L’eau et la ville, une nouvelle alliance
Longtemps considérée sous le seul angle du risque, l’eau en ville fait aujourd’hui l’objet d’une approche moins hygiéniste, plus écologique. Plus apaisée aussi. L’enjeu ? Mieux intégrer cette ressource précieuse dans les projets urbains, alliée de la végétalisation et de la fraîcheur.
Construire et développer la ville, c’est impacter le grand cycle de l’eau. Un sol imperméabilisé, c’est moins d’évapotranspiration et moins d‘infiltration qu’un sol naturel. Et donc beaucoup plus de ruissellement : 55% pour un sol bâti contre 10% pour un sol naturel. Or les conséquences sont doublement négatives : non seulement le ruissellement peut provoquer des inondations considérables, mais la faible infiltration des eaux pluviales diminue la ressource en eau. Comment alors trouver un nouvel équilibre entre l’eau et la ville ? Réconcilier durablement développement urbain et gestion intelligente des eaux pluviales ?
Mimer les processus naturels
« Gérer l’eau en ville a longtemps consisté à l’évacuer le plus rapidement possible, rappelle l’hydrologue et urbaniste Christian Piel, fondateur de l’agence Urbanwater, grâce à des canalisations enterrées de plus en plus capacitaires et à des bassins de rétention de plus en plus étendus. Mais ces bassins, très consommateurs de foncier et souvent peu esthétiques, peinent à répondre aux besoins d’une croissance urbaine toujours plus rapide ». Depuis une dizaine d’années, la prise de conscience est là et la réflexion des professionnels et des collectivités a évolué. « On cherche maintenant à intégrer l’eau dans la ville, voire à dessiner la structure urbaine en fonction du cheminement des eaux pluviales, explique Christian Piel. Avec l’objectif de recréer en milieu urbain les processus d’évapotranspiration et d’infiltration qui existent dans le milieu naturel ».
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Vers la ville éponge
En France, la gestion de l’eau est fortement encadrée. Tous les projets de construction doivent intégrer l’abattement des petites pluies, autrement dit prévoir le stockage de ces pluies sur place. Pas question qu’elles viennent saturer les réseaux existants. Les PLU témoignent des fortes attentes des collectivités en la matière. « On ne sépare plus le sujet de l’eau de celui de la végétalisation, souligne Christian Piel, on tisse ensemble trame verte et trame bleue, avec une approche à la fois plus fine et plus large. Les projets urbains doivent être poreux, spongieux même, avec des solutions qui passent par des toitures terrasses et de la pleine terre. Cela suppose d’intégrer beaucoup plus intimement le paysage et les questions écologiques ».
A ciel ouvert
C’est désormais de plus en plus à ciel ouvert et de façon gravitaire que l’on gère la circulation des eaux pluviales. Les canalisations enterrées font place à des réseaux de noues, ces fossés peu profonds, qui rythment les cheminements et canalisent l’eau de pluie vers des plantations. Ces aménagements permettent aux arbres de se développer et d’apporter une fraîcheur bienvenue aux centres urbains. Ainsi, l’eau n’est plus seulement un risque dont il faut se prémunir mais bien une ressource qui vient soutenir les efforts de la ville pour lutter contre le réchauffement climatique. Pour Christian Piel, ce n’est que le début d’un nouvel âge de l’eau. « Pour préserver la ressource, il va aussi falloir développer des solutions pour récupérer d’autres eaux, notamment les eaux grises, comme celles des piscines municipales. Au fond, regarder la ville à travers le prisme de l’eau, c’est répondre à bon nombre d’enjeux contemporains ».
Près d’Orléans, la preuve par l’exemple
À Semoy, une commune d’Orléans Métropole, l’aménagement des 12 hectares de l’écoquartier de la ZAC Champ Prieur intègre de façon exemplaire la gestion des eaux pluviales.
À Semoy, une commune de 3 000 habitants, le sujet de l’eau était sensible, chacun ayant en mémoire les inondations de 2016, dues à des remontées de nappe. Ce nouveau quartier, avec ses 255 logements, allait-il déséquilibrer le cadre de vie de ce village semi rural ? « Pour avoir l’approche la plus vertueuse et peser le moins possible sur les réseaux métropolitains existants, explique Nelson Fonseca, Directeur de l’agence Nexity Foncier Conseil d’Orléans, nous nous sommes entourés d’une équipe d’experts, les architectes, paysagistes et urbanistes de Comptoir des projets et le bureau d’études INCA ».
Pour limiter l’imperméabilisation des sols, parcelle par parcelle, l’équipe réalise une analyse très fine du site et imagine un dispositif de gestion de l’eau qui utilise la topographie du terrain. Des noues d’infiltration permettent de guider l’eau de pluie vers deux bassins successifs. En cas de très fortes précipitations, la mare du parc récréatif recueille le trop plein. Cette mare était auparavant gérée par les riverains qui l’entretenaient avec de l’eau potable. Etanchéifiée avec de l’argile de Sologne, elle est désormais alimentée par l’eau de pluie canalisée par les noues. D’autres bassins en palier, végétalisés, conjuguent sécurité et esthétique : ils créent des clôtures naturelles et permettent d’oxygéner et de filtrer l’eau. « Nous avons fait beaucoup de pédagogie et de réunions pour expliquer ces choix, rappelle Nicolas Vergne. Quand on a l’habitude de vivre en ville où les réseaux sont enterrés, voir de l’eau dans des bassins à ciel ouvert peut sembler inquiétant. Mais c’est tout le contraire. Le système fonctionne parfaitement et la situation s’est améliorée, avec des résidus bien moins importants qu’avant l’aménagement du site ».