« Le quartier n’est pas qu’un lieu, c’est un état d’esprit »
L’urbaniste écossais David Sim promeut une ville plus apaisée et vivante grâce à la « soft city ». L’objectif est de remettre l’humain au cœur de son quartier à travers des aménagements simples, rapides à mettre en œuvre et peu coûteux.
L’approche de la « soft city » met l’accent sur le bien-être des habitants et la qualité de vie dans les villes. Popularisée par l’urbaniste David Sim dans son ouvrage « Soft City : Building Density for Everyday Life », elle s’appuie sur des principes tels que l’accès à un environnement urbain accessible à tous et agréable, tout en étant résilient face aux effets du changement climatique. « Les lieux et la vie urbaine sont souvent ressentis comme difficiles, et c’est souvent le cas. Pourtant, les villes peuvent être des lieux d’invitation, d’innovation, de créativité et de tolérance », affirme l’urbaniste. Comment ? « Il y a tant de choses simples qui ont fait leurs preuves, des solutions gratuites ou du moins assez bon marché à fabriquer, d’utilisation intuitive, qui ne nécessitent pas d’énergie ni de technologie. Tout cela aide d’une manière ou d’une autre à rendre plus humains les lieux où nous vivons. »
Aménager à l’échelle humaine
À l’échelle du micro-quartier, c’est sur l’immeuble ou la résidence que vont se porter les efforts pour tendre vers un environnement plus doux. C’est le cas de la cour d’immeuble, qui peut devenir un havre de paix. David Sim, lors d’une conférence à l’Université de la Ville en 2022, l’envisage « plus propre et plus verte. Les enfants peuvent jouer dehors. Sa végétalisation la rend plus fraîche en été et plus tiède en hiver, ce qui permet à ses usagers d’en jouir plus souvent et plus longtemps. Il s’agit également d’un endroit protégé du bruit ambiant de la ville. »
Ces aménagements relèvent souvent de la compétence du promoteur immobilier. En faisant le choix de cultiver des communs partagés entre les habitants et les riverains, on crée des conditions favorables au lien social. Les pieds d’immeuble peuvent ainsi être vivifiés en les rendant plus ouverts : « Personne ne veut vivre au rez-de-chaussée. Mais on peut aménager ces espaces pour les rendre partagés, avec une terrasse ou un jardin. Cela les rend plus attractifs, car les usagers ont le sentiment d’être comme à la maison, un peu chez soi, mais en même temps avec la possibilité d’entrer en interaction avec leurs riverains. » En implantant, par exemple, des commerces, cafés, crèches ou encore tiers-lieux associatifs, espaces collectifs par excellence, ils peuvent être source de création culturelle et artistique, en proposant des expositions, des projections de films ou des concerts. Des lieux emblématiques de certains quartiers, comme La Cité Fertile à Pantin ou Verdragon à Bagnolet, illustrent l’ancrage territorial, créateur d’une vie locale plus douce et apaisée.
Priorité aux piétons
Lorsqu’il aborde le sujet des transports, David Sim se réfère évidemment à la « ville du quart d’heure », concept formulé et défendu par le professeur Carlos Moreno. En rappelant ses principes, l’urbaniste écossais détaille comment l’aménagement de la ville peut rendre les temps de déplacement plus doux. L’expérience des ZFE-m (zones à faibles émissions mobilité) dans plus d’une dizaine de métropoles françaises tend à réduire l’omniprésence de l’automobile en ville pour rendre l’espace aux autres formes de mobilité. « La continuité du trottoir et de la route redonne la pleine priorité aux piétons, qui n’ont plus besoin de s’arrêter pour traverser », illustre David Sim. « La distance de marche est parcourue plus rapidement, ce qui constitue un gain de temps au quotidien ! Nos enfants peuvent se rendre seuls à l’école, à l’autre bout du quartier ou même au-delà, sans même avoir à traverser la route : c’est un moyen d’autonomisation pour eux, et une libération de temps pour leurs parents. C’est simple, rapide à mettre en œuvre, peu cher, et ça rend la ville plus douce en faisant gagner du temps à tous, des enfants aux plus âgés d’entre nous. »
Se libérer de la voiture individuelle requiert un maillage serré de bus, tramways ou métros pour se déplacer en ville. La soft city, c’est aussi l’aménagement de zones résidentielles ou commerciales destinées à favoriser l’usage des transports en commun. Ces zones, développées autour d’un hub de transport (gare, station de tramway…) et d’un rayon généralement compris entre 400 et 800 mètres, sont adaptées à la marche. Ce principe est dénommé TOD (Transit-Oriented Development en anglais). On en retrouve les caractéristiques dans la plupart des villes nouvelles construites après 1945 en Europe, ou dans certaines villes périurbaines danoises et hollandaises, qui ont décidé dès leur origine d’accorder une place essentielle au vélo et aux transports en commun. Et David Sim de citer l’exemple de Melbourne qui, « avec sa forme dite « barcelonaise linéaire », se densifiant le long des voies de communication, montre qu’un système multi-fractal peut évoluer dans le temps, tout en assurant une échelle humaine et une diversité d’usages, et à un rythme approprié pour la communauté locale. »
À lire aussi
- « Smart City » ou « Ville Zéro » : quel est l’objectif pour nos collectivités ?
- Végétalisation : les “leçons vertes” d’Amsterdam
Végétaliser les espaces pour rendre la ville plus agréable
La soft city vise donc à redistribuer l’espace en ville, au profit de ses habitants mais aussi de la nature. Car les espaces verts offrent des lieux agréables à fréquenter. Les parcs, jardins publics ou encore toits-terrasses contribuent à améliorer le cadre de vie des citadins en apportant calme et fraîcheur dans nos villes. Les forêts urbaines, popularisées par le botaniste japonais Akira Miyawaki, en cours de plantation à Paris ou certains quartiers de Bordeaux, ont aussi pour objectif d’atténuer les effets délétères des canicules en ville. Ces endroits permettent également aux personnes qui n’ont pas accès à un jardin individuel de pouvoir bénéficier du contact avec la nature sans quitter leur quartier. David Sim confirme : « végétaliser les espaces permet de manière extrêmement simple de rendre la ville plus habitable. Brisbane (Australie) est une des villes les plus chaudes du monde, pourtant les aménageurs ont réussi à rendre les espaces de circulation plus frais grâce à des ombrières et des arbres. »
« En France, l’urbanisme s’écrit avec un U majuscule », sourit l’Écossais. « Il est traité comme une discipline technique et complexe, mais on peut aussi penser l’aménagement de manière plus simple, plus lente, plus petite, plus douce finalement. »