Les maires face au défi de la sauvegarde du patrimoine
La France abrite un véritable trésor patrimonial : plus de 45 000 monuments historiques répartis sur près de 15 000 communes. L’entretien et la mise en valeur de ce riche héritage architectural et culturel demeure un défi colossal, alors que de nombreux sites ne sont pas encore protégés ou labellisés.
On oublie souvent que 55,82 % des monuments historiques appartiennent aux communes, contre 5,67 % pour l’État, 3,6 % pour les autres collectivités territoriales. En 2019, les communes françaises ont ainsi investi 295 millions d’euros pour restaurer les monuments historiques protégés, en collaboration avec l’État, qui a lui-même alloué 633 millions d’euros annuels à cet effort conjoint. Bien que cet engagement soit fort, la sauvegarde de ce patrimoine peut être un véritable casse-tête pour les maires des petites communes.
Un patrimoine varié
Omniprésentes au cœur de nos villages, les églises occupent le devant de la scène : propriété des communes depuis la loi de 1905, le coût de leur entretien est bien souvent disproportionné par rapport au budget des communes. Les destructions, mais aussi les réhabilitations, parfois jugées inappropriées, et les polémiques à répétition, font la une des quotidiens régionaux et alimentent le débat public sur le patrimoine national.
Mais le patrimoine religieux, s’il est important, est loin d’être le seul à être concerné. Les communes ont aussi à leur charge l’hôtel de ville, et parfois des bâtiments issus de legs ou en déshérence. C’est le cas à Chaumont, ville de Haute-Marne, dont nous avons rencontré le « Monsieur Patrimoine », Anthony Koenig, chargé du projet « Cœur de Ville ». La commune de 22 000 habitants est riche d’un patrimoine architectural remarquable, composé notamment de nombreux hôtels particuliers, édifiés entre le XVIe et le XIXe siècle, ainsi que de nombreux monuments religieux. Un nombre de bâtiments au patrimoine architectural remarquable considérable, voire disproportionné par rapport à la taille de la commune, ce qui au fil du temps peut représenter un budget très important.
Les espaces naturels, forêts, parcs, et le patrimoine rural ont aussi toute leur place dans les démarches de sauvegarde, d’autant plus que le développement durable est désormais central dans la conception des projets urbains.
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Les maires aux avant-postes de la sauvegarde du patrimoine
Depuis la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, la responsabilité des communes a été renforcée en matière de protection et de valorisation du patrimoine. Les maires sont les garants de la protection du patrimoine local et doivent s’assurer de sa transmission aux générations futures. Inventorier, protéger, valoriser, la tâche est lourde pour les édiles et leurs équipes.
« Les communes sont responsables d’abord en tant que propriétaires puisqu’elles ont souvent elles-mêmes beaucoup de patrimoine », précise Anthony Koenig. Elles jouent ainsi un double rôle : entretenir et valoriser leur patrimoine propre, mais aussi réglementer la mise en pratique des travaux sur le patrimoine bâti. « La commune peut laisser faire, ou au contraire, cadrer avec des documents d’urbanisme, en allant jusqu’au SPR, le fameux ‘site patrimoine remarquable’ ». Un outil de protection et de valorisation du patrimoine architectural, urbain et paysager mis en place en 2016, qui permet de délimiter un périmètre de protection autour d’un bâtiment ou d’un ensemble de bâtiments remarquables, afin de préserver leur intégrité.
Un défi de taille pour les petites communes
Les petites communes sont particulièrement mises à l’épreuve. Entre la nécessité de maintenir les bâtiments historiques en bon état, le financement des travaux, les obstacles juridiques et administratifs, les difficultés ne manquent pas. Dans un rapport publié en 2020, le Sénat souligne qu’il est crucial pour les maires de trouver un équilibre entre conservation et développement économique. Une recommandation prudente qui, sur le terrain, est parfois difficile à mettre en œuvre.
Pour ne rien simplifier, les communes ont également à faire face depuis deux ans à l’augmentation du coût de l’énergie. Le Chaumontais résume : « c’est une difficulté en série : en ayant fait augmenter le prix du fonctionnement des collectivités, cette crise a directement impacté le budget des travaux qui eux-mêmes auraient permis de faire des économies d’énergie ».
Enfin, le manque de compétences techniques se révèle un obstacle au déploiement des projets. Les maires doivent souvent faire appel à des experts en patrimoine pour les aider dans la prise de décision et la gestion des projets de préservation. Un coup de pouce bienvenu quand la quête de subventions prend des allures de parcours du combattant.
Quelles aides pour les maires ?
Face à ces nouveaux défis, les communes peuvent s’appuyer en premier lieu sur les subventions publiques : « L’État, bien sûr, mais aussi la Région, le Département, tout le monde se mobilise. Tout le monde essaye de trouver des solutions intelligentes et adaptées », récapitule Anthony Koenig.
La labellisation est un levier important et le mécénat privé devient un acteur central de la politique patrimoniale. Les associations de sauvegarde du patrimoine, et en première ligne la Fondation du Patrimoine, composées de passionnés du patrimoine local, ont l’avantage d’apporter en amont une aide technique et en aval de proposer une programmation culturelle adaptée.
Enfin, les DRAC sont amenées à apporter une aide déterminante dans le futur en proposant, comme cela a été testé en Bretagne, l’assistance à maîtrise d’ouvrage en direction des petites communes et des communes rurales, en particulier s’agissant du patrimoine non protégé.
Des solutions innovantes
Si les aides sont nombreuses, les arbitrages restent nécessaires. Et il faut parfois chercher des solutions innovantes : « l’arbitrage, cela peut consister à décaler un projet dans le temps, pas forcément se dire : « on ne peut pas tout faire, donc on ne fait rien » », insiste Anthony Koenig. « La vente est bien sûr une solution, mais nous essayons aussi l’optimisation ; plutôt que de construire, on peut utiliser le bâti existant. Il y a des choix douloureux, mais on essaye de trouver des corrélations intelligentes ». Par exemple, en ce qui concerne les églises, le rapport du Sénat encourage les maires à privilégier le recours au bail emphytéotique plutôt que la vente et à envisager « de nouveaux usages mixtes pour préserver leur dimension cultuelle ».
La prise de conscience a en tout cas bien eu lieu, et le regard sur le patrimoine change. Parfois encore considéré comme un encombrant tas de pierres, il peut être se révéler un vecteur de développement économique et touristique majeur pour les communes. À condition qu’il n’arrive pas en fin de route de la démarche d’urbanisme, et qu’il soit intégré dès le départ dans la réflexion.