Jean Coldefy : « Le ferroviaire dispose d’un imaginaire collectif très puissant, mais… »
Avec 25 à 30 % des actifs qui travaillent en métropole sans y habiter, la question des mobilités du quotidien prend, à l’heure de la réduction de nos émissions carbone, une importance déterminante. Et si les cars express avaient une carte à jouer ? Rencontre avec Jean Coldefy, Directeur du Programme mobilité et transitions chez ATEC ITS France, président du Think Tank de l’URF et auteur de Mobilités : changer de modèle – Solutions pour des déplacements bas carbone et équitables (Publishroom, 2022).
Le gouvernement entend développer des RER métropolitains. Que vous inspire cette annonce ?
Jean Coldefy : Pour comprendre les mobilités, un détour historique et géographique est nécessaire. Depuis le premier choc pétrolier, plus de deux millions d’emplois industriels ont été délocalisés, des emplois que l’on trouvait principalement dans les villes moyennes. L’économie de l’innovation, qui a pris le relais des Trente glorieuses, mobilise des ressources humaines qualifiées (chercheurs, ingénieurs), qui se localisent dans les métropoles. Cette économie s’est pleinement déployée dans les grands centres urbains.
Parallèlement, cette attractivité très forte des métropoles s’est accompagnée d’un véritable malthusianisme foncier. L’État a limité la croissance urbaine dans les premières et deuxièmes couronnes des agglomérations, ce qui a aussi fait écho à un souhait des maires de deuxièmes couronnes de préserver une certaine qualité de vie de village. Cette limitation de construction a mécaniquement renchéri le coût du foncier en couronne, alors que le coût de l’immobilier dans les grandes agglomérations a été multiplié par plus de 3 en 20 ans. Les ménages sont allés chercher plus loin ce qu’ils ne pouvaient trouver plus près. Résultat : 25 à 30 % des actifs des métropoles y travaillent sans y habiter.
Quels problèmes cela a-t-il engendré ?
Jean Coldefy : Le problème c’est que cette urbanisation plus lointaine s’est faite à l’échelle de la commune et comme elles sont très nombreuses en France, cela a conduit à une forte dispersion de l’habitat. Au lieu d’urbaniser autour des axes de transports, comme dans les pays scandinaves par exemple, on a généré un émiettement de l’habitat au-delà des zones agglomérées. C’est plus de 40% de la population française qui habite ainsi dans le périurbain.
L’essentiel des déplacements entre périurbain et agglomérations se fait en voiture. Voilà pourquoi un tiers des émissions de gaz à effet de serre de la voiture individuelle (laquelle représente 16% des émissions du pays, l’un des tout premiers postes) est imputable aux déplacements entre périurbain et agglomération. Le projet des RER métropolitains pour assurer les liaisons domicile-travail du quotidien a donc le mérite de répondre aux bons enjeux en termes d’émissions de GES des mobilités mais aussi de liens entre territoires.
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Dans quelle mesure les réseaux de transports en commun sont-ils en-deça des besoins ?
Jean Coldefy : Hormis le cas spécifique de la région parisienne, notre système TER n’a absolument pas suivi cette grande transition urbaine. À Lyon, 220 000 personnes font la navette entre la métropole et le périurbain, alors que le système TER saturé en heures de pointe ne dispose que de 35 à 40 000 places par jour. Il faudrait au bas mot multiplier par trois les capacités de transports entre le périurbain et les zones d’emplois des grandes agglomérations.
Ces trains du quotidien sont-ils la bonne solution pour inciter les Français à privilégier les transports en communs plutôt que la voiture individuelle ?
Jean Coldefy : Si le train offre une excellente solution pour pallier la faiblesse actuelle des liens entre périurbain et agglomérations ou entre villes de centre à centre, il souffre en France de plusieurs faiblesses majeures.
D’abord du fait des coûts de la SNCF : avec le même budget, l’Allemagne fait rouler deux fois plus de trains qu’en France.
À cela s’ajoutent des défis d’infrastructures. Les grands nœuds ferroviaires sont totalement saturés : on ne peut plus ajouter un seul train en heure de pointe. Augmenter le cadencement – aujourd’hui toutes les 15 minutes en heures de pointe au maximum – nécessiterait des milliards d’investissement et dix à quinze ans de travaux. Par ailleurs, le train peut difficilement assurer du porte-à-porte. Nous disposons d’1 100 000 km de routes versus 25 500 de voies ferrées hors TGV.
Sur le plan écologique, la SNCF estime les « coûts d’évitement » du carbone, c’est-à-dire les fonds mobilisés pour éviter une tonne de CO2, à 1 000 € la tonne soit 100 milliards d’investissement pour 100 millions de tonnes non émises. Avec des cars express, le coût de la tonne de CO2 économisée est de seulement -100 €, parce que les coûts publics sont inférieurs aux gains privés.
Les cars express sont-ils donc la bonne alternative ?
Jean Coldefy : Si l’on change l’usage de la route en y déployant des transports en commun efficaces par car, cela peut constituer un outil rapide à mettre en place et bien moins coûteux pour atteindre nos objectifs de décarbonation. Les Services Express Métropolitains doivent intégrer la route.
L’évaluation menée par le conseil scientifique du ministère des transports démontre que, là où ces systèmes sont déployés – en Île de France entre Dourdan et Massy, sur l’aire urbaine de Grenoble, entre Aix et Marseille –, ils sont pris d’assaut par les usagers. Les gains individuels s’élèvent à 30 minutes et 10 euros par jour, soit 10 heures et 200 euros par mois. Une somme non-négligeable puisque le revenu médian par ménage s’établit à 2 500 € par mois. L’exemple de Voiron-Grenoble s’avère très instructif puisqu’il existe également une liaison ferroviaire : le train est certes jugé plus rapide mais nettement moins fiable et moins fréquent.
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Avez-vous des exemples de cars express en Europe ?
Jean Coldefy : Le meilleur exemple se situe à Madrid. Des lignes de cars assurent la liaison du péri-urbain vers l’urbain, en donnant accès aux six hubs d’entrée en transports en communs par le métro de la métropole. Le car dépose les passagers au premier sous-sol, ils ont ensuite le choix de descendre vers le métro ou de monter vers les réseaux de surface (bus et tramway). L’intermodalité est très bien pensée, tout est simple et conçu pour que l’on gagne du temps.
Quels sont les freins à leur développement ?
Jean Coldefy : Les trois exemples français que j’ai cités ont pour point commun de disposer d’une gouvernance unique. Île-de-France Mobilités dans le premier cas, le syndicat mixte de l’aire métropolitaine de Grenoble et la métropole d’Aix-Marseille dans les deux autres. Le principal frein réside en effet dans la gouvernance. À défaut d’une gouvernance unique, il faut que les différents échelons territoriaux se parlent. C’est le cas par exemple de la ligne de cars express entre Bordeaux et Créon, fruit d’une collaboration entre la Métropole et la Région. Faute de périmètre de gouvernance pertinent, il faut que l’urbain se préoccupe de ce qui n’est pas urbain, sans quoi on ne règlera pas le problème de ces centaines de milliers de véhicules contraints de se déverser dans la ville centre pour aller travailler.
L’autre frein est culturel. Les élus ont une mauvaise image du car et une excellente image du train. Le ferroviaire dispose d’un imaginaire collectif très puissant. Mais fondamentalement, je crois que les gens veulent avant tout que leur mode de transport fonctionne, rapidement et à moindre coût. L’objectif commun est de déplacer des gens pas de faire des rouler des trains.