Itw Sonia Lavadinho : une rue piétonne et commerçante de centre ville
Publié le 02.07.24 - Temps de lecture : 4 minutes

Sonia Lavadinho : « L’échelle proposée doit être l’échelle de la marche »

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Anthropologue et géographe, Sonia Lavadinho s’intéresse à la dimension sociale des mobilités dans l’espace public. Elle prône la transformation de la ville fonctionnelle en ville relationnelle, concept qu’elle lie avec le développement durable.

  • Sonia Lavadinho explique que la ville à hauteur d’homme permet de reconnecter les citoyens avec l’espace urbain à une échelle humaine, en valorisant les trois premiers étages des bâtiments pour une expérience esthétique et expérientielle plus riche.
  • Une ville relationnelle favorise les espaces de sociabilité, intègre massivement des espaces végétalisés et valorise les interactions avec la nature pour lutter contre l’isolement et la sédentarité.
  • Lavadinho souligne l’importance de rendre les espaces urbains plus humains en adaptant des concepts comme les ciclovías de Bogotá et la reconversion des autoroutes en parcs urbains, permettant des interactions sociales enrichissantes.
  • Des exemples récents incluent l’extension de parcs existants pour créer des « ruisseaux de fraîcheur », comme à Barcelone et Lyon, ainsi que des initiatives pour transformer les rues en espaces relationnels, telles que les « ruelles vertes » à Montréal et l’accès facile à la nourriture et aux boissons à Nantes.

Qu’entend-on par une ville « à hauteur d’homme » ?

Sonia Lavadinho : Pendant longtemps, les dimensions du réseau viaire et les proportions du tissu bâti des villes permettaient d’accrocher plus naturellement le regard sur les façades et les détails du bâti. En s’étalant tant à l’horizontale qu’à la verticale, la fabrique de la ville du XXe siècle nous a fait perdre le sens de l’échelle humaine. L’ascenseur, ou la possibilité de se mouvoir mécaniquement en verticalité, a sonné le glas de la ville à hauteur d’homme.

La ville à « hauteur de regard » remet au goût du jour cette valeur primordiale. Vancouver, par exemple, comprend dans son plan d’urbanisme un traitement différent des trois premiers étages, qui doivent répondre à une exigence esthétique et expérientielle.

La mécanique permet d’atteindre des vitesses telles que l’espace public nous échappe

Le rapport à la vitesse a également changé. Lorsque les villes se concentraient encore sur un rayon de 5 km, l’heure de marche était la principale unité de mesure. L’étalement urbain et la mécanisation de notre mobilité ont totalement changé le rapport aux distances, si bien que nous faisons sans cesse l’expérience d’une vitesse qui n’est pas la nôtre. Le double pari de la verticalité et de l’étalement urbain va de pair avec une société consommatrice d’énergie, ce qui n’est pas un modèle durable.

Quels sont les attributs d’une ville « relationnelle » et comment se distingue-t-elle ?

Sonia Lavadinho : La ville relationnelle est la ville qui prend soin de ses espaces de sociabilité, et qui cherche à créer du lien avec le vivant. La ville relationnelle passe également par une valorisation du « dehors ». Il faut intégrer beaucoup plus massivement des espaces végétalisés au cœur de la ville, non seulement parce qu’ils assurent la nécessaire fraîcheur qui garantit que la ville restera vivable, mais aussi parce qu’ils sont des moyens efficaces pour lutter contre l’isolement et la sédentarité.

On ne peut pas avoir de bons liens avec les autres, si on n’a pas de bons liens avec soi-même et avec la nature

Les « rues aux écoles » ou les « cours oasis » ouvertes sur les quartiers sont des pistes à suivre pour instaurer des espaces relationnels plus sereins, plus conviviaux et plus solidaires.


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Pourquoi la plupart des villes ne sont-elles pas « relationnelles » ?

Sonia Lavadinho : Les routes départementales, les centres commerciaux ou les accès d’autoroute ne sont pas conçus à une échelle marchable, ce qui induit dans les couronnes périurbaines un rapport déshumanisé et désagréable à l’espace public. Cela n’est pourtant pas une fatalité : la ville de Bogotá en Colombie a voulu rendre l’expérience de l’espace public à grande échelle plus humaine en inaugurant les ciclovías. Ce concept consiste à réserver l’accès aux grands axes routiers uniquement aux piétons et cyclistes chaque dimanche et jour férié. Le phénomène est devenu si populaire qu’il s’est depuis répandu dans d’autres grandes villes de l’Amérique latine. Aux États-Unis, au Canada ou en Corée du Sud, nous avons pu assister à plusieurs dizaines de reconversions définitives d’autoroutes en grands parcs.

Lorsqu’il y a des personnes âgées et des enfants, les rues sont perçues comme plus sûres

Quels sont les exemples récents d’aménagement dont il faudrait s’inspirer ?

Sonia Lavadinho : Le concept de la deuxième peau des parcs, que j’ai proposé initialement dans le cadre de l’accompagnement de l’élaboration de la stratégie Paris Piéton et dont j’accompagne actuellement la stratégie d’implémentation à Bordeaux et à Buenos Aires, est un modèle intéressant à plus d’un titre, car il permet vraiment d’accélérer le mouvement. Il est plus facile d’étendre un parc existant, en reconquérant les rues alentour, plutôt que d’en créer un de toutes pièces. Multipliez cette action par les 30 à 50 parcs dont les villes disposent en moyenne : l’effet de levier est immense… et surtout immédiat. Un deuxième grand levier consiste à transformer les grands boulevards en « ruisseaux de fraîcheur », séquencés par une succession de carrefours végétalisés comme cela vient d’être réalisé à Barcelone ou plus près de nous avec le projet de refonte de la rue Garibaldi à Lyon.

Quels conseils donneriez-vous à des élus afin de fabriquer la ville relationnelle ?

Sonia Lavadinho : L’objectif est de revoir de fond en comble la fonction de chaque mètre carré : à quoi sert cet espace ? Est-il utilisé à bon escient ? Pourrait-on faire mieux ? L’espace est une ressource rare, trop rare pour le réserver uniquement à la ville fonctionnelle. L’idée phare de la ville relationnelle est de renouer avec le rôle profondément démocratique de la cité. Au Canada, Montréal encourage ses habitants à transformer des centaines de rues en « ruelles vertes » et noue des partenariats avec des restaurants riverains de ses parcs pour fournir des pique-niques, tandis qu’en France, c’est Nantes qui s’inscrit en tête sur la question de l’accès facile et gratuit au « boire et manger ».

Une autre façon innovante de penser la ville est probablement de s’emparer de la question nocturne. En raison de l’augmentation des températures, la nuit s’imposera de plus en plus comme un moment nécessaire de respiration et de fraîcheur pour tous les publics. Le créneau 21h-00h doit donc être pensé comme un moment relationnel, avec des animations de proximité et de quartier, notamment dans les périphéries. On y habite certes, mais qu’est-ce qu’on y fait le soir ? Qu’est-ce qu’on y fait le week-end ?

 

Le livre « La ville relationnelle – Les sept figures » de Sonia Lavadinho, Pascal Le Brun-Cordier et Yves Winkin est paru aux éditions Apogée le 3 avril 2024.
Le deuxième livre de la série « La ville relationnelle – Les cinq leviers » paraîtra à l’automne 2024.

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