Airbnb rural : créateur de valeur sociale ?
Si la plateforme de mise en relation entre particuliers pour la location d’hébergement touristique fait beaucoup parler d’elle, elle est souvent analysée dans le cadre d’une implantation citadine. Les chercheurs Dominique Andrieu, Julian Devaux et Nicolas Oppenchaim, respectivement géographe à la MSH Centre-Val-de-Loire et sociologues au laboratoire Citeres, se sont penchés sur le Airbnb des champs au travers d’un travail de recherche visant à interroger les hôtes dans la région Centre-Val-de-Loire, en particulier dans des zones rurales. Outre la création de valeur économique au bénéfice individuel de ces acteurs, ils y ont découvert un aspect plus méconnu : celui de leur valorisation sociale et de la création de lien culturel notamment locaux.
Alors que l’essentiel des recherches consacrées à Airbnb se concentrent sur les grandes métropoles, vous avez choisi de vous intéresser au Centre Val de Loire, pourquoi ?
L’essentiel des recherches portant sur Airbnb se focalise en effet sur les contextes urbains, en particulier dans les hyper-centres des grandes métropoles, et met en avant les effets pervers de l’expansion des locations Airbnb tels que l’augmentation des prix de l’immobilier, l’accentuation des processus de gentrification et d’éviction des classes populaires dans les centres-villes ou encore l’augmentation des nuisances et des conflits de voisinages. Notre recherche, en se focalisant sur un contexte territorial périphérique et peu dense, composé d’une métropole moyenne à rayonnement régional (Tours), des villes petites et moyennes (Blois, Amboise) et des communes périurbaines et rurales de la région Centre-Val de Loire, permet de nuancer ce tableau et de montrer une réalité plus contrastée, tant au niveau du profil des hébergeurs que de la manière dont l’activité Airbnb s’insère dans les territoires.
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Que nous apprend la répartition géographique des hébergements Airbnb dans la région Centre-Val-de-Loire ?
Notre travail d’analyse cartographique révèle deux principales dimensions géographiques qui expliquent la répartition des logements Airbnb dans les territoires que nous étudions. Les centres urbains de métropoles comme Tours ou de villes moyennes comme Blois et Amboise sont bien équipés en logement Airbnb. Á l’inverse, en s’éloignant des centres urbains, on observe moins de logements Airbnb, dans les quartiers populaires ou les banlieues de première couronne. La seconde dimension à prendre en compte est celle de l’intérêt touristique et paysager des communes. Par exemple, le taux d’hébergement Airbnb est particulièrement important dans des communes rurales à forte valeur paysagère et patrimoniale situées à proximité de vignobles reconnus. Dans certains territoires ruraux, l’hébergement Airbnb représente ainsi plus de 5% de l’ensemble des logements de la commune.
Dans certains territoires ruraux, l’hébergement Airbnb représente ainsi plus de 5% de l’ensemble des logements de la commune.
La localisation des locations est-elle à mettre en lien avec la catégorie sociale des hébergeurs ?
En effet, notre recherche montre aussi que ces deux dimensions interfèrent avec la composition sociale des territoires. Les hébergeurs Airbnb ne sont pas localisés au hasard dans l’espace géographique en fonction de leurs caractéristiques sociales. Ainsi, dans les espaces ruraux plus éloignés des grands sites touristiques ou à faible valeur paysagère, ce sont plutôt des ménages de catégories moyennes ou populaires qui vont investir l’hébergement Airbnb. Dans les centres urbains, c’est plutôt l’inverse que l’on observe : les quartiers fortement équipés en hébergement Airbnb sont plutôt aisés et s’opposent aux quartiers populaires de la commune, dans lesquels on trouve beaucoup moins d’hébergements Airbnb.
Que nous apprennent justement les catégories socio-professionnelles des hébergeurs ayant participé à l’étude ?
Si notre recherche permet de rendre compte de la diversité des profils et des trajectoires des hébergeurs Airbnb, l’analyse de leur profil socio-professionnel révèle toutefois l’existence de certains traits communs, eux-mêmes révélateurs de logiques d’investissement différenciées dans l’activité. Nous observons ainsi une surreprésentation de trois profils parmi les hébergeurs : les retraités, les personnes issues des métiers de l’enseignement et du médico-social (enseignants, infirmiers, éducateurs, etc.), et, enfin, des professions artistiques (peintre, musicien, intermittent, etc.). La présence de nombreux retraités parmi les hébergeurs Airbnb (environ un tiers de l’échantillon de personnes interrogées) s’explique bien souvent par des raisons à la fois économiques (se constituer un complément de retraite, notamment pour les personnes modestes ; soulager le quotidien en payant les charges, l’entretien de la maison, etc.) et sociales (l’hébergement constitue une activité qui permet de continuer à « s’occuper » et à « voir du monde », voire de rompre avec un certain isolement social chez certains). En outre, l’activité d’hébergement est particulièrement chronophage, raison pour laquelle on retrouve parmi les hébergeurs de nombreuses professions caractérisées par une maîtrise du temps de travail, telles que les professions artistiques ou, dans une certaine mesure, celles du secteur médico-social et de l’enseignement.
Les compétences professionnelles des hébergeurs sont-elles mises à contribution ?
