Coliving, intergénérationnel : La crise sanitaire va-t-elle révolutionner nos modes d’habiter ?
Résidences avec services ou espaces partagés, colocation intergénérationnelle, coliving… De plus en plus de modèles attractifs voient le jour pour répondre aux évolutions de nos modes d’habiter et de travailler, répondant aux besoins de liens sociaux de plus en plus fragilisés par la crise sanitaire. Ces modèles innovants sauront-ils s’imposer dans la durée ?
Comment ça marche le coliving ?
« Le coliving n’est pas forcément un modèle qui est facilement compréhensible par tous, car c’est avant tout un enjeu de génération » souligne Valentine Gros, co-fondatrice avec Laetitia Bô du cabinet d’avocats Urban Act, spécialisé dans le montage de projets immobiliers alternatifs.
Vivre ensemble
Le coliving est tout d’abord un concept d’habitat né à Los Angeles au début des années 2000, où les frontières entre espaces de travail et espaces de vie étaient floutées. Importé en France depuis une dizaine d’années, le coliving connaît un franc succès chez les jeunes professionnels, comme nous le précise Laetita Bô : « le coliving répond à des besoins concrets d’une génération : les jeunes se mettent en ménage plus tardivement qu’avant, ils sont célibataires plus longtemps et ont un besoin de liens sociaux accrus. Parallèlement, ils n’ont peut-être pas les moyens d’habiter seuls, ils trouvent donc dans ces modèles alternatifs d’habitat un mode de vie qui leur correspond ».
Aujourd’hui, ces nouvelles formes d’habitat prennent de l’ampleur. Pour répondre à la demande croissante, portée en premier lieu par des étudiants et des jeunes actifs, de nombreux acteurs privés et publics se positionnent sur le marché. C’est le cas d’Urban Campus qui conçoit et anime des lieux de vie collaboratifs adressés aux étudiants et allant du coworking au coliving.
À cheval entre l’habitat personnel, la vie en communauté et le haut niveau de services, le modèle du coliving peut pourtant décourager certains porteurs de projets à se lancer dans l’aventure : “Au niveau juridique, il n’y a pas de cadre précis, ce qui peut être un frein au déploiement de ces modèles. C’est notre rôle de faire en sorte que les projets que nous accompagnons voient le jour et de manière assez rapide. Nous devons trouver l’équilibre entre la flexibilité induite par ces formes d’habitat et la sécurisation dont les porteurs de projet ont besoin” assure Laetitia Bô.
La nouveauté des modèles explique en partie la résistance de certains à se les approprier, alors même qu’ils répondent à des besoins de plus en plus pressants. En effet, la crise actuelle de la Covid 19 a montré que le coliving est un modèle attractif pour les jeunes professionnels : la vie en communauté a permis à ses adeptes de bénéficier d’échanges sociaux, dans des espaces de vie de qualité, durant une période qui a pourtant fortement impacté le moral de chacun.
Le coliving au service des collectivités territoriales ?
Pendant de nombreuses années, les projets de coliving étaient développés par des acteurs privés, chaque enseigne cherchant à disposer une antenne au sein des grandes capitales mondiales. Aujourd’hui, ce sont aussi des collectivités qui s’emparent elles-mêmes de cette nouvelle forme d’habitat.
Et pour cause, derrière un effet de mode, Valentine Gros souligne que le modèle du coliving et des formes d’habitats alternatifs pourraient répondre à de nombreux enjeux d’attractivité pour des villes en perte de dynamisme : “il y a une volonté de la part d’acteurs privés mais aussi de collectivités d’attirer les jeunes dans certaines villes. Aujourd’hui, nous avons conscience que la population française est vieillissante et ce sont ces résidentialités qui permettent d’accueillir des jeunes professionnels au pouvoir d’achat élevé. Nous considérons que la diversité est vectrice de vitalité, l’arrivée de nouveaux profils est donc un plus pour un territoire.”
Le 18-30 ans, étudiants ou jeunes professionnels sont particulièrement visés. Avec une mise en ménage plus tardive que les générations précédentes, ils valorisent davantage la vie en collectivité. Les frontières entre logement, loisir et travail tendent logiquement à se brouiller. Pour répondre à ce changement générationnel, certains opérateurs privés développent de nouveaux modèles et services davantage en phase, comme Studéa, proposant des espaces à vivre à cheval entre le collectif et le privatif (salle de sport, coworking, grande cuisine) favorisant les interactions entre voisins. Le vert y est souvent à l’honneur, comme dans La résidence Villanova Urbagreen, à Romainville, où les résidents s’investissent dans des potagers partagés.
