« Penser la décentralisation pour favoriser l’innovation, en laissant davantage de marge de manœuvre aux élus »
De nombreux élus locaux souhaitent plus de décentralisation pour restaurer la confiance des citoyens à l’égard de la politique. Comment ? Interview croisée entre Virginie Carolo, présidente de France Villes et territoires Durables, maire de Port-Jérôme-sur-Seine et présidente de Caux Seine agglo, et Philippe Laurent, maire de Sceaux et vice-président de l’Association des maires de France.
Face à la défiance envers les institutions, les collectivités locales apparaissent-elles aujourd’hui comme un pilier républicain ?
Virginie Carolo : Oui, ça ne fait aucun doute. Les collectivités locales jouent un rôle crucial dans la stabilité de la société. Elles sont les premières à répondre aux besoins des citoyens, en assurant des services essentiels de proximité, au quotidien. Elles offrent aussi une réactivité que l’on ne retrouve pas toujours à d’autres niveaux de gouvernance. D’ailleurs, pour beaucoup de citoyens, les deux personnalités politiques les plus importantes sont le maire et le président de la République. Dans ce contexte, il me semble indispensable de leur donner les moyens nécessaires pour agir efficacement.
Philippe Laurent : C’est indéniable. Nous avons encore pu le constater durant la période estivale marquée par l’organisation des Jeux de Paris. L’absence de gouvernement stable n’a pas entravé le bon fonctionnement de nos administrations locales. Malgré certaines inquiétudes exprimées par les citoyens, les projets municipaux ont continué d’avancer. Cela prouve que notre système administratif, bien que perfectible, reste solide. Si j’étais Premier ministre, j’essayerais de rétablir d’urgence le lien de confiance entre l’exécutif national et les exécutifs locaux.
« Nous devons renforcer les compétences locales pour que nos territoires ne soient pas toujours tributaires de l’expertise des services de l’État central. »
Virginie Carolo
Une plus importante décentralisation permettrait-elle de renforcer la cohérence entre l’action locale et les grandes orientations nationales ?
V. C. : Je suis en faveur d’une décentralisation plus affirmée. Cela permettrait de renforcer la cohérence entre les actions menées à l’échelle locale et les orientations nationales. Les collectivités connaissent mieux les besoins de leur territoire et peuvent donc adapter les politiques publiques en conséquence. Cela ne veut pas forcément dire que la loi doit être différente pour chaque territoire. Une décentralisation bien pensée pourrait au contraire favoriser l’innovation locale, en laissant davantage de marge de manœuvre aux élus sur les sujets prioritaires de leur commune, agglomération, département ou région.
P. L. : Oui, la décentralisation est cruciale. Il est essentiel que les collectivités locales aient plus de pouvoir pour agir en fonction des besoins de leurs habitants. Une plus grande autonomie ne signifie pas seulement davantage de responsabilités, mais également la possibilité de mettre en œuvre des politiques en adéquation avec les grandes orientations nationales. Les systèmes contraignants ne fonctionnent pas et alourdissent la gestion locale. Il est essentiel d’avoir des discussions avec les habitants de nos territoires pour créer un consensus sur des sujets clés, tels que la petite enfance et le logement.
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Concrètement, qu’est-ce qui pourrait être envisagé ?
P. L. : Plusieurs options peuvent être mises sur la table. Tout d’abord, il est nécessaire de simplifier la réglementation, de réduire les contraintes administratives. Ensuite, une plus grande autonomie fiscale est essentielle. Les collectivités, en particulier les grandes intercommunalités et les départements, devraient, par exemple, avoir la possibilité de lever un impôt sur le revenu additionnel. Actuellement, la liberté fiscale est très limitée, ce qui empêche de financer des projets d’intérêt local, même en cas de consensus avec les habitants.
V. C. : Le chantier prioritaire consisterait à clarifier des compétences. Il est essentiel que chaque collectivité sache exactement quelles sont ses prérogatives. Et que cette répartition soit mieux comprise des citoyens. Un accès accru à des financements pluriannuels me semble également crucial. Cela permettrait aux collectivités de planifier des projets à long terme sans dépendre constamment de l’État à chaque nouveau dossier. Enfin, la formation des élus et des agents des collectivités présente également des défis à relever. Nous devons renforcer les compétences locales pour que nos territoires ne soient pas toujours tributaires de l’expertise des services de l’État central.
« La réponse se trouve sur le terrain au contact des habitants, pas dans un tableur Excel. »
Virginie Carolo
Comment éviter que la décentralisation ou le transfert de certaines compétences ne renforcent les disparités entre les territoires ?
