Tourisme post-covid : comment le réinventer ?
Pour faire face à la crise du coronavirus qui a porté un coup d’arrêt au tourisme, la France, première destination mondiale en nombre de touristes, veut s’engager dans une transition de ce secteur qui représente 8% de son PIB et 2 millions d’emplois directs et indirects. Sans voyageurs internationaux, l’enjeu est de réorienter le tourisme à destination des voyageurs locaux. Quelles sont les mesures mises en place ? Nous les avons passées en revue.
En 2019, 90 millions de touristes internationaux ont voyagé en France pour découvrir son patrimoine, faisant de l’hexagone le pays le plus visité au monde devant l’Espagne, les USA, la Chine et l’Italie. À cause de la crise épidémique, les restaurants, les hôtels, les musées, mais aussi les parcs d’attractions ont dû fermer leurs portes pendant plusieurs semaines. Résultat, au premier trimestre 2020, les arrivées sur le sol français ont connu une baisse historique et la chute des dépenses touristiques est estimée entre 30% et 35% sur l’année 2020.
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le tourisme urbain fragilisé par la crise
Les grandes villes sont particulièrement touchées par la baisse de la fréquentation touristique et font grise mine. L’été dernier, la capitale enregistrait un recul de 95% de sa fréquentation. Avec la crise, les visiteurs internationaux ne sont plus au rendez-vous. Les habituelles files d’attente devant les musées parisiens ont disparu et ceux-ci connaissent une fréquentation en berne. Le Musée du Louvre – musée le plus fréquenté au monde – accueillait 9,6 millions de visiteurs en 2019. Parmi eux, 25% de visiteurs français et 75% de visiteurs étrangers provenant principalement des États-Unis, de la Chine et des pays de l’Union Européenne. Les grands musées parisiens comme le Louvre ou le musée d’Orsay et les lieux touristiques emblématiques comme le Château de Versailles estiment leurs pertes nettes à plusieurs millions d’euros. Certains ont dû faire appel à une aide de l’État alors qu’ils sont contraints de rester portes closes.
Le Covid-19 a mis en lumière la forte dépendance des sites de tourisme culturel français envers la clientèle étrangère. Alors que le tourisme est majoritairement développé pour les touristes internationaux, l’enjeu est de recréer une offre à destination des visiteurs locaux. Comment le rendre plus local ? De nombreuses villes ont commencé à revoir leurs offres pour attirer les touristes français, avec succès.
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S’appuyer sur les visiteurs locaux
Les musées en région résistent mieux à la crise sanitaire que les institutions parisiennes. À Marseille, la fréquentation du Mucem a beau avoir reculé de 15 à 20%, les visiteurs se sont déplacés lors de la réouverture. Le musée dédiée aux civilisations méditerranées a su profiter de la présence des vacanciers restés en France au cours de l’été.
L’établissement a également engagé depuis plusieurs années une politique active visant à attirer les habitants des quartiers défavorisés. Tous les dimanche, dans le cadre du projet Destination Mucem, un bus de collection va chercher les habitants excentrés pour les emmener au musée. Pendant le confinement au printemps 2020, le Mucem a également lancé une série d’initiatives pour impliquer le public dans des projets participatifs à l’aide des réseaux sociaux.
L’institution œuvre pour maintenir un équilibre entre public local, touristes français et touristes internationaux. Et ça fonctionne : près d’un quart des visiteurs vient de Marseille. Les touristes étrangers ne représentent que 25% des visiteurs.
