La crise sanitaire va-t-elle nous faire entrer dans l’ère de l’urbanisme tactique ?
Marie et Mïa sont deux étudiantes en entrepreneuriat à l’Université Paris-Dauphine qui ont décidé de partir observer les initiatives urbaines de 6 villes d’Amérique du Nord ! Le confinement les a conduites à repenser leur projet et à s’intéresser aux nouvelles conceptions de la ville de demain, depuis leur domicile. Pendant 6 mois, Envies de ville va suivre et publier les réflexions et les découvertes de ces deux reporters autour des innovations en termes d’urbanisme.
En temps normal, il est relativement difficile d’opérer des changements radicaux dans nos villes. On voit rarement une voie pour véhicules motorisés être réallouée aux mobilités douces du jour au lendemain. L’un des premiers freins à cette disruption urbaine est l’incapacité de se projeter dans d’autres modes de fonctionnement. Pour le lever, il faut l’expérimenter, mais là encore, les obstacles sont nombreux. Et à l’heure où chacun se demande si les changements que l’on voit s’opérer pendant la crise sanitaire sont durables ou non, nous vous proposons d’aborder le sujet de la disruption urbaine. Parce qu’aujourd’hui, des changements sont envisagés, et c’est déjà un grand pas.
Beaucoup voient un rapprochement entre l’urbanisme tactique et les nouvelles installations ou modifications urbaines qui s’opèrent pendant le confinement. Regardons tout ça d’un peu plus près !
L’urbanisme tactique ou comment disrupter nos villes
L’urbanisme tactique est un modèle d’intervention urbaine reposant sur 3 piliers : petite-échelle, low-cost et temporaire, théorisé par Mark Lyndon dans Tactical Urbanism : Short Term Action, Long Term Change (2011). Cette pratique propose la mise en place temporaire d’installations ou plus simplement de modifications dans l’espace public. Comme le souligne le titre de Lyndon, , il s’agit d’abord d’une approche court-termiste, mais sa visée est en réalité beaucoup plus ambitieuse. Remise en question de l’allocation des voiries ou de l’utilisation d’un espace public, l’urbanisme tactique se veut revendicatif et s’impose comme un véritable outil pour imaginer d’autres futurs possibles.
L’une des actions fondatrices du mouvement est celle du collectif Rebar à San Francisco, à l’origine de l’initiative mondiale Parking Day, initiée en 2005. Rebar appelle à la réappropriation, le temps d’une journée, de places de parking. Cette initiative qui questionne l’emprise de la voiture sur les espaces publics, on la retrouve désormais ici en France. Installation d’une piscine à bulle, d’une aire de pique-nique, d’une installation artistique, … Autant d’éléments qui sont à même de réinventer ces espaces bitumés de 2,5 mètres sur 5 ! Derrière ces installations, programmées pour ne durer que 24h, une revendication réelle et de long terme. Les passants ont ainsi l’opportunité d’imaginer ce que pourrait être une ville moins tournée vers la voiture. Des aperçus de futurs possibles qui pourraient, une fois l’événement passé, être toujours désirés. La simplicité des actions n’enlève donc en rien à leur puissance de transformation !
Durant notre périple canadien, nous avions croisé de nombreux autres exemples, notamment à Toronto. Face au manque de mobilier urbain et avec l’idée que les rues ne sont pas juste des moyens pour aller d’un point A à un point B, des jeunes urbanistes ont lancé #SitTO en 2016. Cette initiative consistait à installer clandestinement des chaises pliantes dans l’espace public, la mobilité de ces chaises permettant aux Torontois de les déplacer selon leurs envies. Ce véritable exercice d’appropriation de la ville a livré de précieuses informations sur les besoins et les opportunités en termes d’installations de chaises ou de bancs dans l’espace public, notamment via la publication de photos des chaises sur twitter avec le hashtag #SitTO qui permettait de partager la localisation et la disposition de ces installations. Là encore l’objectif est d’impulser une réflexion et d’inspirer via une intervention temporaire, à bas coût et petite échelle.
