Pour Emma Vilarem, le recyclage urbain est une opportunité de réinventer le rapport à la ville. En illustration, la communale de Saint-Ouen.
Publié le 01.10.24 - Temps de lecture : 3 minutes

Emma Vilarem : Et si le recyclage urbain transformait nos vi(ll)es ?

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Emma Vilarem est directrice et co-fondatrice de [S]CITY, une agence qui aide les acteurs de la fabrique de la ville à intégrer dans leurs projets les besoins psychologiques, émotionnels et sociaux des habitants. Pour elle, le recyclage urbain est une opportunité de réinventer le rapport à la ville.

À RETENIR

  • Le recyclage urbain, selon Emma Vilarem, est essentiel pour réinventer la ville tout en répondant aux besoins psychologiques, émotionnels et sociaux des habitants, favorisant ainsi leur bien-être et la cohésion sociale.
  • L’intégration d’espaces verts et d’accès à la nature est cruciale, car elle réduit l’anxiété et améliore la santé mentale, en particulier chez les enfants, et favorise un environnement propice à la santé globale.
  • La densification urbaine, bien qu’inquiétante pour certains, peut créer des opportunités pour renforcer les liens sociaux et améliorer la qualité de vie des citadins, si elle est bien conçue en collaboration avec les habitants.
  • Les projets réussis prennent en compte dès le départ la dimension humaine, ce qui non seulement accroît l’attachement des habitants à leur quartier, mais génère également des bénéfices économiques, comme l’augmentation du PIB.

En quoi refaire la ville sur la ville peut-il être bénéfique pour les habitants ?

Emma Vilarem : Nous avons parfois tendance à dépeindre la ville sous ses aspects négatifs, la voyant comme un lieu épuisant nos ressources (pollution sonore, lumineuse, etc.) et nous éloignant de la nature. Aujourd’hui, le bouleversement climatique nous engage à changer d’approche et à construire la ville sur la ville, afin de préserver au maximum les espaces naturels. Et comme la part de la population urbaine ne va faire que croître, il est indispensable de réfléchir à comment construire la ville de manière à promouvoir la santé, autrement dit de façon « salutogène ». Pour y parvenir, il est essentiel de répondre aux besoins fondamentaux des êtres humains. Cela inclut notamment le besoin de nature, de lien social et d’inclusion. En concevant des environnements urbains qui répondent à ces besoins, nous créerons des conditions propices au bon développement personnel des individus, mais aussi à la cohésion sociale.

Pouvez-vous nous donner des exemples concrets ?

EV : Les espaces verts en sont un exemple probant. De nombreuses études attestent que l’exposition à la nature réduit l’anxiété et agit positivement sur la santé mentale. De même, une récente étude danoise révèle que les enfants qui sont les moins exposés à la nature autour de leur résidence courent un risque jusqu’à 55 % plus élevé de développer un trouble psychiatrique lorsqu’ils seront adultes. Ces résultats soulignent l’importance de faciliter l’accès à la nature (végétalisation, proximité de l’eau, accès visuel au ciel, etc.). Un point central dans le recyclage urbain.

Autre besoin fondamental de chaque être humain, le lien social. Une étude a montré récemment que le sentiment d’isolement ou de solitude chronique augmentait de 50 % les risques de démence des personnes âgées. À l’heure où la population vieillit, il est capital de créer les conditions de fabrication du lien social pour tous et toutes. Cela implique donc de comprendre quels espaces peuvent le mieux accompagner les individus à créer ce lien.

La densification doit être une opportunité d’améliorer la ville,
mais aussi le bien-être des citadins

En tenant compte de ces besoins fondamentaux, quelles sont les « bonnes pratiques » à mettre en place lorsque l’on fabrique la ville sur la ville, par exemple lorsque l’on densifie ?

EV : La densification suscite souvent des inquiétudes, mais il faut, d’une part, donner à voir les multiples formes qu’elle peut prendre (densification verticale ou horizontale, lutte contre la vacance, etc.) et, d’autre part, les opportunités qu’elle peut créer, notamment du fait de l’arrivée de nouveaux habitants : création de nouvelles polarités, retour de services ou de commerces, animation des espaces publics. Le développement d’une vie sociale locale peut être l’un des bénéfices forts de la densification : on sait que les quartiers où le capital social est fort favorisent l’attachement, la résilience. Mais pour se saisir pleinement de ces opportunités, il est indispensable d’intégrer les habitants aux projets de densification afin de tirer parti de leur connaissance intime du quartier, mais aussi de ce qui fonctionne ailleurs. Pour cela, on peut utiliser la littérature scientifique et l’evidence-based design, c’est-à-dire le design basé sur la preuve. Cette approche consiste à s’appuyer sur des données empiriques et scientifiques rigoureuses à différentes étapes de la conception, de façon à mettre au point des environnements qui favorisent notamment le bien-être, l’inclusion et le sentiment d’appartenance. Cela peut permettre de soigner l’élaboration des espaces publics comme privés de façon à ce que les habitants puissent se rencontrer et tisser du lien social s’ils le souhaitent. Il est également important de réfléchir à la manière dont nous animons la ville, stimulons le tissu associatif et organisons des événements de quartier, pour faire vivre ces liens. La densification doit être une opportunité d’améliorer la ville, mais aussi le bien-être des citadins.


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Selon vous, les projets de recyclage urbain prennent-ils désormais suffisamment en compte la dimension humaine ?

EV : Pour que cette dimension soit pleinement intégrée, il est essentiel de la considérer dès le début du projet. Bien que des progrès aient été réalisés et que de plus en plus de professionnels se saisissent de ce sujet, cette prise en compte reste encore trop rare à mon sens. Pourtant, nous sommes convaincus que les projets qui réussissent sont ceux où ces principes sont au cœur de la conception : en concevant les espaces « avec et pour », on favorise leur appropriation et leur succès durable, mais aussi l’émergence d’un attachement au lieu qui a de multiples bienfaits.

Y a-t-il d’autres bénéfices pour la ville et ses habitants ?

EV : Une étude réalisée pendant trois ans aux États-Unis dans 26 villes différentes a révélé que les villes qui ont su cultiver un fort sentiment d’appartenance chez leurs habitants ont également enregistré une augmentation du PIB. Les bénéfices sont donc également économiques. La prise en compte de ces besoins fondamentaux permet donc de créer des villes qui fonctionnent à tous points de vue. Il faudrait considérer la densification comme une opportunité de transformer le rapport à la ville, et la ville elle-même, de façon positive.

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