Vincent Pavanello : « Il faut nuancer l’exode urbain »
Les effets des deux confinements et plus globalement, ceux liés à la crise sanitaire actuelle sur les tendances immobilières françaises ne sont plus à démontrer : les citadins aspirent à plus de nature, plus de place, plus de confort. Alors que depuis quelques années, les achats immobiliers ciblent majoritairement les grandes métropoles du territoire, ce penchant semble s’être inversé. En effet, les demandes se sont accrues pour les petites et moyennes villes. Mais après un an de crise sanitaire, observerons-nous réellement des changements dans les mobilités résidentielles des Français ? Rencontre avec Vincent Pavanello, fondateur et président de Real Estech™ pour analyser l’évolution du marché de l’immobilier.
De tout point de vue, l’année 2020 aura été une année qui a bouleversé les codes. Le secteur de l’immobilier n’a pas échappé à ce phénomène. Même si le recul n’est pas encore suffisant pour pointer du doigt de grands changements dans les pratiques immobilières des Français, certaines tendances commencent à se dessiner. Sommes-nous en train d’assister à des bouleversements qui vont peu à peu désengorger les grandes métropoles de leurs surplus d’habitants ?
Avant d’analyser la conséquence de la crise sanitaire sur l’immobilier français, il faut d’abord se rappeler ce qu’était la situation avant la Covid-19. En effet, lorsque l’on demandait en 2019 aux français de définir leur lieu d’habitation idéal, ils étaient 40-45% à privilégier les villes moyennes. Et pourtant, seulement 20% des personnes interrogées vivaient effectivement dans une des 200 villes moyennes du pays. Il y avait donc déjà un très fort écart entre leurs aspirations, c’est-à-dire la volonté d’avoir de bonnes conditions de vie, une grande maison à la campagne et la réalité des choix personnels.
Car en effet, lorsque l’on observe de plus près les territoires correspondants aux “villes moyennes”, où le cadre de vie est considéré comme plus agréable, on se rend en réalité compte que l’offre éducative n’est pas forcément la meilleure. Et cette donnée non négligeable se révèle souvent un frein pour la mobilité des ménages avec enfants. Par ailleurs, ces espaces-là ne sont pas forcément les plus offrants en termes d’opportunités d’emplois. Ce phénomène est réel lorsqu’il s’agit de petites villes, mais aussi de métropoles plus grandes comme Bordeaux, où beaucoup de Parisiens se sont installés dans l’optique de gagner en qualité de vie. Or souvent, au sein du couple, on observe un décalage avec une seule personne ayant trouvé un emploi qui lui correspond réellement. Enfin, dernier élément important concernant les “villes moyennes”, le cadre de vie espéré ne s’y révèle pas aussi dynamique que dans les grandes métropoles : les centres-villes s’étant en effet paupérisés au fur et à mesure des décennies, l’offre commerciale n’y est pas aussi déployée.
Avant la crise de la Covid-19, on assistait donc déjà à l’émergence d’un désir de certains ménages de s’installer dans des villes de plus petites tailles, sans pour autant que ces derniers sautent le pas au vu de la réalité du terrain.
On comprend donc bien qu’il existe un décalage entre le désir des urbains et la réalité de la vie qui n’est pas aussi simple que l’on pourrait le penser. Néanmoins, pensez-vous que la crise de la Covid-19 a contribué à renforcer ce désir d’exil des grandes villes jusqu’à les pousser à passer à l’acte ?
Avec la Covid-19 et notamment durant le premier confinement, il est vrai que de nombreux journaux évoquaient régulièrement le phénomène d’”exode urbain”. En réalité, cette tendance ne s’est pas réellement confirmée, notamment pour les raisons que j’ai exprimées précédemment, à savoir, un déménagement implique toujours un changement de vie très radical. L’expérience d’un confinement à la campagne ne s’est pas révélée toujours aussi positive que l’on pourrait le croire. De nombreuses personnes ont fait « l’aller-retour », du fait d’une connectivité pas suffisamment optimale, d’une vie sociale forcément réduite et d’une offre commerciale et culturelle pas assez développée.
Il semble donc certain que même si le confinement a donné envie à certains de s’exiler des grandes villes, il est nécessaire de nuancer le phénomène. D’abord, car celles et ceux qui ont eu l’occasion de s’installer même de façon éphémère, dans des plus petites villes, sont en réalité un public privilégié. Ces personnes ont d’abord réussi à négocier avec leur employeur un “100% télétravail”, car elles évoluent dans des secteurs bien précis. Cette situation n’est pas forcément représentative de la moyenne française. Cet exode urbain n’est donc pas si évident à quantifier et il semble aujourd’hui certain que les métropoles vont continuer d’attirer de plus en plus d’habitants, peut-être moins dans les villes-centres, mais leur croissance va se poursuivre.
Il y a également une autre nuance que l’on peut apporter au débat public actuel. Il est souvent relaté dans la presse que l’ensemble de la population française n’aurait qu’une seule hâte, celle de retourner dans les bars et les restaurants, au musée ou encore au cinéma. Cependant, il convient de rappeler que c’est avant tout dans les métropoles que cette offre est la plus développée, ce qui prouve bien que l’appétence pour la ruralité n’est pas forcément si présente aujourd’hui.
Mais alors finalement, qu’est-ce que cette crise sanitaire a révélé pour le secteur immobilier ?
Même si l’”exode urbain” attendu ne s’est pas forcément concrétisé, plusieurs phénomènes de mobilité ont émergé avec cette crise. On peut par exemple observer au sein des métropoles un désintérêt pour la ville-centre, notamment à Paris, au bénéfice de villes plus périphériques qui peuvent tirer leur épingle du jeu avec des dynamiques comme le développement du télétravail. Évidemment, nous avons aujourd’hui peu de recul sur la situation actuelle, il s’agit donc de rester prudent concernant ces premiers constats.
Vivre à une heure, voire une heure et demie de Paris, se révèle souvent très handicapant lorsqu’il s’agit de se déplacer quotidiennement pour se rendre au bureau. En revanche, cette situation est bien plus confortable lorsque les déplacements domicile-travail sont limités à deux fois par semaine. Ce phénomène peut nous inciter à repenser la façon dont on délimitera désormais les zones géographiques. Par exemple, si cette thèse se confirme, demain, ce qu’on appelle le Grand Paris ne sera plus réellement délimité aux gares du Grand Paris Express, situées à une heure de la capitale. Ce sont Orléans, Tours, Rouen, ou même Reims qui incarneront elles-aussi cette nouvelle aire métropolitaine. Et c’est probablement ce phénomène qui impulsera une nouvelle dynamique : certaines villes pourront augmenter leur aire d’influence et ainsi attirer de nouveaux ménages.