V. C. : Il est impératif d’instaurer des mécanismes de solidarité financière. Cela signifie que les zones urbaines plus riches doivent contribuer au développement des zones rurales et des territoires moins favorisés. La coopération entre ces zones est essentielle pour garantir un équilibre. Il faut promouvoir des projets qui rassemblent les collectivités urbaines et rurales, favorisant ainsi des synergies et un partage des ressources. C’est un équilibre que nous connaissons sur notre territoire, qui combine à la fois une forte attractivité grâce à sa proximité avec de grandes métropoles, comme Le Havre, Rouen et Paris, mais aussi une ruralité heureuse appréciée de ses habitants.
P. L. : C’est un point crucial. Nous disposons déjà de systèmes de péréquation qui permettent d’équilibrer les ressources entre les territoires. Il est essentiel de veiller à ce que ces mécanismes soient bien compris et efficaces, en apportant la transparence nécessaire. La solidarité entre zones rurales et urbaines doit être au cœur de toute décision. Cela nécessite un travail de concertation et d’évaluation pour garantir que les ressources soient redistribuées de manière équitable.
La question du logement est au cœur de la vie des citoyens et des collectivités locales. Comment les élus locaux peuvent-ils jouer un rôle plus actif pour répondre à la crise du logement ?
V. C. : Les sujets comme la mobilité, la rénovation énergétique ou le logement social s’entremêlent. Est-ce que la présence d’assistantes maternelles ou d’écoles doit se situer près des entreprises ou près du foyer ? La réponse se trouve sur le terrain au contact des habitants, pas dans un tableur Excel. Les élus locaux doivent s’engager dans une planification urbaine proactive. Ils doivent s’appuyer sur des études de besoins pour orienter leurs actions en matière de logement. Il ne faut plus construire pour construire, mais s’inscrire dans une logique d’optimisation de la réponse aux besoins de logements. Le rôle de l’élu local est aussi aujourd’hui d’assurer une coordination entre les différents acteurs, qu’il s’agisse de promoteurs, d’associations ou de l’État.
P. L. : Nous devons parler du logement comme d’une politique nationale, mais avec une mise en œuvre locale. À l’échelle locale, nous devons travailler sur le foncier et éviter la spéculation. Le gel des prix du foncier pourrait être une première étape. Par ailleurs, il est urgent de mettre en place un discours positif sur la construction de logements. Les maires doivent être soutenus lors de l’accord de nouveaux permis de construire, sans craindre des retours négatifs de leurs concitoyens.
« Chaque territoire a ses spécificités et doit pouvoir s’adapter en conséquence. »
Philippe Laurent
Comment concilier les besoins de développement économique des territoires avec la transition vers des pratiques plus durables et respectueuses de l’environnement ?
P. L. : La responsabilité collective est primordiale. Il est important de revoir certaines réglementations, comme le ZAN (Zéro artificialisation nette), et d’adopter une approche modérée. Chaque territoire a ses spécificités et doit pouvoir s’adapter en conséquence. Une collaboration étroite entre les maires et les préfets serait bénéfique pour établir des schémas de développement qui tiennent compte à la fois de l’économie et de l’environnement.
V. C. : C’est un défi majeur. Sur ce sujet, nous défendons sur notre territoire la notion d’économie circulaire. Le développement économique doit s’inscrire dans une logique de durabilité. Par exemple, nous souhaitons soutenir les industries qui utilisent des matériaux recyclés et qui minimisent leur impact environnemental. Cela peut créer des emplois tout en respectant l’environnement. La clé est d’établir des partenariats entre les collectivités et les entreprises pour innover ensemble vers des pratiques durables.
Comment voyez-vous l’évolution du modèle de financement des communes pour assurer la pérennité des services publics locaux ?
V. C. : L’évolution du modèle de financement doit passer par une plus grande clarté, et stabilité. J’évoquais précédemment le sujet des financements pluriannuels. Ils pourraient être complétés par des incitations financières à réaliser des projets générant des économies d’énergie ou ressources. Cette autonomie ne doit pas se faire sans contrôle. Il doit exister une évaluation rigoureuse des projets qui permettrait d’allouer les fonds de manière plus efficace, garantissant ainsi la pérennité des services publics locaux.
P. L. : Je le répète, il faut donner aux grandes collectivités la capacité de lever un impôt sur le revenu additionnel pour renforcer leur autonomie fiscale. Plus largement, la pérennité des services publics locaux repose sur un modèle de financement stable et transparent. Il est essentiel d’éviter la diminution des dotations aux collectivités. Je plaide pour un financement basé sur un partenariat, où l’État et les collectivités travaillent ensemble. La mise en place d’un cadre clair et soutenu pour le financement est indispensable pour que les collectivités puissent continuer à offrir des services de qualité à leurs habitants.