Bernard Devert, fondateur d’Habitat et Humanisme
Publié le 18.02.25 - Temps de lecture : 5 minutes

Bernard Devert : « Le mal-logement relève non pas d’une crise, mais de crises qui assaillent notre société »

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Bernard Devert, fondateur d’Habitat et Humanisme, lutte contre l’exclusion et l’isolement des personnes en difficulté à travers une approche solidaire du logement. Dans cet entretien, il revient sur les multiples crises du mal-logement et plaide pour une véritable mixité sociale.

À RETENIR

  • Le fondateur d’Habitat et Humanisme souligne que le mal-logement est une problématique structurelle liée à une perte de fraternité et à un communautarisme croissant, créant des territoires marginalisés et socialement fracturés.
  • Les élus et habitants craignent un déséquilibre démographique et économique, notamment en raison du coût des infrastructures et du manque de perspectives pour les familles précaires, ce qui alimente la réticence à l’accueil de nouveaux logements sociaux.
  • L’absence de mixité sociale perpétue les inégalités et l’exclusion, tandis que la diversité des habitants dans un même quartier est essentielle pour renforcer la cohésion sociale et lutter contre l’isolement, notamment des personnes âgées.
  • Bernard Devert propose d’utiliser les 400 000 logements vacants dans les grandes métropoles via un mécanisme de foncières solidaires, permettant aux propriétaires de confier l’usufruit de leurs biens en échange d’avantages fiscaux et de la prise en charge des travaux de rénovation.

Peut-on retenir le mot « crise » quand il s’agit d’une situation qui dure, perdure, depuis plusieurs décennies.

Bernard Devert : S’il s’agissait d’une crise financière, nous en serions sortis, mais elle traduit une perte des valeurs existentielles de notre civilisation, la fraternité, ébréchée par un communautarisme qui déchire le tissu social, jusqu’à devoir reconnaître ce constat que des quartiers sont perdus pour la République.

Pourquoi, selon vous, les habitants et les élus sont-ils souvent réticents à l’idée d’accueillir davantage des logements sociaux dans les quartiers urbains.

Bernard Devert : Nombre de ces quartiers peinent à trouver un équilibre et comment s’en étonner tant la Société, pour reprendre le vocabulaire des sociologues, est devenue « liquide », au sens des périphéries, la ville-centre devenant souvent inabordable pour les publics fragilisés. L’inquiétude des élus est de se trouver dépassés au regard des nouveaux flux de populations (écoles, chômage). A cette intranquillité des élus s’ajoute celle des habitants qui n’ont pas toujours de sécurité quant à leur avenir, notamment les familles monoparentales, plus de 5 millions en France, d’où aucun empressement d’accueillir de nouveaux arrivants.  Le constat observé, c’est que les maires dits bâtisseurs ont mauvaise presse. Le logement social n’est pas aimé pour se présenter comme une cause de difficultés nouvelles. Si un consensus se fait quant à la nécessité de bâtir plus, il induit avec la même unanimité, un oui, mais « ailleurs ».

Le logement a un impact social ; s’il est le lieu de l’intime, du ressourcement de soi, il permet d’aller à l’autre, les autres.

Vous parlez d’un impact social du logement. En quoi cette problématique dépasse-t-elle la simple question de l’habitat ?

Bernard Devert : À mal nommer les choses, pour citer Camus, on aggrave les malheurs du monde. Le logement a un impact social ; s’il est le lieu de l’intime, du ressourcement de soi, il permet d’aller à l’autre, les autres. Or, trop souvent dans ces quartiers, il y a les mêmes, c’est le mythe de Babel à l’envers, ils ne le construisent pas, ils se le voient imposer pour être assignés à un habitat rarement choisi, d’où une frustration. Alors que, dans les quartiers aisés, ce mythe de Babel est prégnant, il relève d’une volonté d’être ensemble, créant un mur séparatif de ceux différents de par leur situation sociale et les approches culturelles. Cette observation souligne la crise de la fraternité qui ne parvient pas à susciter la liberté. Qu’elle est-elle quand le choix du logement se révèle inenvisageable. Quelle égalité quand plus de 4 millions de nos concitoyens sont de fait mis à part avec le ressenti amer d’être les oubliés, même si ces quartiers témoignent d’une intelligence créatrice, conjuguée à une générosité, si bien exprimée dans le film « Bonne mère ». Quelle fraternité quand le logement proposé présente tous les caractères d’une discrimination signant la perte de chance d’un avenir. L’espace imposé est ressenti comme une « mise au coin ». Noël Arnaud dans son livre « l’état débauche », dit justement, je suis la place où je suis. Construire est un acte de soin du tissu social qui doit introduire comme urgence celle de bâtir des biens pour créer des liens. La mission d’Habitat et Humanisme est de faire surgir des espaces de mixité. La mixité est un facteur d’équilibre pour susciter un apprivoisement sans lequel il n’y a pas de rapprochement possible. La fièvre des marchés n’est pas sans enfiévrer les iniquités, d’où des incompréhensions qui altèrent les relations sociales. L’Etat et les Collectivités Locales sont restés silencieux sur cet enrichissement sans cause dont bénéficient les propriétaires de fonciers suite aux très lourds investissements effectués pour structurer les villes, transports publics (métros, tram), équipements culturels. La loi Solidarité et Renouvellement Urbains, bien connue par son acronyme S.R.U. a quelque peu atténué cette iniquité mais au préjudice des classes moyennes qui ne peuvent pas avoir accès au logement très social, ce qui est légitime, mais qui se trouvent confrontés à l’aveuglement du marché immobilier via des prix qui les éloignent des centres-villes, ce qui n’est pas sans entraîner des conséquences politiques qui, déjà, revêtent une actualité.