En effet, ces individus ont également tendance à réinvestir certaines de leurs compétences professionnelles (l’attention à l’autre, la capacité à rendre service, leur goût pour la décoration) dans leur activité d’hébergement. Les cadres, professions libérales et professions intellectuelles supérieures interrogés ont quant à eux davantage tendance à se situer dans des logiques d’investissement ou de conservation de patrimoines immobiliers. Enfin, les quelques ouvriers et employés rencontrés se sont engagés dans l’activité Airbnb dans le cadre de redéfinition de leur trajectoire professionnelle, en particulier après avoir connu des périodes de chômage.
Les quelques ouvriers et employés rencontrés se sont engagés dans l’activité Airbnb dans le cadre de redéfinition de leur trajectoire professionnelle, en particulier après avoir connu des périodes de chômage.
On parle des effets pervers de la plateforme AirBnB, notamment en termes de montée des prix de l’immobilier. Votre travail met pourtant en relief certains de ses effets bénéfiques dans une zone rurale. Pouvez-vous les citer ?
Dans les territoires moins denses que sont les communes périurbaines et rurales, notre recherche permet de souligner les effets bénéfiques du développement d’Airbnb à deux niveaux, individuel et collectif. L’enquête de terrain que nous avons mené et en particulier les entretiens que nous avons réalisés auprès d’hébergeurs permet, dans une première mesure, de souligner les nombreuses ressources – économiques, sociales ou encore symboliques – que procurent l’activité d’hébergement aux airbnbistes. Si la grande majorité d’entre eux s’y engagent en effet pour des raisons financières (se constituer un revenu complémentaire, contribuer à rembourser le crédit immobilier, etc.), l’activité d’hébergement leur permet également bien souvent d’accumuler des ressources sociales (créer des liens, rompre avec l’isolement social pour les retraités, etc.), voire un certain prestige au niveau du voisinage. Ainsi, accueillir dans sa commune rurale des classes supérieures, des étrangers, etc. est vécu comme une occasion de voyager par procuration, hors des sentiers battus, et de se confronter à une diversité culturelle, rompant avec le sentiment de « vivre dans un bled paumé ».
Permettre aux élus ruraux de mieux connaître et comprendre les logiques de l’hébergement Airbnb constitue ainsi une première étape pour qu’ils puissent en tirer des effets bénéfiques pour le développement de leurs territoires.
D’une certaine manière ce réseau peut être créateur de solidarité locale ?
En effet. D’une manière plus générale, l’hébergement Airbnb est très souvent fortement encastrée dans les réseaux locaux de solidarité, notamment amicaux et de voisinage, des hébergeurs. Les hébergeurs s’appuient en effet sur ces réseaux pour réaliser différentes tâches liées à l’activité (le ménage, l’accueil des touristes, les loisirs et les commerces conseillés, etc.). L’activité Airbnb peut alors avoir des retombées à l’échelle locale : en orientant de manière privilégiée les touristes vers les commerces et les artisans locaux, les hébergeurs contribuent dans une certaine mesure à une forme de revitalisation de leurs communes.
De quoi réhabiliter l’image de la plateforme pour le territoire ?
L’activité d’hébergement leur permet également bien souvent d’accumuler des ressources sociales (créer des liens, rompre avec l’isolement social pour les retraités).
Pas complètement. Attention à ne pas surévaluer ces effets bénéfiques du développement d’Airbnb, qui sont en partie liées à l’influence des contextes périurbains et ruraux sur la manière de pratiquer l’hébergement. Si nous retrouvons dans les centres-villes de métropoles régionales comme Tours, ou de villes moyennes touristiques comme Blois, le rôle de l’orientation vers des commerces locaux, nos entretiens révèlent aussi la présence, certes minoritaire, de conflits de voisinage, mais aussi de mise sur le marché de la location touristique de petits logements ou des chambres qui intéressent au premier chef les étudiants de ces villes universitaires. Cela peut laisser craindre une certaine tension sur ce segment immobilier. Sur ce point, la réalité n’est pas radicalement différente de ce qu’on peut observer dans les hyper-centre des grandes métropoles.
Quel est dans ces territoires ruraux ou périurbains le positionnement des pouvoirs publics locaux ?
Il s’agit du dernier volet de notre recherche que nous sommes en train de mettre en place et que nous livrerons en décembre 2019. Nous allons ainsi interroger des élus locaux pour déterminer, d’une part, s’ils ont une bonne connaissance de l’offre d’hébergement Airbnb présente sur leur territoire, et, d’autre part, s’ils voient le développement de ces hébergements d’un bon œil ou y sont plutôt indifférents. En effet, si l’Association des Maires Ruraux de France a signé récemment un partenariat avec Airbnb afin de développer des stratégies conjointes de développement du tourisme rural, notre recherche montre que les hébergeurs Airbnb dans ces communes ont très peu tendance à s’appuyer sur les ressources institutionnelles, comme les offices de tourisme ou les sites internet des municipalités. Permettre aux élus ruraux de mieux connaître et comprendre les logiques de l’hébergement Airbnb constitue ainsi une première étape pour qu’ils puissent en tirer des effets bénéfiques pour le développement de leurs territoires.