« Smart City » ou « Ville Zéro » : quel est l’objectif pour nos collectivités ?
Le marketing de la « ville intelligente » gouvernée par l’IA s’est dégonflé, constate avec satisfaction le sociologue Julien Damon. Place désormais à une nouvelle forme de frugalité, qui ne pourra toutefois pas faire l’économie du numérique.
« Smart City ». Un concept familier des experts de la ville, des élus et des administrés, tant ses déclinaisons abondaient ces deux dernières décennies dans les campagnes marketing et les documents stratégiques. Pourtant, le sociologue Julien Damon, professeur à Sciences Po, HEC et à l’École Nationale supérieure de Sécurité Sociale, a constaté que la « ville intelligente » marquait le pas, remplacée peu à peu par une ville « zéro » fondée sur la frugalité.
De quoi cette course au « smart » était-elle le nom ? Était-ce finalement un mirage ?
Julien Damon : À partir du début du millénaire, on a commencé à entendre parler de la « Smart City », par le biais d’experts, mais surtout d’entreprises du numérique comme Cisco ou IBM. Elles développaient des applications pour optimiser la vie quotidienne des individus, des grandes entreprises et des collectivités locales. Elles promettaient par exemple pour ces dernières d’améliorer la gestion de l’eau ou d’aider à la transformation de notre mobilité, tout en surveillant nos agissements plus ou moins légaux. La grande révolution a eu lieu en 2007, avec l’irruption des smartphones sur le marché.
Même s’il y a eu des actions concrètes, cette grande promesse a été sans doute survendue par les experts et les entreprises, au risque de devenir agaçante par certains aspects. On parlait même de remplacer les services municipaux par un grand ordinateur central ! Certes, nos existences sont devenues plus numériques, mais sont-elles pour autant plus écologiques, ont-elles plus de sens ?
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D’où vient cette nouvelle obsession pour le zéro, cette frugalité ? En quoi est-elle révélatrice de nos modes de vies actuels ?
Julien Damon : Il y avait déjà la préoccupation écologique derrière le concept de « ville intelligente ». On estimait que, grâce, aux applications, il serait plus facile de gérer les équipements et que l’empreinte carbone diminuerait à l’échelle individuelle comme collective. Mais on oublie que l’intelligence repose davantage sur les personnes que sur les applications. Si celles-ci sont mal utilisées, tout le concept ne fonctionne pas.
La rupture n’a pas été radicale, mais s’est faite à mesure que disparaissait le mirage de la « Smart city » alors que le monde, l’Europe et la France se donnaient de nouveaux objectifs pour faire face à l’urgence climatique : zéro voiture thermique, zéro carbone, zéro artificialisation des terres. Les grandes entreprises de gestion des villes n’ont pas eu d’autre choix que de s’aligner sur ces objectifs toujours plus ambitieux, et, surtout, toujours plus contraignants juridiquement.
Faut-il pour autant renoncer à l’ambition d’une smart city à l’heure des avancées de l’IA, des progrès en matière de frugalité énergétique ?
Julien Damon : Si l’on met de côté la « smart city » enchantée, il est certain que les applications numériques nous permettront d’atteindre nos objectifs écologiques, en gérant mieux les flux et notre consommation individuelle et collective. Par exemple, les voitures électriques sont avant tout des voitures électroniques !
Y a-t-il un risque de ville à deux vitesses, entre celles qui auront adopté ce mode « smart » des autres, plus petites, bien moins équipées ?
Julien Damon : Je pondèrerais ce risque. Prenons l’exemple du smartphone : il a davantage changé la vie des bidonvilles dans les pays en développement, en permettant de tracer les rues grâce à la localisation des téléphones ou donnant aux habitants l’accès aux banques, que dans les grandes villes françaises où l’amélioration permise par le numérique est plus résiduelle.
À l’inverse, le « zéro » est-il un objectif plus facilement atteignable ? Offre-t-il plus de garanties ?
Julien Damon : Il faut voir que nous sommes passé du concept de la « smart city » au jargon technocratique du « Zéro Artificialisation Net ». Dans les deux cas, on ne voit pas toujours ce que cela veut dire même si le premier est plus « sexy » que le deuxième, qui est juridiquement contraignant. Mais il est tout autant ridicule d’être enchantée par la ville intelligente que d’être paralysé par les contraintes écologiques. Il ne faut pas oublier que les collectivités disposent de puissantes marges de manœuvre pour mettre en œuvre ces objectifs. La sobriété n’est pas un terme affreux, elle peut même être tout à fait intelligente !
À lire sur le site internet des « Échos » la tribune de Julien Damon intitulée « De la ville intelligente à la ville zéro ».