« Il faut aider les maires à encadrer les implantations commerciales dans leurs villes »
Directeur général des chambres de métiers de l’artisanat (CMA France), et 1er adjoint au maire de Fontainebleau, Julien Gondard livre ses impressions et ses espoirs à l’issue des premières Assises du commerce, lancées en décembre 2021. Pendant un mois, chefs d’entreprises, élus locaux, parlementaires et associations de consommateurs ont pu tirer les enseignements de la crise sanitaire dans leurs activités respectives, et esquisser une réflexion globale sur les problématiques majeures du commerce de demain dans les villes et les territoires.
Quelle était la motivation première de ces Assises du commerce ?
Julien Gondard : Cette concertation avait vocation à faire le point sur les grands enjeux du modèle économique du commerce de demain, de la compétitivité, des emplois, et visait à passer en revue toutes les bonnes idées que nous pouvions avoir à développer sur ces sujets. CMA France est la tête de réseau des chambres de métiers de l’artisanat, et c’est à ce titre que nous avons été invités par l’État à y prendre part. Les Assises du commerce, c’est avant tout une démarche portée par le gouvernement à la suite de la crise sanitaire, à l’occasion de laquelle nous avions un témoignage à apporter pour tout ce qui touche à l’économie artisanale, notamment dans les territoires.
Pendant le Covid-19, ceux qui avaient développé des stratégies numériques en amont s’en sont mieux sortis que les autres
Quelles mesures avez-vous pu présenter aux ministres à l’occasion de cette concertation ?
Julien Gondard : Depuis des années, la dynamique commerciale des centres-villes est souvent résumée ou pensée autour de la stratégie de la grande distribution et du e-commerce. Ces enjeux sont pertinents, certes, mais dans le cadre des Assises du commerce, l’angle que l’on a voulu défendre tout au long de la concertation était le suivant : oui, il y a des enjeux autour la grande distribution, et le e-commerce est une façon de consommer en expansion continuelle, à fortiori après la crise, mais attention… les mesures urgentes à prendre aujourd’hui sont celles qui visent à préserver le commerce et l’activité artisanale dans les cœurs de ville. Car si ces derniers s’étouffent, s’appauvrissent, et n’ont plus de dynamique commerçante, c’est la mort des centres-villes, la fin de l’attractivité de certains bassins de vie, des bourgs, des villages. Autant d’endroits qui risquent de perdre leur dynamique, mais aussi de perdre en population.
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Pour prévenir ce phénomène, nous avons notamment défendu une équité de traitement au niveau des taxes. Évidemment, les Assises du commerce ont beaucoup abordé le e-commerce, qui, à ma connaissance, n’est pas éligible à la Tascom (taxe sur les surfaces commerciales). Nous plaidons ainsi pour que toute activité de e-commerce soit également assujettie à la Tascom, au même titre que les autres commerçants. Car il s’agit d’une activité commerciale comme une autre, et rien ne justifie qu’un acteur du e-commerce ne soit pas assujetti aux mêmes taxes que la grande distribution ou les commerces de proximité. C’est un point essentiel que nous défendons pour avoir une équité de traitement entre ceux qui sont exclusivement présents sur internet et ceux qui ont un pas-de-porte dans les cœurs de ville. Toutes ces mesures protectrices que nous voulons défendre visent à préserver cette équité, mais surtout à aider le commerce de proximité qui reste l’âme de nos centres- villes.
Enfin, à terme, nous imaginons qu’il serait possible de développer des solutions innovantes pour que la vente en ligne soit au service des artisans et des commerçants, avec des plateformes digitales qui mettraient uniquement en avant des produits « Made In France ». Le digital n’est pas l’ennemi du commerce de proximité, bien au contraire, et il doit justement être utilisé pour promouvoir ce qui se fait de bien, en apportant au passage une valeur ajoutée sur le plan environnemental autour du « fait local », du « Made In France ».
Quelles mutations du commerce de détail observez-vous et quel est leur impact pour les commerçants et la ville, notamment depuis la pandémie de Covid-19 ?
Julien Gondard : L’impact a été évidemment majeur pendant la crise sanitaire. Quand nous avons tous été confinés à la maison, notre premier réflexe, ne serait-ce que pour se nourrir, ou bien commander des livres, a été de commander en « click and collect ». Ce phénomène a vraiment été le marqueur d’une mutation. Et très vite, nous avons constaté que ceux qui avaient développé des stratégies numériques s’en étaient mieux sortis que les autres. Que ce soit par une plateforme de vente, une simple présence sur les réseaux sociaux ou même quelques SMS, en faisant ne serait-ce qu’un peu de relation client, pour dire aux plus fidèles d’entre eux : « Je suis ouvert, je viens vous apporter ce que vous avez commandé ». L’impact a été immédiat, les clients ont été au rendez-vous. Quand on arrive à utiliser l’intérêt du digital, c’est à dire simplifier la relation avec le commerçant et l’artisan que l’on aime car il est à côté de chez nous, qu’on le connait, c’est une situation gagnant – gagnant. Tout ceci a vraiment éveillé les consciences, y compris chez les indépendants, sur la nécessité d’intégrer le digital dans son activité quotidienne.
