Publié le 12.05.20 - Temps de lecture : 6 minutes

Le confinement nous a amené à porter un autre regard sur le paysage urbain quotidien

Le jour d’après est une série d’interviews et de tribunes qui portent un regard sur les enseignements que nous pourrons tirer, demain, de la crise sanitaire que nous vivons actuellement. Quels nouveaux besoins, quels nouveaux usages et relations sociales s’organisent dans ce contexte sans précédent ? Comment les initiatives positives créées par cette situation inédite peuvent-elle constituer des enseignements durables pour plus d’urbanité et une meilleure qualité de vie en ville ? Urbanistes, sociologues, géographes, architectes, mais aussi start-upper nous éclairent de leurs regards multiples sur l’urbanité bousculée que nous vivons aujourd’hui, pour inspirer durablement celle de demain.

Experts, observateurs, usagers de la ville, si vous souhaitez participer à la série #Lejourdaprès, écrivez-nous sur contact@enviesdeville.fr.

Formé en tant qu’architecte, l’artiste Bench s’interroge sur la ville et notamment la ville “reconstruite”, à l’image de Saint-Lô, dans la Manche, sa ville d’adoption. Il est à l’initiative d’ un concours de photos sur facebook qui invite les habitants à envoyer les plus beaux clichés vus de leur fenêtre. Une manière de faire regarder la ville différement, une façon de détourner, artistiquement, la contrainte du confinement mais aussi de porter une réflexion sur la perception du paysage urbain quotidien.

Pourquoi, en tant qu’artiste avez-vous choisi de vous intéresser à la ville ? Et plus particulièrement, à l’architecture de la reconstruction ?

J’ai toujours été sensible à l’art et à l’architecture avant même de passer le concours d’entrée de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Normandie. Je suis originaire du Havre, ville reconstruite, qui a su avec le temps transformer son image de zone industrielle et portuaire en cité culturelle émergente au regard du reste du monde. Son centre ville gris, bétonné et rectiligne fait l’objet depuis plusieurs années d’une reconnaissance qualitative des matériaux choisis à l’époque de la reconstruction. La ville continue d’inspirer de nombreux artistes de tous les milieux. La lumière et la météo agissent sur le béton et donc sur le regard qu’on lui donne offrant ainsi une palette de couleurs particulière et évidentes lorsque l’on souhaite retranscrire visuellement ce que l’on ressent de la ville.

Quand je décide de m’installer à Saint-Lô il y a 5 ans, je retrouve ce que j’ai observé en grandissant, à plus petite échelle. J’ai pris le temps de comprendre la ville et son histoire. J’ai également rencontré ses habitants et entendu leur discours parfois négatifs à l’égard de leur centre ville reconstruit. Une mission s’est alors imposée à moi: convaincre les saint-lois de changer leur opinion sur ce qu’est devenue l’architecture de la reconstruction par le biais d’une série de tableaux très colorés représentant la ville. Ce qui a donné naissance à une première exposition intitulée « Drôle de ville » pour laquelle j’estime avoir montré aux habitants ce qu’ils avaient déjà devant leurs yeux.

Pour quelle raison avez-vous choisi de demander aux gens de prendre en photo la ville, depuis leurs fenêtres ?

Je suis passé en ville le lundi précédent la mise en vigueur du confinement, il n’y avait pas grand monde dehors et cela me paraissait déjà plutôt désert. J’ai donc décidé en rentrant chez moi de re-poster, sur ma page Facebook, mes tableaux qui mettent en valeur l’architecture et dans lesquels je ne représente pas de personnages, de voitures et très peu de végétation. Cela m’a semblé logique de faire le parallèle entre les rues vides du centre-ville et celles illustrées dans mes œuvres.

Une semaine se passe et le besoin de sortir se fait ressentir. C’est alors que j’ai l’idée de proposer sur ma page un concours en demandant aux confinés de m’envoyer une photo sur l’extérieur depuis leur fenêtre, terrasse ou balcon s’ils pensaient avoir une vue atypique à partager. C’était un moyen pour moi de « sortir de chez moi » par procuration mais aussi pour les participants d’ouvrir leurs fenêtres pour s’aérer l’esprit en jouant avec moi. Après un peu plus d’une semaine j’ai comptabilisé environ 50 photographies reçues et depuis cela continue.

Cela me plaît beaucoup de savoir que les personnes qui ont participé ont été sensibles à l’idée. Je les imagine en train de contempler ce qui les entoure au quotidien à la recherche d’un bon cadrage photo au lieu de subir le fait de devoir rester à la maison sans occupation, défi réussi !

Sur quoi porte votre travail habituellement ?

Je travaille dans un cabinet de maîtrise d’oeuvre en bâtiment dans lequel je suis dessinateur-concepteur. Au cours de mes études et de mon parcours professionnel j’ai acquis des compétences infographiques que j’utilise aujourd’hui pour Bench, mon activité secondaire.

J’ai toujours eu en moi le besoin et l’envie de créer, j’ai pu ainsi participer à l’élaboration de plusieurs projets architecturaux dont je suis très fier. Il faut être honnête, de nombreuses commandes, nécessaires aux ressources d’une entreprise, ne font pas appel à une grande créativité.

Bench a toujours été en moi mais est apparu au public il y a 2 ans. A travers mes tableaux je suis libre de montrer ce que je souhaite, on aime ou on n’aime pas ! On s’identifie, on est sensible ou on ne s’y intéresse pas. Pour moi c’est un besoin de produire et de partager ma réflexion, à mon niveau, et mon analyse des villes et de leur architecture tel que l’on peut la percevoir aujourd’hui.

