Réinventer l’habitat : « La construction des logements doit devenir une question de politique territoriale »
Le confinement a révélé l’importance du logement dans la vie d’un individu, un logement personnel que doit s’approprier son occupant, mais un logement qui s’inscrit également dans un ensemble plus grand : la ville. François Leclercq revient avec nous sur l’habitat qu’il faut réinventer, dans son microcosme comme dans son macrocosme, de l’appartement à la ville. Selon lui, les collectivités territoriales doivent se saisir de ce sujet en s’appuyant sur des solutions comme la ville du kilomètre, qui permettrait à chacun de s’épanouir tout en participant à un autre mode de vie, plus en adéquation avec les enjeux écologiques de notre temps.
Pensez-vous qu’avec le télétravail — où les salariés doivent se réapproprier leur HABITAT pour y vivre aussi bien que pour y travailler — notre rapport à l’espace soit changé : passant d’un espace décloisonné pour profiter de grandes pièces à, au contraire, des pièces plus fermées et plus intimistes ?
Il faut d’abord se demander comment prolonger le télétravail. Et il faut mettre cette question en parallèle avec une autre donnée révélée par le confinement : l’exiguïté des pièces. C’est maintenant la donnée la plus importante pour réfléchir aux conditions du travail à domicile. Nous avons réalisé une étude avec Jacques Lucan et Odile Seyler qui revient sur l’histoire du logement et ce qu’il se passe chez nos voisins pour montrer que la France a les logements les plus petits d’Europe, avec une perte moyenne de 10m2 par rapport à nos voisins. Depuis les années 1980, nous observons une réduction systématique de la taille des logements en France, un phénomène dur qui s’explique par plusieurs raisons, notamment par la nécessité de loger de plus en plus de personnes et pour des coûts réduits.
Comment se caractérise cette réduction de l’espace ?
L’exemple typique est celui de la chambre, qui impose une règle très stricte dans la construction, sans doute la plus importante : ne pas descendre en dessous des 9m2, dans lesquels on rajoute souvent un placard. Il devient alors difficile de loger un lit et un bureau dans un espace aussi restreint. Or, pour comprendre ce confinement, et l’impact qu’il a eu sur les individus, il faut se mettre dans la peau de ceux qui l’ont vécu dans leur chambre exiguë. On pense souvent que l’évolution se fait à l’extérieur du logement, avec par exemple l’ajout d’une terrasse, un aménagement du toit ou un espace commun avec les voisins : si ces ajouts sont toujours bénéfiques, cette crise a mis en évidence l’exiguïté permanente du logement actuel. L’exiguïté se pratique dans les chambres, mais aussi dans des pièces qui ont disparu, comme la cuisine, ouverte et souvent rattachée au salon, ou l’entrée qui a presque disparu maintenant. Alors même que nous ne sommes pas dans une période de guerre ou d’après guerre, nous vivons depuis de nombreuses années une baisse drastique de la qualité de nos logements. Pour des raisons économiques, les appartements sont rarement traversants parce qu’on limite aussi le nombre de cages d’escaliers par exemple. Donc, le télétravail ne peut s’installer que si les chambres sont étudiées en conséquence.
Qu’est-ce que l’on pourrait faire pour lutter contre cette exiguïté singulièrement française ?
Il faut d’abord comprendre pourquoi nous sommes arrivés à cette exception française. Et ici, plusieurs paramètres entrent en jeu : si le prix du foncier est prohibitif, l’exiguïté a une explication, mais on constate que cette culture de l’exiguïté s’est propagée sur tout le pays même là où il n’y a pas de pression. Ce qui est effarant. Nous menons actuellement une étude pour montrer en quoi cette responsabilité peut appartenir aux maires. En effet, a priori un maire ne s’occupe que de la vision extérieure d’un immeuble : sa volumétrie, sa colorimétrie etc… Mais il ne doit pas s’occuper de l’intérieur, alors même qu’il est garant de la qualité de vie de ses concitoyens. Alors, comment est-ce qu’il peut imposer des normes de qualité et de confort aux promoteurs pour les logements qu’ils construisent sur son territoire ?
Avez-vous trouvé de premiers éléments de réponses à cette question ?
Nous commençons en effet à trouver des éléments auprès de certaines villes qui soumettent un contrôle qualité grâce à des SEM (Société d’Économie Mixte) et à la rédaction de chartes pour les promoteurs. Certaines SEM, au moment d’organiser les concours pour travailler avec différents promoteurs, rédigent un cahier des charges pour s’assurer de la qualité et de la superficie des futurs logements. Il est évidemment difficile de demander à un promoteur d’être généreux sur ces points puisqu’ils sont toujours en compétition, c’est pourquoi il faut que cette compétition soit régulée par l’instance politique. La construction des logements doit devenir une question de politique territoriale. Je me suis personnellement entretenu avec de nombreux maires qui sont tous d’accord sur le sujet : les logements que nous construisons depuis quelques années sont réellement perfectibles.
Comment doit s’insérer le télétravail dans ces réflexions sur la qualité du logement et l’aménagement de nos villes ?