L’artisanat, c’est avant tout des créations d’emplois nettes dans les territoires, sans production à l’étranger
D’après vous, ces mutations seront-elles pérennes même avec l’accalmie de la pandémie ?
Julien Gondard : À mon sens, la bascule fondamentale qui survivra au Covid est que désormais, nous nous efforcerons d’avoir un minimum de conscience et d’éthique dans nos actes d’achat. C’est à dire se demander : « D’où cela vient-il ? Par qui et comment ? Cela est-il produit à côté de chez moi ou à l’autre bout du monde ? ». Je dirais que c’est le début d’une nouvelle histoire, car dès que l’on commence à reprendre la main sur ces circuits courts, à reprendre la main sur l’ADN du « Made In France », des dynamiques positives s’enclenchent autour de valeurs telles que la production locale et la création d’emploi. On ne rappelle jamais assez que l’artisanat, c’est avant tout des créations d’emplois nettes dans les territoires, sans production à l’étranger. Tout cela s’inscrit dans la lignée positive de ce que l’on essaye de défendre chez CMA France. J’ai l’espoir que ce grand bouleversement fasse prendre conscience au consommateur que le « Made In France », le consommer local, les produits transformés sur place, les chaînes de valeur à l’échelle d’un territoire, doivent reprendre leur juste place. Si quelque chose doit maintenant rester ancré dans nos modes de consommation, c’est bien cet engouement des consommateurs pour ce qui est fait près de chez eux.
De quels outils les maires devraient-ils disposer pour dynamiser les commerces de centre-ville, souvent poumon de l’activité des villes ?
Julien Gondard : L’amélioration des outils qui sont à la disposition des maires constitue justement le cœur de la stratégie que nous souhaitons impulser. Vu de ma fenêtre, c’est à dire à la fois dans le cadre de mes fonctions à CMA France, mais aussi en tant qu’élu local, les maires doivent pouvoir disposer d’outils améliorés pour permettre de garder des cœurs de ville attractifs. Cet accompagnement du commerce de proximité peut passer par plusieurs axes :
Les maires doivent être en mesure de mieux encadrer les implantations commerciales. On n’anticipe pas assez les études d’impact, les programmations, les documents d’aménagement pour permettre de valider ou pas l’implantation d’une structure commerciale en proximité d’un centre-ville ou dans celui-ci. J’ajoute d’ailleurs que le réseau des Chambres de métiers, tout comme nos homologues des CCI ou des Chambres d’agriculture, sont des experts de ces questions et qu’il serait bien que nous puissions nous réunir à chaque fois pour accompagner les réflexions d’aménagement des territoires.
Mais d’une façon générale il faut vraiment donner plus de moyens aux maires, mais aussi aux préfets, qui ont une légitimité pour parler du sujet, notamment pour analyser l’impact de telle ou telle décision. À titre d’exemple : quand on cherche à réinvestir un cœur de ville avec une enseigne de grande distribution, cela a forcément un impact. Évidemment que des clients l’attendent, mais les autres commerces peuvent en pâtir. Une fois que l’activité a réinvesti le centre-ville, elle est forcément sujette à se redévelopper. Il faut donc plus de concertation pour redonner aux décideurs que sont les maires et les préfets le pouvoir d’accompagner de manière raisonnée ces relocalisations d’activité économique en centre-ville.
Le commerçant indépendant s’engage lui-même avec son patrimoine, avec une activité pour laquelle il a une passion, et c’est cela qui fait le sel des centres-villes. Il faut donc à mon sens lui accorder un soin tout particulier. N’oublions pas que l’artisanat c’est 1,7 millions d’entreprises et 300 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel. C’est un acteur économique à part entière qu’il faut protéger.
Enfin, il faut aussi aider les collectivités à proposer des locaux adaptés pour garder l’activité en cœur de ville. Quand pour un commerce ou une activité nous avons besoin de machines, de garer un véhicule, de mètres carrés, il faut trouver des locaux adaptés. Sur tous ces sujets, il n’y a pas assez de stratégies permettant d’aider l’implantation immobilière. Il faut réfléchir avec des outils d’urbanisme pour définir des zones pouvant accueillir des activités de type artisanale. Garder de l’activité économique en centre-ville c’est aussi une source de dynamisme et de développement.