Avec le confinement, les rues se sont vidées et la ville s’est métamorphosée. Qu’est ce que la ville a à nous raconter pendant cette période de crise  ?

J’ai la certitude sur le fait que la ville que nous habitons, le logement dans lequel nous vivons, les trajets quotidiens que nous réalisons conditionnent qui l’on est réellement et qui l’on devient. Dans notre habitation nous effectuons des gestes automatiques comme fermer une porte avec le pied, allumer la lumière avec le coude, j’en passe. C’est identique au parcours que nous faisons dans la ville lorsque nous nous rendons quelque part quotidiennement.

Parfois, on peut sortir de chez soi pour aller à un endroit et réfléchir durant tout le trajet, dans notre bulle et se rendre compte une fois arrivé que nous sommes à destination. C’est le moment de penser à nous réapproprier notre ville, nos besoins et nos méthodes de vie citoyennes.

Aujourd’hui, avec le confinement, nous repensons nos déplacements. On optimise nos rares sorties pour lesquelles le chemin se dessine mentalement avant de l’emprunter. Une fois dehors, on observe le silence de la ville, on échange des regards avec ceux que l’on croise. Le contact social est altéré. Fini le pilote automatique et c’est une bonne chose ! On apprécie le fait d’être à l’extérieur et c’est le moment parfait pour lever la tête et admirer ce qui nous entoure.

Nous sommes les acteurs de notre ville et le décors s’est vidé pour nous donner du temps à la réflexion. Nous pouvons donc repenser notre rôle à jouer quand l’heure du retour viendra.

Nous ne vivons plus dans la ville, mais nous prenons le temps de l’observer depuis nos fenêtres, qu’est ce que ce changement de point vue peut provoquer dans notre et votre perception de l’urbain ?

Que nous vivions à la campagne, en banlieue ou en centre ville, nous sommes aujourd’hui davantage sensibles à la lumière qui diffère tout au long de la journée. On redécouvre l’espace qui nous entoure et son ambiance visuelle et sonore. Ceux qui ont la chance de profiter chez eux d’un extérieur se sentent privilégiés. Les autres qui « subissent » le manque d’ouvertures dans leur habitation se réinventent un mode de vie, ils cherchent peut-être plus à communiquer, s’exprimer.

La ville est conçue sous la même forme de pensée. L’espace urbain contient des zones densément bâties associées à des respirations spatiales. Ces dernières sont vitales pour le citadin qui aujourd’hui observe par sa fenêtre le parc dans lequel il avait l’habitude d’aller courir, le banc sur la place piétonne où il s’asseyait avant d’aller prendre son métro. C’est peut-être l’occasion donnée à chacun pour apporter à sa vie l’outil de bien-être qui lui manque. Nous devons rester chez nous et nous contenter d’un espace réduit, il faut donc l’optimiser avec de nouvelles idées et des utilisations repensées.

Je crois qu’il faut prendre les événements actuels comme une chance et reconsidérer ce qui est essentiel aussi bien pour la conception de notre logement que pour celle de l’urbain et ce dont il nécessite.

Nos rapports avec la ville sont donc en train d’évoluer, à votre avis qu’est ce que cela changera à la fin du confinement et de la crise ?

Je suis généralement optimiste et j’aime à penser qu’un grand chamboulement planétaire sera la clé qui ouvrira la porte sur l’humanité nouvelle favorisant l’entraide et la cohabitation On nous montre des images d’animaux reprenant leurs droits dans des lieux où on ne les voit pas habituellement. Je ne peux m’empêcher d’imaginer les titres de futurs articles où l’on apprend que des battues sont organisées pour chasser et tuer ces « nouveaux habitants ».

Malheureusement, le fait que la nature se régénère en cette période ne sera que temporaire si rien n’est fait. Il faut pourtant comprendre et intégrer dans la conception des villes et notre façon d’y vivre, que c’est à nous de nous adapter à elle et non l’inverse. La nature est source d’inspiration, elle nous parle, nous donne les solutions, et nous devons l’écouter pour les appliquer. Nous devons dès maintenant axer le développement du fonctionnement des villes vers une forme bien plus respectueuse de la nature qu’elle ne l’a été jusqu’à aujourd’hui.

En tant qu’artiste, qu’est ce que cette crise peut provoquer pour votre travail au niveau de l’espace urbain ? Et au contraire de quelle manière l’art peut-il aider pendant la crise ?

Je travaille à partir de photographies de lieux dans lesquels je me suis promené et souvent volontairement perdu afin de trouver une architecture cachée à la volumétrie particulière. J’ai besoin de m’aventurer dans des rues que je ne connais pas, des cours intérieures, où la frontière privée/publique est à peine décelable. C’est là que je puise mes matières premières et aujourd’hui, ce sont les participants de mon concours qui me la fournissent.

Etonnamment, je n’avais pas communiqué autant avec de nouvelles personnes depuis que j’ai diffusé ce jeu. Pour moi, cette « crise » est favorable à la production artistique, je voyage et découvre les villes que je connais ou non. Les participants me partagent ce qu’ils voient et je me sens comme transporté chez eux. Ils me donnent leurs regards sur la ville et s’ils le font, c’est que ce qu’ils me montrent leur est satisfaisant.

Donner son temps à la création artistique pendant le confinement est tout aussi bénéfique que de le faire en dehors de cette période.

Je suis père de famille et mon travail graphique nécessite concentration. L’isolement dont j’ai besoin pour créer m’aide à temporiser le fait d’être confinés avec les autres. A l’inverse, lorsque je partage mes réalisations, cela crée un moment d’échange et favorise la réflexion commune, des nouvelles idées apparaissent alors.

 

Crédits photo : Stephan Dubromel

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