« La ville fonctionne quand elle est multi-strates, multi-fonctionnelle, multi-sociale »
Le site internet du Pavillon de l’Arsenal propose en accès libre Le Grand Paris des écrivains, une collection de courts métrages documentaires qui associent les mots et la voix d’un auteur ou d’une autrice d’aujourd’hui, et des images captées sur place qui leur font écho. Interview du réalisateur Stefan Cornic, historien de l’art de formation, passionné par les rapports entre l’art, l’architecture et le cinéma.
D’où est venue cette idée du Grand Paris des écrivains ?
Stefan Cornic : Depuis une dizaine d’années, je parcours ce qu’on commençait à appeler le Grand Paris, et je trouvais qu’il y avait des changements dans ce territoire que je n’arrêtais pas de prendre en photo. Nous avons énormément d’imagerie parisienne au moment des transformations des années soixante mais très peu de celles d’aujourd’hui. J’avais envie de quelque chose qui renouvelle cela, et de faire entendre la voix d’auteurs contemporains, de renouer avec la tradition des collaborations entre écrivains et réalisateurs.
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Comment travaillez-vous à partir du texte ?
Stefan Cornic : Avec une mise en scène minimale : des plans fixes la plupart du temps, un panoramique, quelques rares travellings quand ils sont permis par les moyens que la ville propose, la voiture pour le périphérique, un bateau sur la Seine et il y aura dans la saison 3 du travelling en RER ! Je conçois ces épisodes comme des filtres de regards : celui de l’écrivain sur un lieu par ses mots, ensuite la résonance de ces mots en moi. Je ne m’interdis pas, si quelque chose dans le lieu m’interpelle et n’est pas dans le texte, de le glisser dans mes images, justement parce que cela peut avoir une certaine résonance.
Qu’est-ce que cette série de documentaires dit du Grand Paris ?
Stefan Cornic : La notion de strates, aussi bien des regards que du paysage, m’intéresse beaucoup. Des quartiers ont été rasés, d’autres reconstruits il y a une dizaine d’années, certains sont en train d’être rénovés : ces strates-là sont visibles et « les tranches de vies », pour reprendre une formule consacrée, sont visibles dans les tranches de ville. Je trouve intéressante également la variété des échelles dans cette série de documentaires. Aussi bien ce que représente un escalier à l’articulation de deux rues que le périphérique qui va drainer des millions d’habitants. Ce sont des entre-deux, des lieux de passage qui vont concerner l’individu et le nombre. La ville, c’est une dynamique. Pour moi, elle fonctionne quand elle est multi-strates, multi-fonctionnelle, multi-sociale.
Avez-vous eu une révélation, une envie de ville particulière ?
Stefan Cornic : Moi, j’ai une envie de ville profonde et permanente ! Je suis très excité par les villes, les sollicitations visuelles, auditives, olfactives qu’elles me procurent quand je m’y promène, à pied ou à vélo, c’est vraiment une émotion. Les plans, les choses qu’on voit de près, de loin, qui se mélangent, avec le flux des passants, des vélos, des trottinettes, des voitures, des trains… Et bien sûr les gens, les visages, la caractéristique de la personne que l’on croise. J’ai aussitôt envie de poser un cadre pour justement mieux voir. Parfois, je vais chercher des écrivains pour des lieux dont j’ai envie qu’ils me parlent. Ce que permet cette collection, c’est la diversité des écritures et le temps d’immersion. Je continue d’être fasciné par la transformation d’un lieu en fonction de l’orientation du soleil et de l’activité de ses habitants. On se pose beaucoup de questions sur la ville depuis le covid et les confinements. Il y a un désamour parce que la densité n’est pas facile à vivre. Indéniablement, j’ai un regard privilégié, mon quotidien ne consiste pas à aller tous les jours du même point a au même point b, il y a de la découverte en permanence. Mais si, en portant un regard sur le banal, le transitoire, cela permet à certaines personnes de ré-envisager leur quotidien, ce serait fantastique !
Quel rôle pour l’écrivain dans le récit d’une ville et de son évolution ?
Stefan Cornic : La littérature, les mots, sont de l’art, et l’art ne sert à rien mais il est indispensable à la vie, tout simplement parce que c’est plus qu’un témoignage : c’est une manière pour la personne qui le reçoit de se situer, de s’interroger sur sa place dans cet espace, par rapport aux mots, à ce qu’ils font résonner avec sa propre manière de voir, de vivre. Le but étant de toujours dépasser le cadre de son mode de pensée habituel. Il y a forcément des sensibilités qui parleront plus à certains, des textes intimes, des textes mythologiques, des textes de mémoire… Mais un écrivain, même avec une écriture expérimentale, peut par exemple poser de manière très concrète la question des transports en commun, de l’absence de commerces ou d’institutions culturelles dans une banlieue déconnectée du reste de la ville, et nourrir ainsi le débat des politiques publiques.
Le Grand Paris des écrivains, une collection de courts métrages réalisée par Stefan Cornic et produite par Année Zéro et le Pavillon de l’Arsenal en partenariat avec Télérama et Enlarge Your Paris (deux saisons de dix épisodes chacune).
Stefan Cornic : auteur et réalisateur de L’œil, le pinceau et le cinématographe (Arte), Invitation au voyage, reportages culturels sur Fernand Pouillon, Jean Prouvé, Royan (Arte), Jim Jarmusch, poèmes sur pellicule (Ciné+)…
https://www.stefancornic.com/