Interview de Mathieu Hanotin : Les Jeux de Paris, une nouvelle Seine-Saint-Denis ?
Maire de Saint-Denis et Président de Plaine Commune, Etablissement public territorial de la Métropole du Grand Paris, Mathieu Hanotin est à la tête d’un territoire résolument tourné vers l’échéance des Jeux de Paris. Dans un peu plus de trois ans, le monde entier aura les yeux rivés vers ces villes de Seine-Saint-Denis qui accueilleront le Village des athlètes et trois sites de compétition : Saint-Denis, Saint-Ouen-sur-Seine et L’Ile-Saint-Denis. Quelles conséquences pour l’économie locale et les habitants ? Les réponses de l’élu.
La Seine-Saint-Denis accueille trois sites des Jeux de Paris, le Village des athlètes et le Village des médias. Quels atouts de votre territoire ont été déterminants dans le succès de la candidature ?
Mathieu Hanotin : Le territoire de Plaine Commune et plus largement celui de la Seine-Saint-Denis ont permis de donner un sens à la candidature. Les Jeux de Paris, c’est avant tout la volonté d’organiser la plus belle compétition de l’histoire, en pensant le projet à la fois comme un retour aux sources des Jeux et comme un héritage pour les territoires. Cet héritage sera à la fois matériel avec des infrastructures pérennes et la transformation de quartiers, permettant de débloquer de nombreux projets, dont certains attendaient depuis longtemps. Il sera également immatériel avant, pendant et après les Jeux pour que les habitants de Seine-Saint-Denis vivent mieux sur leur territoire. L’enjeu ne se limite pas à 2024, ces investissements massifs doivent pouvoir montrer que les banlieues périphériques ont du potentiel. Elles sont une chance pour la République : c’est ici que l’on crée le plus d’entreprises, que les populations font preuve de la plus grande inventivité. Nous avons donc un devoir de réussite !
Il y a une dimension de reconquête en termes de qualité de vie, de nature en ville, de réponse aux problématiques du réchauffement climatique
Parmi les différentes infrastructures, le Village des athlètes accueillera plus de 10 000 sportifs et sportives. Quelles sont les particularités de ce projet ?
MH : Tout d’abord, c’est un projet situé sur trois villes qui doit permettre à terme l’émergence d’un cadre de vie de qualité et d’ainsi franchir un cap dans la construction de la ville de demain. Le Village des Athlètes doit être le point de départ de la reconquête de la Seine dans notre département, à l’image de ce qui a été fait à Paris. En aval du fleuve, la Seine n’a jamais été considérée comme un élément d’attractivité. La ville s’est construite en lui tournant le dos. Elle était et reste un outil, de transport notamment, mais nous devons la voir comme une opportunité. Il y a une dimension de reconquête en termes de qualité de vie, de nature en ville, de réponse aux problématiques du réchauffement climatique. La Seine incarne une forme de nouvelle frontière pour Plaine Commune. Au-delà du village des athlètes, c’est toute la question de la vie du quartier après la compétition que nous traitons en délivrant les permis de 2024 en même temps que ceux de 2026 par exemple.
Qu’est ce qui changera après les Jeux pour ce quartier « réversible » ?
MH : Toute la problématique de ce village est qu’il faut construire 14 000 lits pour loger athlètes et accompagnants avec des aménagements très spécifiques. Il n’y a pas besoin de cuisine par exemple, tous les lits sont simples, ce ne sont pas des logements familiaux ! Le défi pour l’« après », c’est donc de penser dès maintenant les logements familiaux, pérennes et fonctionnels de demain. Nous travaillons avec Vinci, Eiffage, Nexity, la CDC entre autres pour planifier avec souplesse les différentes phases de travaux. On sait par ailleurs que nous devrons construire une école, une crèche, qui sont indispensables pour l’accueil d’une population aussi importante. Le quartier bénéficiera par ailleurs des équipements construits pour les Jeux, comme la piscine olympique qui aura un usage grand public dès la cérémonie de clôture passée.
On va venir créer des nouveaux quartiers, les imbriquer dans des nouveaux usages de ville déjà existants : il y a déjà une station de métro, il y a déjà de la vie. Ce que nous faisons aujourd’hui c’est un travail de couture qui requiert beaucoup de finesse pour rapidement générer un impact positif
Comment allez-vous intégrer les équipements urbains existants dans le futur quartier ?
MH : À la différence de Londres en 2012 où le quartier de Newham avait été reconstruit à partir d’une « page blanche », nous construisons la ville dans la ville. La Cité du cinéma sera au cœur du village, le collège de l’île Saint-Denis existe depuis 2014, il y a un écoquartier qui va être agrandi pour 2024… On voit bien avec Londres que si le projet de construction ex-nihilo a plutôt bien fonctionné, les usages de la ville ne se décrètent pas. La ville a besoin de temps pour construire son ergonomie propre. Nous allons créer des nouveaux quartiers, les imbriquer dans des nouveaux usages de ville déjà existants : il y a déjà une station de métro, il y a déjà de la vie. Ce que nous faisons aujourd’hui c’est un travail de couture qui requiert beaucoup de finesse pour rapidement générer un impact positif.
Comment l’arrivée des Jeux en Seine-Saint-Denis a-t-elle été perçue par ses habitants ?
MH : J’ai fait le tour des capitales européennes ayant accueilli les Jeux et à chaque fois le constat est le même. Le principal héritage des Jeux est la fierté de l’ensemble de la population d’avoir accueilli un tel événement et tout ce que cette dynamique a créé dans le redémarrage de quartiers, de villes, de populations. Même les Jeux d’Athènes, souvent critiqués, ont eu des effets très positifs. Les habitants de Seine-Saint-Denis ont envie de participer à l’organisation de l’événement et de contribuer à montrer le plus beau visage de leur territoire. Et à travers celui-ci, de montrer la plus belle image des banlieues et des périphéries, qui rayonnent dès lors qu’on veut bien leur donner l’opportunité de le faire.
Faire en sorte que l’économie locale bénéficie des investissements
MH : Les acteurs publics au sens large ont mis en place des clauses sociales et d’insertion avec 10% des heures travaillées réservées à des emplois d’insertion et 25 % du montant des marchés aux TPE, PME et structures de l’économie sociale et solidaire. Les entreprises de Plaine Commune et de Seine-Saint-Denis sont très nombreuses à répondre à ces critères, il y a donc de grandes chances que l’économie locale bénéficie largement des investissements. C’est un travail du quotidien qui s’est amorcé avec les maîtres d’ouvrage, les acteurs publics locaux pour faire en sorte que les TPE et PME du territoire soient prêtes à répondre aux appels d’offre. Grâce à ce projet on encourage aussi le développement de nouvelles filières comme le transport fluvial qui permettra d’éviter la navigation de 6 000 camions environ ou encore les plateformes de réemploi afin de valoriser un volume conséquent de matériaux issus de la déconstruction. C’est un travail à la fois informel, opérationnel mais bien réel que nous menons.