Le télétravail est une notion intéressante, mais seulement s’il ne s’agit pas pour les entreprises de réaliser des économies sur leurs biens fonciers. Voyez par exemple le DRH du groupe PSA qui déclarait : « le télétravail nous permettra de réduire notre empreinte immobilière. » L’objectif affiché par PSA ici n’est que de réaliser des économies sur son foncier. Au contraire, le télétravail doit devenir une nouvelle manière de redistribuer le territoire. Dire qu’on peut travailler quelques jours par semaine dans ce que j’appelle « la métropole du lointain », peut servir à réhabiliter des régions de France qui ont été délaissées par les politiques publiques ces dernières années. Il y a deux ans, la révolte des gilets jaunes commençait dans ces régions : ces territoires doivent être réanimés et réactivés pour ceux qui veulent vivre autrement. La métropole, bien qu’elle soit accueillante, ne peut pas répondre à toutes les situations ; il y a aujourd’hui le besoin d’une nouvelle ruralité pour pouvoir, en télétravail, passer d’une région à l’autre, de la métropole à la métropole du lointain. Devant un désir grandissant de plus d’espace et de plus de verdure, les métropoles peuvent devenir des territoires de fuite. Ceci peut impliquer un fort retour à la maison individuelle et, par voie de conséquence, un grignotage accru des terres naturelles, ce qui est très dommageable sur le plan environnemental. Il faut susciter à nouveau un désir de métropole qui passe entre autre par la qualité de chaque logement, de chaque quartier.
Nous avons vu pendant le confinement que les pièces d’une maison ou d’un appartement n’ont jamais qu’un seul rôle, mais qu’elles répondent à différents besoins au quotidien avec par exemple certaines personnes qui travaillaient dans leur cuisine et qui dormaient dans leur salon. Comment peut-on rendre nos logements plus adaptés aux évolutions du travail, et donc du quotidien, qui sont à prévoir ?
Je pense qu’une chambre doit toujours accueillir un bureau, parce que la chambre est le lieu individuel par excellence, elle ne devrait jamais faire moins de 12 ou 13m2. Quand on fait un plan, il faut montrer qu’il est réellement possible d’aménager la chambre, se l’approprier pour qu’elle réponde aux différents besoins. Le plus dramatique dans les logements actuels, c’est qu’il n’y a plus de place pour l’investissement personnel, l’espace est prédéterminé, conditionné d’une certaine manière. Ce qui m’intéresse, c’est de comprendre comment nous pouvons nous approprier un lieu et inventer notre vie dans cet espace. Le lieu du travail doit être une chambre, un espace clos, parce qu’il faut revenir à l’individualité. Mais cette même individualité est maintenant soumise à l’exiguïté des espaces, puisque, comme je le montrais, nous avons perdu en moyenne 10m2 ces dernières années.
Durant le confinement, 90% des photos les plus épinglées sur le site Houzz montrent des plantes et de la verdure. Quel rôle doit jouer la nature dans nos futurs logements pour les rendre plus « vivables » ?
Il faut d’abord séparer le rôle de l’immeuble du rôle de la ville. La ville doit être plus verte, et l’immeuble doit s’insérer dans cet ensemble en proposant des balcons suffisamment spacieux pour accueillir de la verdure avec une véritable occupation. Il faut également végétaliser les toitures dès que cela est possible. Beaucoup d’architectes réfléchissent à ces questions en ce moment pour réinventer la verdure dans les villes. Lors des élections municipales, de nombreuses propositions ont été formulé sur le sujet : augmenter la plantation d’arbres, désimperméabiliser les sols et renaturer les villes. Toutes ces mesures appartiennent aux politiques publiques.
Catherine Sabbah, directrice de l’Institut des hautes études pour l’action dans le logement a déclaré : « On habite son quartier et sa ville et avec les autres. » Autrement dit, le logement personnel s’inscrit dans un ensemble plus grand : or, comment voyez-vous maintenant le développement des espaces publics ? Faut-il repenser l’agencement de nos quartiers ?
Je travaille avec elle sur toutes ces questions justement donc je suis parfaitement d’accord ! Mais il faut également prendre en compte la place de l’automobile qui évolue fortement : en diminuant son utilisation nous libérons de l’espace pour la nature. Ainsi, cette crise met en évidence deux choses essentielles : d’une part l’exiguïté de nos logements personnels et d’autre part l’activation nécessaire « du rez-de-chaussée » des villes. Dans la ville du kilomètre, ou ville du quart d’heure, que nous avons pratiqué durant le confinement, nous avons vu ensemble l’importance d’avoir tout ce qui est essentiel pour notre vie proche de notre domicile. Il est très important maintenant de se demander : que doit-on faire du rez-de-chaussée des villes ?
En tant qu’urbaniste, je vois de nombreux écoquartiers où il ne se passe rien au niveau du sol. Alors qu’une ville qu’on aime et qu’on pratique est une ville où l’on peut marcher à pied, flâner entre les commerces et les activités disponibles. Ce que j’appelle le Rez des villes est une intersection entre l’espace public et l’espace privé, c’est un entre-deux, une mutation possible : si le commerce ne marche pas, on doit pouvoir le remplacer par un lieu d’activité, comme un tiers-lieu pour favoriser le télétravail et le coworking par exemple. Le sol de la ville doit être actif, il doit converser et être en relation avec le promeneur qui ne peut se contenter de la beauté des façades. Il faut donc réinventer la ville en profondeur et le logement personnel qui s’inscrit dans cette ville. J’avais proposé, quelques années auparavant, un projet difficile à mettre en place : que le Rez des villes – la partie en relation avec l’espace public – soit une propriété particulière, c’est-à-dire qu’elle appartienne à des SEM dédiées capables de dire s’il faut louer un commerce, créer des logements étudiants, implanter des activités à loyer modéré etc… Le Rez des villes est l’endroit essentiel de la vie en communauté. Il faut repenser la ville pour celui qui était chez lui, malheureux dans sa chambre trop petite, pour qu’il puisse s’épanouir en sortant de chez lui.