Le développement du télétravail, accéléré à marche forcée par la crise sanitaire, devrait accentue cette tendance, et, probablement, inviter les collectivités locales à s’en emparer : “Ces derniers mois, de plus en plus de personnes ont réalisé qu’elles n’avaient pas forcément besoin d’être dans des grandes villes pour travailler. Ce constat va faire émerger et accélérer l’apparition de nombreuses tendances que les collectivités vont pouvoir s’approprier, et nous serons là pour les accompagner” avance Laetitia Bô.
Pour Valentine Gros, le déploiement des formes alternatives d’habitat, dont le coliving, peut contribuer à la revalorisation d’un parc immobilier qui n’est plus forcément adapté aux modes de vie actuels : « avec l’évolution de la famille, où les familles se séparent, où les enfants quittent tôt le domicile, on se retrouve avec des biens immobiliers, notamment de grands appartements et maisons, qui n’ont plus tellement de sens. Mais ces biens sont transformables sans forcément avoir besoin de faire de grands travaux. Le coliving peut leur donner une deuxième vie ».
Le coliving a-t-il un avenir ?
Même si, pour l’instant, les habitats alternatifs séduisent majoritairement de jeunes actifs nomades, une diversification à d’autres pans de la population est tout sauf improbable.
Un nouveau créneau que certaines collectivités pourraient investir pour offrir des habitats variés et adaptés à tous âges de la vie. Comme le souligne Laetitia Bô : « Le coliving est un modèle que l’on peut dupliquer en fonction des âges. Il existe déjà quelques projets de coliving seniors et même intergénérationnels, notamment à Lille. Ce qui est assez intéressant pour ceux qui y vivent puisqu’ils peuvent échanger entre générations. Ce modèle constitue un précieux remède contre l’isolement, que l’on déplore bien souvent comme un des grands maux de notre société. »
Potentiel rempart contre l’isolement, il n’est donc pas anodin de voir l’habitat collectif gagner le cœur de seniors désireux d’échapper à un mode de vie souvent vécu comme monotone. Il faut dire que l’habitat collectif, d’autant plus lorsqu’il est intergénérationnel, génère de nombreux bénéfices sociaux et émotionnels : « les résidences multigénérationnelles sont à la fois un lieu où les seniors peuvent exercer leur utilité sociale, mais aussi recréer des liens sociaux avec les membres de la résidence dans laquelle ils vivent, et aussi la population qui vit à proximité de la résidence” souligne Melissa Petit, sociologue.
C’est par exemple le cas des résidences Complicity, qui se sont faites fort de réaliser cette utopie concrète : ouvertes à tous les âges, elles permettent de faire cohabiter jusqu’à quatre générations au sein d’un même espace, favorisant ainsi le dialogue entre les âges.
Si ces projets commencent tout juste à se consolider, il y a, selon Valentine Gros, fort à parier que l’on assistera à une forme de normalisation de la pratique au cours des années à venir : « la jeune génération va accompagner cette tendance. Aujourd’hui les seniors peuvent être hésitants mais dans quelques années ils le seront moins parce qu’ils connaîtront le modèle et y auront peut-être déjà même vécu” précise Valentine Gros.
Et si demain, les villes inventaient une nouvelle façon de vivre ensemble ?
S’il est bien une réalité partagée, c’est la rapidité à laquelle ont évolué les modes d’habitat et de travail au cours des derniers mois. Généralisation du télétravail, aspiration à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle pour les plus actifs ou désir de fuir l’isolement pour les plus âgés : de nouveaux besoins fleurissent qui questionnent notre rapport à l’espace.
En conséquence, l’apparition de nouvelles tendances tente d’apporter des débuts de réponse à ces évolutions : essor du flex offices en lieu et places des bureaux traditionnels, hybridation des espaces de travail et de vie, pérennisation de friches urbaines ou encore essor de l’habitat collectif.
Encore faut-il que des acteurs s’en emparent pour promouvoir et stabiliser les innovations qui façonneront, demain, les normes. C’est le défi que Valentine Gros et Laetitia Bô comptent bien relever au cours des prochains mois : “Notre rôle de guide prend encore plus de sens aujourd’hui : notre métier d’avocates nous permet d’accompagner, à notre échelle et dans notre champ de compétence juridique, des innovations urbaines et des projets qui participent à créer des villes plus inclusives. Nous assistons des porteurs de projet, dont la concrétisation va progressivement faire émerger une ville « optimisée » dans le sens d’une meilleure utilisation du parc immobilier existant.”