Rénovation énergétique des bâtiments : “Les collectivités locales ont les moyens d’apporter une aide de proximité”
Alors que les citoyens de la CCC (Convention citoyenne pour le climat) souhaitent rendre obligatoire la rénovation énergétique globale des bâtiments d’ici à 2040, et d’ici à 2030 pour les « passoires thermiques », quel pourrait être le rôle des collectivités pour accompagner cette transformation ? Quels sont les leviers qui peuvent conduire les ménages à se saisir davantage de la question ? Rencontre avec Gaëtan Brisepierre, sociologue et expert en transition énergétique et écologique du bâtiment.
Tout d’abord, pourriez-vous nous rappeler en quoi consiste la rénovation énergétique des bâtiments ?
La rénovation énergétique désigne l’ensemble des travaux du bâtiment qui visent à diminuer la consommation énergétique du bâtiment et de ses habitants ou utilisateurs. Il peut s’agir par exemple d’optimiser l’isolation des fenêtres et des murs, du système de chauffage ou encore de la ventilation du bâtiment. On distingue deux grandes approches : celle de la rénovation globale des performances, consistant à réaliser tous les travaux énergétiques d’un seul coup, et celle d’une rénovation énergétique progressive, consistant à profiter des différents actes de rénovation qui vont avoir lieu sur le logement.
Pourquoi le levier de la rénovation énergétique des bâtiments est-il incontournable aujourd’hui dans l’application dans la lutte contre le réchauffement climatique ?
Plus encore que les transports ou l’industrie, il ne faut pas oublier que le bâtiment est le secteur qui émet le plus de gaz à effet de serre. C’est donc par là qu’il faut commencer.
Il faut néanmoins avoir en tête que le parc immobilier de 2050 étant déjà largement construit, ce n’est pas seulement en construisant de nouveaux bâtiments hyper performants que l’on parviendra à atteindre les objectifs d’efficacité énergétique mais en rénovant le parc déjà existant. Il faut être capable d’agir sur l’ancien avant d’agir sur le neuf.
Quel pourrait être l’impact de la crise sanitaire que nous vivons sur la rénovation énergétique des bâtiments ?
À l’échelle de la ville, l’impact sur l’énergie se mesure déjà. Il est très fort sur la mobilité, dû au fait de véhicules et transports moins présents. Dans le bâtiment au contraire, on constate logiquement une forte augmentation de la consommation énergétique puisque les gens passent plus de temps chez eux en utilisant plus de ressources (chauffage, lumière, outils numériques…).
On peut penser que le confinement incite les individus à un réinvestissement de leur logement, et qu’ils pourraient donc en sortie de crise mettre en oeuvre des projets qu’ils auraient peut-être différé.
Diriez-vous qu’aujourd’hui les citoyens sont bien informés des performances énergétiques de leur logement ?
D’une façon générale, oui. Le DPE (outil de diagnostic de performance énergétique) qui accompagne les transactions depuis maintenant un certain nombre d’années, semble être bien entré dans les moeurs. Il est de plus en plus visible, notamment sur les annonces immobilières et les gens connaissent ainsi la performance énergétique de leur logement au moment de la location ou de l’achat.
Mais on ne peut pas imputer tous les freins de la rénovation énergétique au seul manque d’information ou de connaissance des gens. Les leviers à mettre en oeuvre sont plus complexes que cela.
La question environnementale est-elle suffisante pour pousser les propriétaires des passoires thermiques à rénover leur bien ?
La question environnementale n’est pas suffisante et peut même être contre-productive. Ce qu’on observe, c’est que les gens entreprennent avant tout des travaux, et qu’éventuellement ils intègrent – ou pas – des actes rénovation énergétique dans le cadre de ces derniers. Les raisons pour lesquelles ils réalisent ces travaux ne sont jamais poussées par la question environnementale en premier lieu. D’autres arguments entrent en jeu : celui du confort déjà, du bien-être dans l’habitat, mais aussi et surtout celui de l’économie financière. Le logement étant aujourd’hui le premier investissement des Français, la dimension économique est primordiale. Or on observe aujourd’hui que les constructions neuves intégrant les nouvelles réglementation du bâtiment basse consommation sont nombreuses, de la même manière que se multiplient les actions de rénovation des bailleurs sociaux ou des copropriétés.
Ce contexte implique une pression sur les propriétaires de biens anciens qui, s’ils ne sont pas rénovés, subiront une décote au moment de leur revente. La logique ici n’est donc même pas de pouvoir vendre plus cher demain, mais de ne pas vendre à perte.
Comment les collectivités locales peuvent-elles accompagner et convaincre les citoyens de se lancer dans des travaux d’éco-rénovation ?
Les collectivités locales ont un rôle à jouer de plus en plus important sur l’éco-rénovation. Pendant un certain nombre d’années, cette question était gérée au niveau de l’État avec des campagnes de communication d’un côté (comme par exemple l’opération de l’Ademe avec “Faisons vite, ça chauffe”) et de l’autre côté des incitations économiques (comme le crédit d’impôt qui a été transformé aujourd’hui). Or nous nous sommes aperçus que si nous voulions massifier la rénovation énergétique, il fallait accompagner encore davantage les ménages car la question demeure encore un parcours du combattant. Optimiser la consommation énergétique de son logement et bien plus complexe qu’un relooking d’appartement ! Les collectivités locales ont les moyens d’apporter une aide de proximité, de mobiliser les professionnels à l’échelle locale.
À mon sens, le rôle des collectivités n’est pas d’être dans une politique de guichet (en attendant que les ménages viennent les solliciter sur le sujet) car cette stratégie va les faire passer à côté d’une large partie du flux potentiel de rénovation. Les ménages ne vont pas forcément penser à le consulter. Selon moi, les collectivités doivent être dans une logique proactive. Elles peuvent par exemple nouer des partenariats avec les grandes surfaces de bricolage – en profitant du flux important de ces enseignes – pour sensibiliser et inciter concrètement les ménages à agir.
Il y a aussi une question d’exemplarité. Les collectivités sont aussi propriétaires d’un parc de bâtiments (bureaux, mairies, centres sociaux, gymnases, écoles…). Il y a là aussi un champ de travail qui est très important car ce parc doit être rénové au même titre que celui des ménages. Or vous ne pouvez pas inciter les ménages à rénover leur logement de manière très performante et en même temps les accueillir dans des mairies qui sont des passoires thermiques, dans des collèges qui sont déperditifs… Il y a un effet d’entraînement qui est à attendre de ce parc là.