Coûts, faisabilité et défis techniques : le vrai du faux de la transformation de bureaux en logements
Dans un contexte de télétravail croissant et de pénurie de logements, la transformation de bureaux en logements est une solution de plus en plus envisagée. Cependant, cette opération est loin d’être simple et soulève de nombreuses questions. Quels sont les véritables coûts de ces transformations, leur réalisme, la quantité de bureaux transformables, et pourquoi ce processus est-il si complexe ?
La transformation de bureaux en logements serait-elle l’une des solutions idoines pour résoudre tout ou partie de la crise du logement qui frappe durablement l’Hexagone ? À cette question, la réponse paraît plutôt nuancée… Selon une récente étude de CBRE, plus de 4 000 opérations de transformations de ce type sont lancées chaque année – soit seulement 13 % des autorisations de permis de construire octroyés entre 2013 et 2021. « En dépit d’une volonté publique forte notamment à Paris, d’un cadre législatif plus favorable et de l’intérêt de certains professionnels immobiliers, la conversion d’actifs reste encore quantitativement limitée et difficilement « industrialisable », stipule Marion Vion-Dury, Associate Director Research chez CBRE. Loin d’être un effet de mode, il s’agit néanmoins d’une tendance de fond pour répondre aux enjeux d’obsolescence géographique. ».
En tête des territoires les plus en avance sur cette thématique-là, l’Île-de-France – sujette à de très fortes pressions sur le logement – décroche la médaille d’or (20 %), suivie par les régions Auvergne-Rhône-Alpes (13 %), les Hauts-de-France et PACA (ex-aequo à 9 %). Autre étude, même son de cloche… D’après les calculs de la Banque de France, près de 1 % seulement des nouvelles surfaces de logements de la période 2013-2019 est le fruit d’une reconversion. « Cette transformation de bureaux en logements devrait rester marginale dans les prochaines années », abonde Antonin Bergeaud, co-auteur de l’étude de la Banque de France.
Transformation de bureaux en logements : l’impact très limité du télétravail
Autre question qu’il convient de se poser sur le sujet pour dénouer le vrai du faux : quel est l’impact du recours au télétravail sur la vacance des bureaux ? « La crise sanitaire et la baisse d’occupation des bureaux ont un effet très limité sur la reconversion de bureaux en logement », avance Antonin Bergeaud. Selon les calculs de la Banque de France, les facteurs qui ont le plus d’effet sur ce type de transformation dans un bassin d’emploi donné sont un stock de bureaux élevé et un stock résidentiel faible. Pourtant, en Île-de-France, « du fait de l’accélération de l’obsolescence géographique et technique de certains immeubles de bureaux, le nombre de bureaux durablement vacants devrait continuer à augmenter dans les prochains mois et pourrait potentiellement venir alimenter les opérations de transformation de bureaux en logements », émet Madleen Falh, Associate Director Research chez CBRE. À Paris où la municipalité parisienne encourage ces reconversions depuis plusieurs années, l’Apur affirme que la part des transformations par rapport au parc de bureaux parisiens (21,2 millions de mètres carrés) demeure très modeste. « En dix ans, ces transformations n’ont concerné que 1,5 % du parc total avec une part comprise entre 0,5 % et 6 % selon les arrondissements. Dans le IVe arrondissement, cette part de 6 % s’explique à la fois par l’importance de l’opération de l’immeuble Morland, et un stock de bureaux plus réduit », appuie les auteurs de l’étude de l’Atelier parisien d’urbanisme publiée au printemps dernier.
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Une thématique complexe à appréhender
Résolument complexe, la transformation de bureaux en logements rencontre plusieurs obstacles pour être massifiée sur l’ensemble du territoire. Les personnes interrogées, évoquent la difficulté à calculer un ratio type. « Il est difficile de faire une moyenne car tout dépend de la nature du projet, du coût des travaux et de la perte de surfaces louables ou vendables sur un actif », confirme Madleen Falh. Nécessitant un temps long et une technicité particulière, ce type de projet se prête par exemple davantage à un actif des années 1970 – qui offre des plateaux de bureaux et des hauteurs sous plafond de tailles raisonnables – plutôt qu’un immeuble récent. Toujours selon Madleen Falh, il convient aussi de souligner qu’« un projet de démolition/reconstruction est parfois moins coûteux qu’une opération de reconversion, malgré son fort impact écologique ». Ainsi, selon l’Institut Paris Région, dans les Hauts-de-Seine, depuis le début des années 2010, la démolition-reconstruction a finalement été préférée dans 80 à 85 % des projets concernés.
Des obstacles économiques…
Si la transformation de bureaux en logement attise de plus en plus l’appétit des acteurs privés – tels que Novaxia, Ampère Gestion, Kareg IM ou encore Harvestate –, l’autre frein réside dans le fait que la valeur vénale de l’immobilier tertiaire est, sur certains territoires, plus élevée que celle de l’immobilier résidentiel. « Il faut acquérir à un prix décoté pour que cela soit rentable. Les opérations de repositionnement intéressent des acteurs spécialisés dans les stratégies de création de valeur : des fonds dédiés ont d’ailleurs été créés récemment » glisse Marion Vion-Dury. À titre d’exemple, au 17 boulevard Morland à Paris, Emerige a transformé 40 094 mètres carrés de bureaux en 16 280 mètres carrés d’habitation – soit près de 200 unités résidentielles, dont 33 % en logements sociaux – auxquels se greffent aussi un hôtel, une auberge de jeunesse ou encore une crèche et des commerces. « Pour être à l’équilibre financier, les investisseurs et les porteurs de projets misent le plus souvent sur des produits opérés (résidences étudiantes ou hotellières) que du logement classique », ajoute Madleen Falh.
… et politiques
Dernier obstacle – et non des moindre – : la réticence de certains maires face aux projets de transformation de bureaux en logements. Comme le suggère si bien l’Institut Paris Région, « à surface donnée, les bâtiments d’activités génèrent globalement davantage de recettes fiscales que les logements et pèsent bien moins sur les services publics locaux. » Ainsi, plusieurs édiles en première et deuxième couronnes parisiennes préfèrent garder des bureaux vides et obsolètes sur leur territoire plutôt que de favoriser leur changement d’usage – et donc ne pas accueillir de nouveaux habitants. « Pour les élus, ces transformations induisent une perte d’emplois sur la commune mais aussi une diminution de la fiscalité sur les bureaux alors que par ailleurs, elles engendrent des coûts supplémentaires, comme la construction d’écoles et de crèches : d’où la réticence de certaines villes », précise Marion Vion-Dury. Pour Antonin Bergeaud, « sans changement de réglementation, la reconversion de bureaux en logements ne prendra pas de l’ampleur ». « Le changement de destination d’un immeuble nécessite en effet d’obtenir des autorisations auprès des élus, dont la modification du plan local d’urbanisme (PLU », ajoute-t-il. À Paris justement, la municipalité, emmenée par Anne Hidalgo, a fait de la transformation de bureaux en logements – dans les secteurs où l’offre tertiaire est jugée trop importante – l’une de ses priorités dans le cadre du futur PLU bioclimatique. La transformation de ces édifices seront encouragées ou rendues obligatoires avec le pastillage. À noter : outre-Atlantique, la gouverneure de l’État de New York envisage des exonérations d’impôts fonciers pour les propriétaires qui acceptent d’inclure des logements abordables dans leurs projets de conversion de bureaux. Une piste à retenir pour la France ?