Au Louvre-Lens, la fréquentation a baissé de 28% au cours de l’été 2020, loin des 70% qui ont mis à l’épreuve son homologue francilien. Le musée ne se trouvant pas dans une métropole, il n’est pas concerné par le couvre-feu. En revanche, c’est le cas du public lillois qui le fréquente. Alors comment expliquer que le Louvre-Lens résiste mieux que le Louvre-Paris ? Grâce au travail des équipes de médiation qui se rendent dans les écoles pour connecter le musée à la population de ce bassin minier. Le public lensois le fréquente assidument, parfois plusieurs fois par an. 70% du public est un public régional tandis que 20% provient de l’agglomération Lens-Liévin selon Marie Lanvandier, la directrice du Louvre-Lens interviewée par France Culture. Fermé depuis le 30 octobre 2020, comme l’ensemble des musées français, le Louvre-Lens a connu une fréquentation record avant sa fermeture, preuve de l’attachement des habitants envers cette institution qui a fêté ses dix ans d’existence. Pour permettre aux Lensois de découvrir les œuvres malgré la fermeture, le musées a aussi mis en place un podcast raconté par trois commissaires d’exposition. De quoi maintenir le lien avec les Français en temps de fermeture pour espérer les revoir dès la réouverture.
Pour inciter les habitants à découvrir les musées municipaux, la ville du Mans pourrait avoir trouvé la solution : l’équipe municipale a annoncé début décembre que tous les musées pourraient devenir gratuits dès le 1er janvier 2021. Cette mesure vise également à inciter les touristes de passage à prolonger leur séjour dans la Sarthe. Ceux-ci y restent en moyenne 3 jours et demi. L’objectif est d’allonger la durée des séjours à une semaine.
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Promouvoir les circuits courts et les produits locaux
Le 25 mai dernier, la métropole Aix-Marseille-Provence et le département des Bouches-du-Rhône ont lancé le label Préférence Provence. Son rôle ? Promouvoir les artisans et les commerçants locaux. Cette nouvelle appellation créée juste après le confinement vise à inciter les consommateurs à acheter en circuit court pour soutenir la relance économique. Les professionnels qui souhaitent rejoindre la marque – entrepreneurs, agriculteurs, etc – sont invités à se faire connaître à l’aide d’un formulaire présent sur le site qui recense l’ensemble des commerces labellisés sur une carte. Les internautes peuvent y retrouver toutes les bonnes adresses pour acheter des savons de la région mais aussi des spécialités locales comme les calissons et les traditionnels santons.
En Bourgogne-Franche-Comté, une grande opération solidaire intitulée “Sortez chez vous” a été initiée par la région pour inviter les habitants de la région à redécouvrir leur terroir et à soutenir le tourisme local et ses acteurs qui se battent pour faire vivre le patrimoine régional. Après avoir été confinés à domicile, les Bourguignons-Francs-Comtois ont été encouragés à choisir leur région comme destination de vacances pour relancer l’économie locale.
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Limiter la saturation dans les grandes métropoles
La crise sanitaire a touché de plein fouet le tourisme dans les grandes agglomérations. Au cours des derniers mois, les Français ont favorisé les escapades rurales ou en montagne, au détriment du tourisme culturel. Pour rendre les productions culturelles accessibles sur l’ensemble du territoire, et notamment en dehors des grandes villes, les Micro-Folies, plateformes culturelles de proximité lancées en 2017 par le ministère de la Culture et le Parc de la Villette ont poursuivi leur déploiement. Ces musées numériques donnent accès à plus de 1500 œuvres numérisées. Ils doivent ainsi permettre d’amener les collections des musées nationaux en région pour favoriser le lien et l’inclusion. Elles se déclinent désormais au format mobile pour s’installer dans les villes et villages qui se sentent parfois éloignés des offres culturelles. Plus besoin de se déplacer pour admirer les œuvres : elles se déplacent désormais dans les territoires ruraux et péri-urbains. Le nombre de Micro-Folies devrait être porté à 1000 d’ici 2023.
Pour faire face à l’effondrement du tourisme international, de nombreuses régions et institutions ont réorienté leur offre touristique à destination des touristes français. La crise sanitaire qui a favorisé les séjours en France semble avoir encouragé les Français à redécouvrir leur patrimoine culturel et à préférer un tourisme plus local et plus responsable.