et avec ses proches.
On vit dans un rayon d’un kilomètre : l’échelle n’est plus la même, notre espace de vie n’a plus rien à voir avec ce que nous avons l’habitude d’avoir. Comme la temporalité, la notion de proximité est bouleversée. Cela nous conduit à imaginer des espaces plus restreints au sein des villes : des quartiers autonomes qui, agrégés, forment une ville. Dans chacun de ces espaces restreints, chacun doit être capable de répondre à ses besoins et d’exercer sa profession comme ses loisirs. Ce concept, c’est celui chercheur en innovation pour la ville Carlos Moreno. En proposant une vision de la ville polycentrique, qu’il appelle la « ville quart d’heure », les déplacements sont choisis et non plus subis. Cette configuration permettrait à chacun de remplir ce que le professeur appelle les « 6 fonctions urbaines : se loger dignement ; travailler, produire dignement ; être en mesure d’accéder à son bien-être ; s’approvisionner ; apprendre ; s’épanouir » dans un espace restreint. Un concept qui fait non seulement sens aujourd’hui pour les urbains contraints de rayonner dans un espace réduit mais aussi pour mieux endiguer la crise écologique, dont les villes sont majoritairement responsables. Ainsi, en créant de nouvelles dynamiques au sein des quartiers, les habitants bénéficieraient d’une telle configuration, au même titre que l’économie locale et que l’écologie.
Utopiste il y a quelques temps, cette vision de la ville semble aujourd’hui plausible, si ce n’est souhaitable. Mais cette notion de proximité ne doit pas uniquement impliquer de repenser les infrastructures ; si les repenser est indispensable pour espérer changer d’échelle, c’est la proximité entre les habitants qui permettra de renforcer le tissu local. La sociologue et urbaniste autodidacte Jane Jacobs avait déjà exprimé il y a grand nombre d’années la nécessité de construire des villes denses, favorables à la mixité sociale et à l’échange. Dans sa conception de la ville, le développement d’un tissu local fort apparait indispensable et le « retour à la rue » est un moyen d’y arriver.
Une plus grande mixité sociale dans la ville de demain
Un écrivain tchadien, Moustapha Dahleb, écrivait il y a quelques semaines sur la façon dont ce virus venait « chambouler l’ordre établi », il expliquait que « nous sommes tous embarqués dans le même bateau, riches et pauvres ». Alors, s’il est vrai que cette pandémie n’épargne personne, ni même les représentants politiques, celle-ci ne touche pas de la même manière tout le monde. Au contraire, elle met en exergue des disparités qui existent en ville depuis bien longtemps. Certaines personnes se retrouvent beaucoup plus exposées à la crise et à ses conséquences à venir : selon l’âge ou la classe socio-professionnelle, l’expérience n’a rien à voir. Pour pallier ces disparités, aider les personnes les plus exposées et les personnes dont les conditions sont les plus précaires, de nombreux élans de solidarité ont déjà été mis en place.
Dans un même quartier cohabitent divers univers urbains : personnes âgées, enfants, personnes sans-abris, adultes, … En temps normal, ces habitants se croisent mais s’ignorent. Chacun mène sa vie, vaque à ses occupations, sans se préoccuper de son voisin de palier ou du centre pour personnes âgés en bas de la rue. La mixité sociale est aujourd’hui inexistante dans la majorité des quartiers. Au-delà de la « fête des voisins », dont certaines peinent d’ailleurs à les rassembler, les échanges de biens ou de services entre habitants de quartier sont rares voire inexistants. Aujourd’hui, la crise sanitaire nous invite à reconsidérer nos voisins, dont certains sont fragiles et isolés. Et les initiatives se multiplient : distribution de produits de première nécessité aux plus démunis ou aux voisins les plus fragiles, préparation de repas aux soignants, maintien d’un lien avec les personnes isolées, …
Ces élans de solidarité nous montrent la nécessité de renforcer le tissu social et de favoriser la mixité sociale dans les villes de demain. Si cet enseignement peut être tiré de la crise, certains acteurs travaillent déjà à atteindre ces objectifs. À Montréal, nous avions rencontré Jérôme Glad, co-fondateur de La Pépinière – Espaces collectifs, un organisme incontournable du mouvement de placemaking au Canada. Le but de cet organisme est de développer ce qu’il appelle la « seconde couche ». Les aménagements des espaces sont la première couche, indispensables mais pas suffisants pour engager la formation d’un tissu social fort. Pour renforcer celui-ci, il faut engager tout le monde et créer un sentiment d’appartenance pour briser l’isolement social. Le but est de créer des projets simples et facilement accessibles qui s’ancrent dans la dynamique socioculturelle du quartier où il est situé. L’un des projets phares de l’organisme est le Village au pied du courant. Né d’un projet de réappropriation citoyenne, cet espace convivial rassemble à l’été de nombreux résidents du quartier, sans considération d’âge ou de catégorie socio-professionnelle. En France également, plusieurs acteurs travaillent pour renforcer la mixité sociale de quelques quartiers. La réussite de certains projets n’est plus à prouver, comme c’est le cas avec Les Grands Voisins à Paris ou Coco Velten à Marseille entre autres. Centres d’hébergements, accueil de jour, espaces pour les entrepreneurs sociaux, restaurants solidaires d’insertions… ces tiers-lieux aux usages multiples font cohabiter des habitants qui n’ont pas l’habitude de se rencontrer. Ces deux espaces hybrides, connectés à leur quartier, accueillent divers projets, acteurs et habitants et créent ainsi une nouvelle dynamique locale, tout en favorisant la mixité sociale.
Une association parisienne a bien compris cette nécessité de proximité : les Hyper Voisins, laboratoire d’innovation sociale du 14ème arrondissement de Paris – renforce le lien social entre plus de 15000 voisins. L’association connecte les habitants entre eux en créant des évènements locaux et en les faisant participer dans des projets de quartier, tels que le lancement du Quartier zéro déchet avec l’installation de composteur ou la mise en place d’ateliers pour apprendre à créer ses propres cosmétiques, ou encore la Table d’Aude qui rassemble chaque année plusieurs centaines d’habitants, sans condition d’accès. L’association crée une nouvelle énergie dans ce quartier, celle de la solidarité !
La conception de la ville à l’ère du confinement
Le confinement nous invite à imaginer une nouvelle conception de la ville, où la proximité et la mixité sociale seraient indispensables à l’équilibre de la ville et de ses habitants. Paradoxalement, dans un monde hyper-connecté, nous avons perdu le lien social fort qui pouvait exister avant. Repenser la proximité de la ville est un moyen indéniable de retrouver ce tissu local. En recréant une dynamique locale, en rendant les infrastructures plus polyvalentes, les habitants des quartiers seront plus à même de se croiser et d’échanger, renforçant ainsi la mixité sociale, elle-même indispensable dans la ville de demain.
Nous nous interrogerons dans le prochain article sur la manière dont les villes peuvent se transformer, en regardant de plus près le rôle de l’urbanisme tactique et les conséquences de la crise que nous traversons !