L’immeuble bas carbone, une petite révolution ?
L’urgence écologique pousse les acteurs de la construction à innover. Les bâtiments qui sortent de terre sont de plus en plus vertueux et économes en énergies fossiles. Certains poussent même la prouesse jusqu’à se passer totalement de chauffage et de climatisation. Mais concrètement, comment ces nouveaux bâtiments vertueux qui se démarquent du reste des constructions ? Offrent-ils un modèle de construction viable ?
Le secteur de la construction cherche et expérimente aujourd’hui les solutions qui lui permettront de contribuer à la dynamique de la baisse généralisée des émissions carbone dans l’objectif d’une neutralité en 2050 à l’échelle de l’UE. Depuis une petite dizaine d’années, les acteurs de la fabrique urbaine innovent pour concevoir et construire des bâtiments plus sobres.
Qu’est-ce qu’un immeuble BAS CARBONE ?
De sa conception à son fonctionnement, un bâtiment consomme de l’énergie et des matériaux tout au long de son cycle de vie. Depuis la révolution industrielle et l’apparition du béton, le monde de la construction s’est fondé sur des procédés constructifs exploitant les ressources fossiles, délaissant des matériaux locaux et biosourcés au profit de matériaux mondialisés. Cette industrialisation du secteur de la construction a certes permis la pérennité des constructions modernes mais a, dans le même temps, entraîné une diminution des performances énergétiques. Alors que l’urgence climatique se fait de plus en plus ressentir, l’économie en énergie dépensée dans la construction et dans l’usage apparaît comme un modèle efficace et prometteur permettant de “sortir des visions technicistes et productivistes gaspilleuses en énergie et ressources en toutes sortes”, pour reprendre les termes du manifeste Pour une frugalité heureuse et créative, mouvement lancé en 2018 par Alain Bornarel (ingénieur), Dominique Gauzin-Müller (architecte)et Philippe Madec (architecte et urbaniste).
L’idée est donc de changer en profondeur la manière de concevoir les bâtiments pour entrer dans une logique de réduction de consommation des ressources. Pour ce faire, la construction économe en énergie repose sur quelques grands principes :
- Favoriser l’utilisation de matériaux biosourcés et locaux : dans une logique de diminution de la pollution engendrée par la fabrication du béton et par le transport international des matériaux, l’immeuble économe en énergie est bâti en totalité ou en partie avec des matériaux biosourcés, si possible locaux. Ces éléments constructifs, le bois, la paille, la terre ou encore les fibres végétales, possèdent deux qualités indéniables : ils peuvent non seulement être fournis localement, limitant ainsi le transport polluant, et ne demandent en outre que très peu de transformation pour leur utilisation, ne nécessitant pas, par exemple, d’ajout de matières polluantes et consommatrices d’énergies fossiles.
- Réduire la consommation énergétique du bâtiment : mobilisant une « intelligence de conception » (orientation des bâtiments, espace bioorienté…) et incorporant des matériaux biosourcés, l’immeuble économe en énergie consomme moins d’énergie dans son fonctionnement que l’immeuble habituel. En effet, l’inertie thermique des matériaux utilisés, une isolation efficace et l’installation de systèmes de ventilation naturelle permettent de réduire drastiquement la facture énergétique du bâtiment.
- Construire « low-tech » : cette révolution dans la construction évite le recours aux systèmes de climatisation et de chauffage, connus pour générer une part essentielle de la pollution à l’échelle d’un immeuble. Emmagasinant en été la fraîcheur de la nuit et, en hiver, la chaleur naturelle (personnes et équipements), l’immeuble frugal offre, grâce à son la performance de son isolation, des températures intérieures stables, généralement comprises entre 20 et 26° sans chauffage.
Faire rimer frugalité et confort
La méthode de construction économe en énergie est loin d’empiéter sur le confort proposé dans aux habitants, bien au contraire ! En se concentrant sur l’essentiel, c’est-à-dire des techniques constructives simplifiées à partir de matériaux écologiques, l’immeuble bas carbone propose un confort thermique et acoustique souvent supérieur aux constructions classiques. Il est alors plus facile de maîtriser la température du bâtiment et de réduire les nuisances sonores grâce à des matériaux naturellement absorbants.
Les aménagements dessinés et construits peuvent ainsi se concentrer pleinement sur la manière de consacrer l’espace au bien-être et aux usages des futurs occupants. Ces espaces, pensés pour la durée, sont bien souvent conçus de façon évolutive en vue de prolonger leur cycle de vie par rapport à des constructions modernes ayant la particularité de devenir rapidement obsolète, notamment dans le tertiaire.
Une source d’inspiration pour demain ?
Bien qu’ils ne représentent pour le moment qu’une infime portion des constructions actuelles, ces bâtiments très bas carbone n’en proposent pas moins un véritable modèle alternatif voué à se généraliser à l’ensemble du monde de l’immobilier.
Certaines collectivités et acteurs de la fabrique urbaine se sont d’ailleurs déjà engagés dans la promotion de ce nouveau mode de faire.
À Saint-Christol, dans l’Hérault, pour la construction de leur centre œnologique, les élus locaux ont choisi l’atelier d’architecture Philippe Madec. Sorti de terre en 2014, le bâtiment est entièrement construit en matériaux locaux : les pierres sont issues d’une carrière locale, la terre a directement été prélevée sur site et le bois provient des forêts des Cévennes voisines. L’architecture s’appuie sur les éléments naturels, comme le vent, permettant par exemple de bénéficier de la présence du mistral pour réguler la température intérieure. Une architecture frugale, au service de la mise en valeur du vin et de la qualité d’accueil du public.
En région lyonnaise, à Villefranche-Sur-Saône, les architectes Novae ont réhabilité la cité scolaire Claude-Bernard en misant sur une déconstruction raisonnée et une conception bioclimatique sophistiquée des nouveaux bâtiments. Dans l’ensemble des bâtiments, le confort thermique est assuré de manière passive, par une ventilation naturelle nocturne et des brises vues permettant de filtrer les rayons du soleil en journée. L’eau de pluie est récupérée pour être réutilisée dans l’ensemble des sanitaires de la cité scolaire.
Cependant, l’architecture économe en énergie n’est pas réservée aux bâtiments publics. De plus en plus de projets d’habitats vertueux sortent de terre et le secteur de l’immobilier tertiaire commence également à suivre le mouvement. La plateforme de services immobiliers Nexity a d’ailleurs signé une exclusivité sur un concept d’immeuble tertiaire bas carbone dit « Essentiel » sans système de climatisation ou de chauffage, et lancera à terme une première opération suivant ce modèle inspirant en Île-de-France. Peu à peu, les pratiques évoluent et les acteurs s’engagent en faveur d’une architecture plus sobre qui allie écologie, confort et résilience pour faire du secteur de l’immobilier un domaine plus respectueux de l’environnement.