Rencontre avec Christophe Bouillon, maire de Barentin (76) président de l’Association des petites villes de France, sur l'application du « ZAN ».
Publié le 14.02.23 - Temps de lecture : 3 minutes

« La forme actuelle du ZAN risque de creuser les fractures territoriales »

Les maires sont en première ligne de l’application du « ZAN ». Si la majorité des élus locaux partage l’objectif de limiter l’artificialisation des sols, beaucoup d’entre eux sont perplexes sur l’application de la mesure. Rencontre avec Christophe Bouillon, maire de Barentin (76) président de l’Association des petites villes de France.

Vous avez fait part de « la grande inquiétude » des élus locaux quant à la mise en œuvre du ZAN ? Pour quelles raisons ?

Christophe Bouillon : Face à l’urgence écologique, il est indéniable que la lutte contre l’artificialisation des sols n’est plus une option et qu’elle nécessite l’engagement de tous les acteurs, avec au premier plan, bien sûr, les collectivités. Je tiens à souligner que la majorité des maires des petites villes sont déjà très impliqués sur ce sujet, à la fois pour limiter les constructions en dehors des espaces urbanisés mais aussi pour réhabiliter les centres-villes. Dans ma commune de Barentin, nous sommes par exemple en train de mener un grand projet de requalification et de renaturation d’une friche industrielle.

Cependant, des projets comme celui-ci sont difficiles à mener lorsque l’on est maire. Les obstacles sont nombreux : contraintes techniques et réglementaires, manque de financement mais aussi besoin d’ingénierie. Au-delà des projets de requalification des friches, c’est l’ensemble de la mise en œuvre du ZAN qui est source de fortes inquiétudes pour les maires des petites villes. Ces derniers se sentent souvent mal informés et sous-accompagnés face à un dispositif peu lisible et un calendrier difficilement tenable. Il y a également des craintes en matière de lutte contre les inégalités car la forme actuelle du ZAN risque de creuser davantage les fractures territoriales et sociales.


À lire aussi


Quelles seraient les dispositions qui permettraient une application plus réaliste ?

Christophe Bouillon : L’APVF a formulé 15 propositions afin de rendre la mise en œuvre du ZAN possible et plus efficace. Ces propositions visent notamment à clarifier la méthode du ZAN et à permettre un réel dialogue entre les différents échelons territoriaux, que cela soit en assouplissant le calendrier, ou encore en comptabilisant les efforts de renaturation menés par le bloc communal dès 2021, et non 2031, afin d’être davantage incitatif.

D’autres mesures visent à adapter les objectifs du ZAN aux spécificités des territoires et à certains projets d’envergure supra-communaux, nationaux et européens, par exemple certains projets de réindustrialisation ou d’énergies renouvelables d’une certaine ampleur.

Faudrait-il selon vous des mesures adaptées aux petites villes ?

Christophe Bouillon : Oui, cela est nécessaire car à l’heure actuelle, le ZAN ne prend pas suffisamment en compte la diversité des situations territoriales. Dans les petites villes, un projet d’intérêt supracommunal, par exemple un équipement public, risque de consommer toute l’enveloppe d’artificialisation attribuée à la commune seule. Cela risque de dissuader les communes à porter ces projets qui sont pourtant essentiels à la revitalisation de nos petites villes et au maintien des services publics.

Le ZAN actuel ne prend aussi pas en compte les efforts qui ont pu être fournis par les communes au cours de la précédente décennie. Or, dans un esprit d’équité, nous devrions plutôt veiller à ne pas pénaliser ces communes qui ont justement été les moins consommatrices de fonciers durant ces dernières années. Cela est important car le regain d’attractivité des communes petites et moyennes depuis la sortie de la crise sanitaire risque d’être freiné de façon discriminante, alors que la croissance des zones métropolitaines a été encouragée au cours de nombreuses années.
Enfin, je pense qu’il est aussi important d’adapter les objectifs ZAN aux spécificités des communes d’outre-mer ainsi que celles soumises au recul du trait de côte.

Outre sa mise en œuvre, que pensez-vous de limiter l’artificialisation des sols ? Voyez-vous une opportunité de construire nos villes autrement ?

Christophe Bouillon : Face à l’urgence écologique, nous ne devons plus tergiverser sur la nécessité de lutter contre l’artificialisation des sols. Et c’est justement parce que les maires des petites villes souhaitent mener des politiques ambitieuses en matière de sobriété foncière que l’APVF a formulé ces 15 propositions.

Effectivement, le ZAN peut constituer une belle opportunité pour les communes de « refaire la ville sur la ville ». Cependant, à l’APVF, nous sommes convaincus que cela ne pourra se faire que si l’État répond présent en donnant aux collectivités les moyens d’agir. Ces dernières ont besoin d’être davantage accompagnées en ingénierie. Je pense aussi au Fonds friches qui mériterait d’être davantage étendu, simplifié et augmenté. Il est aussi essentiel de renforcer et de garantir les moyens des établissements publics fonciers et d’inciter davantage les collectivités à adhérer. Je suis par exemple très heureux que nous bénéficions à Barentin de l’engagement de l’EPFN pour nous aider à mener à bien nos projets.

La mise en œuvre du ZAN nécessite un véritable changement de paradigme : celui d’une concertation étroite entre l’État et les élus locaux.

Envies de ville : des solutions pour nos territoires

Envies de ville, plateforme de solutions pour nos territoires, propose aux collectivités et à tous les acteurs de la ville des réponses concrètes et inspirantes, à la fois durables, responsables et à l’écoute de l’ensemble des citoyens. Chaque semaine, Envies de ville donne la parole à des experts, rencontre des élus et décideurs du territoire autour des enjeux clés liés à l’aménagement et à l’avenir de la ville, afin d’offrir des solutions à tous ceux qui “font” l’espace urbain : décideurs politiques, urbanistes, étudiant, citoyens…

✉️ Je m’inscris à la newsletter