Nous devons changer notre regard sur le logement social ; il n’est pas une contrainte, il est une chance pour bâtir une société plus équilibrée et apaisée.

Comment offrir à la mixité sociale un intérêt renouvelé ?

Bernard Devert : La mixité est une vision de la Société qui signe une révolution du cœur pour refuser que des territoires soient privilégiés au préjudice des autres. Quand les cimes de notre ciel se rejoindront ma maison aura un toit, dit Paul Eluard. Ce toit ne peut se construire que par l’attention aux autres, via la diversité sociale et l’intergénérationnel qui méritent d’être développés, outre le fait qu’ils sont des clés pour que « le bien vieillir chez soi » puisse être offert à nos aînés. Attendu le vieillissement massif de la population, un risque, déjà bien avancé, se fait jour de voir nos aînés confrontés à un isolement. L’approche d’un habitat diversifié est une des conditions pour leur permettre de continuer à jouer un rôle actif dans la Société. Oui, nous devons changer notre regard sur le logement social ; il n’est pas une contrainte, il est une chance pour bâtir une Société plus équilibrée et apaisée.


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Comment convaincre les Collectivités Locales et les habitants des bénéfices de cette approche ?

Bernard Devert : Le social est trop souvent anonyme. La personne est occultée par des approches à grands traits et approximatifs de ce qu’elle est, jusqu’à sombrer dans des catégories. Il convient de redonner à la personne sa place, qu’elle puisse être entendue ; apprendre à reconnaître, c’est se donner la possibilité de faire naître. Au diable la ghettoïsation ! A Paris, dans le 16ème arrondissement, nous nous sommes portés acquéreurs dans le cadre de la loi SRU de 24 logements dans un immeuble où les autres appartements sont vendus entre 12 000 et 15000 € du m². Les différences sont majeures entre les résidents qui vivent au sein de cette opération, mais nous avons pu créer des liens facilitant une compréhension permettant de sortir des jugements hâtifs. Ainsi, lors d’une fête organisée quelques jours avant Noël, des jeunes touchés par des déficiences psychiques, ayant trouvé place dans cet immeuble, ont pris la parole en ces termes : « oui, nous sommes confrontés à une certaine perte d’autonomie, oui, notre vie est différente de celle que nous avons espérée, mais nous voulons vivre ». Les mots étaient si justes, si forts, qu’il s’est créé entre tous une complicité. Parler du logement social entraîne une rupture, s’inscrire dans une relation sociétale laissant place à l’intelligence et à la générosité met en œuvre des liens inattendus.

Pays, entends-tu ces cris sourds des populations fragiles mal logées ?

Comment mobiliser les logements vacants pour répondre aux besoins de logement social ?

Bernard Devert : Que de foyers, de personnes isolées en recherche d’un logement, levant les yeux, voient des appartements sans lumière, pour être inoccupés. Pourquoi, secrètement, s’interrogent-ils, ces lieux ne pourraient-ils pas être proposés. Le ressenti est amer comprenant que n’ayant rien ou si peu, ils ne sont rien. Pays, entends-tu ces cris sourds des populations fragiles mal logées ? Cependant, il est une vacance sur laquelle il convient d’intervenir et en urgence pour être située au cœur de la capitale et dans les six premières métropoles, soit plus de 400 000 appartements, là où l’accès au logement est le plus tendu. Difficile de ne pas voir les toiles de tente qui essaiment, traduisant une iniquité de la société, mais aussi une indifférence qui ne saurait se prolonger touchant même des enfants. Comment prendre en charge ce que des propriétaires, souvent en raison de l’âge ne peuvent pas faire, faute de possibilités financières ou pour se heurter à la complexité de la recherche de subventions dont l’instruction des dossiers n’est pas toujours très aisée, même si un effort a été entrepris. Le projet est d’inviter les propriétaires de surfaces inoccupées à en confier l’usufruit aux foncières solidaires relevant du statut ESUS, à charge pour elles de mettre en œuvre l’ingénierie liée aux travaux de réhabilitation et à la recherche de financements (Prime Rénov’, ANAH). Les travaux seraient financés par ces foncières qui recevront en échange les loyers relevant des plafonds PLAI, PLUS. Le nu-propriétaire se trouverait libéré des charges, de l’impôt foncier et de l’IFI s’il est assujetti, des assurances et naturellement des pénalités liées à cette vacance, enfin éteinte. Ce programme mériterait que les foncières solidaires puissent convertir en parts sociales la valeur de l’usufruit forfaitisé pour éviter toute discussion ce qui conduirait les nus-propriétaires à disposer, au regard de leur investissement éminemment social, des titres leur donnant droit à un avantage fiscal lié aux entreprises solidaires l’IR-SIEG (loi du 29 décembre 2015 – article 885-O V bis B du CGI). Redonner vie à ces appartements inoccupés, c’est marquer une attention à la fraternité qui s’en trouverait singulièrement renforcée. Saurons-nous y parvenir ; tel est le défi que nous voulons relever.

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