Le confinement ou comment vivre la ville différemment
La pandémie qui nous frappe oblige les villes du monde entier à s’adapter. Partout sur la planète bleue, nous sommes contraints de réduire nos trains de vie, de nous distancier des autres, d’adapter nos périmètres de vie. La crise dérogeant au fonctionnement normal de nos villes, nous sommes incités à réfléchir aux fonctions des différents espaces urbains. Elle nous fait imaginer et expérimenter de facto d’autres possibilités.
Jusque-là, la fonction première d’une majorité de rues tenait à la circulation de véhicules à moteur. Les restrictions imposées ont conduit à une évolution temporaire de cette fonction : télétravail massif, suspension d’activités et absence de déplacements ont incroyablement réduits les flux de véhicules. Ces espaces peuvent donc être réinventés dans d’autres buts : le confinement peut nous amener à redéfinir l’utilisation des vois urbaines !
Les habitants des villes ont également besoin d’espace pour pouvoir s’aérer en respectant les règles de distanciation sociale. C’est pourquoi des villes américaines comme Boston ou Oakland ont fermé plusieurs tronçons routiers pour les ouvrir aux piétons et aux vélos et ainsi désengorger les parcs. A même de s’accommoder de la distanciation sociale et adapté aux déplacements dans un périmètre restreint, le vélo n’a jamais été aussi tendance ! Ces évènements ont fait expérimenter aux villes l’utilisation à grande échelle du vélo : avec la crise sanitaire qui nous touche, des pistes cyclables temporaires fleurissent partout dans le monde. Que ce soit via des délimitations temporaires à l’aide de plots, en élargissant une piste cyclable existante ou en fermant des rues à la circulation. En France des villes comme Montpellier et Toulouse, entre autres, s’y sont déjà mises.
Si de nombreux articles rapprochent ces pistes cyclables et autres installation éphémères de l’urbanisme tactique, nous voyons toutefois dans ce mouvement une dimension bottom-up non négligeable. Pour nous, l’essence même de l’urbanisme tactique réside précisément dans le fait qu’il est porté par des citoyens. Cependant son caractère éphémère et frugal, nécessaire pour le déploiement rapide d’actions pendant le confinement justifie ce rapprochement. Tout comme l’urbanisme tactique, ces actions permettent d’ouvrir une discussion sur de futurs aménagements possibles. Espérons donc voir émerger demain de nouveaux plans de circulations plus ouverts aux mobilités douces !
Mais les choses vont-elles réellement changer ?
La situation actuelle nous force à vivre différemment, à changer nos habitudes ; le confinement entrave les fonctionnements habituels des villes et de nos vies. Mais cela nous laisse envisager des futurs différents en nous montrant que oui, on peut vivre différemment ! De nombreux articles explorent ces nouveaux futurs possibles.
Mais est-ce que les choses vont réellement changer une fois le déconfinement annoncé ? Cette question de la durabilité est au coeur de toutes les interrogations.
Cette expérience inédite peut à nos yeux constituer une véritable opportunité ! Nous pensons que le changement peut s’opérer à l’échelle individuelle : via l’adoption de nouvelles habitudes comme le choix de soutenir son écosystème local, de repenser ses déplacements ou de se tourner davantage vers le télétravail. Peut-être que demain, nous privilégierons la marche ou le vélo aux transports en commun. Peut-être que demain nous chercherons à vivre dans de plus petits périmètres ; où l’on peut à la fois travailler, s’amuser, habiter. Peut-être que demain nous accorderons plus d’importance à la vie de quartier, après l’avoir explorée dans ses moindres recoins et y avoir découvert puis tissé de nouvelles solidarités.
Tous ces “peut-être” nous laissent penser que oui, demain il y aura peut-être du changement ! Un changement peut être individuel dans un premier temps, mais qui sur le long terme pourrait faire naître un changement collectif. C’est en tout cas ce que nous osons espérer.