Quand une friche industrielle devient écoquartier sur les bords de l’Orne
Fondateur de l’Agence Laverne Paysagistes, professeur à l’École nationale supérieure du paysage de Versailles et paysagiste conseil de l’État, Thierry Laverne s’évertue à réconcilier la nature et la ville depuis bientôt 40 ans. Il nous dévoile les valeurs qui guident son approche et comment elle se concrétise à Hérouville Saint-Clair sur une friche industrielle.
Comment réconcilier la nature et la ville ?
Thierry Laverne : Ces deux notions ne sont pas contradictoires. Pendant longtemps les enjeux de nature et de paysage ont été considérés comme relevant du cadre de vie, donc accessoires et négociables. Si on considère ces valeurs comme déterminantes de nos modes vie, alors elles ne sont plus un décor mais sont reconnues comme des conditions urbaines essentielles et non négociables. Par ailleurs, la ville ne peut plus considérer la campagne comme une variable d’ajustement de son projet, mais la projeter comme partie intégrante de son écosystème, indispensable au bonheur et aux besoins de ses habitants. IL n’y a pas de ville durable sans campagne solidaire ni de campagne durable sans ville solidaire. La ville et la campagne partagent le même territoire et le même projet, c’est ce que nous avons démontré depuis vingt ans avec le projet agri-urbain du Triangle Vert qui réunit cinq communes de l’Essonne. Ce projet que nous avons inventé et présidé pendant trois mandats d’élu local à Marcoussis projette la campagne au cœur du territoire qui réunit les cinq communes et du projet qui les rassemble, comme un jardin cultivé indispensable à leur avenir commun heureux. Enfin l’espèce humaine a pris conscience de la nécessité d’avoir une approche durable et frugale de son développement. Nous ne pouvons plus continuer à nous développer impunément aux dépens des milieux qui nous accueillent, ni consommer imprudemment les terres comme par le passé. Nous devons au contraire préserver les terres fertiles désartificialiser et désimperméabiliser les villes, promouvoir la biodiversité, anticiper les changements annoncés et recycler les sites et situations dégradées et polluées à l’abandon depuis des années…
Les enjeux de nature et de paysage sont à la fois une nécessité et une condition urbaine indispensables
Quelle est votre approche pour réaliser des projets où la nature et la ville trouvent de nouvelles combinaisons ?
TL : Habiter Cultiver Relier conjuguent les trois conditions indispensables au développement durable et heureux des villes et des territoires. Ils fondent tous nos projets et permettent de considérer et associer ensemble dans une vision, une responsabilité et un destin communs les territoires, les villes, les hommes et leurs projets. Habiter au lieu d’occuper en donnant du sens au reste par sa présence et son projet ; Cultiver au lieu d’exploiter en considérant la terre comme un jardin fragile dont nous devons renouveler les ressources indispensables à son équilibre et sa durabilité ; Relier enfin les villes et les hommes par leurs projets, en considérant et ravivant les relations qu’ils composent avec le milieu existant, dans lequel ils doivent s’insérer avec douceur et bienveillance…
La ville est belle quand elle est naturellement ouverte poreuse et perméable et reliée à sa campagne.
Pourquoi le futur écoquartier d’Hérouville Saint-Clair (Calvados, voir encadré) pourrait devenir un cas d’école en la matière ?
TL : La vallée et l’estuaire de l’Orne composent au cœur de Caen la Mer une figure naturelle magnifique et un territoire exceptionnel qui relie la ville à la mer et qui inspire et concrétise son projet. Mais le site naturel de l’estuaire recomposé par l’aménagement du canal et occupé par les activités industrielles du port, mérite désormais réparation et revalorisation. En aval et à distance du centre d’Hérouville, entre Orne et canal le site de l’écoquartier est immergé dans la nature de l’Orne et inspiré par la proximité de l’eau. Cette situation et ce contexte naturel sont une grande chance pour aménager un quartier heureux et résilient, anticipant la montée des eaux.
Mais ce site recouvert des boues de dragage du canal et exhaussé par rapport au site naturel n’entretient plus de relations naturelles avec l’eau. Cette situation impose donc aussi de grandes responsabilités au projet d’écoquartier, pour démontrer concrètement son intérêt et sa capacité à restaurer ce site pollué et à renouer avec les quatre rives du canal et de l’Orne naturelle, afin de renouveler profondément l’attractivité et l’urbanité de la vallée de l’Orne entre Hérouville et Colombelles.
Les îles de l’Orne combineront un nouveau mode de ville et de nouveaux modes de vie, inspirés par la nature du fleuve…
TL : Ainsi Habiter la vallée de l’Orne à distance de la ville impose d’intensifier la relation de l’écoquartier avec la nature de la vallée pour inventer précisément sur les conditions hydrauliques et naturelles de ce site exceptionnel, un nouveau mode de ville attractif et de nouveaux modes de vies heureux pour ses habitants. Développé à la manière d’un archipel, en balcon à l’Ouest sur le miroir spectaculaire du canal et en terrasse à l’Est sur la nature profonde de l’Orne naturelle, le quartier est constitué de quatre hameaux réunis sur leurs jardins habités. Composés comme des îles ils sont relié par trois « chenaux » qui rejoignent le canal et le fleuve enfoui de l’Orne. Ces jardins d’eau ravivent les continuités de biodiversité de la vallée, accueillent la gestion extensive et naturelle des eaux pluviales et offrent des espaces de récréation pour les habitants et les promeneurs. Cette disposition qui valorise à la fois le canal et réhabilite l’Orne naturelle, permet aussi d’éviter de distinguer un avant et un arrière, pour développer autour de chaque île un littoral attractif qui offre à tous les habitants une relation attractive et intense avec la situation naturelle des rives de l’Orne qu’ils ont choisi d’habiter. Ainsi ces conditions urbaines inédites et authentiques fonderont l’attractivité et l’intérêt d’habiter les îles de l’Orne
Le futur écoquartier de la presqu’île hérouvillaise sera un manifeste urbain et naturel à la fois
Quelles seront les retombés de ce projet pour le territoire ?
TL : Pour la collectivité d’Hérouville Saint-Clair, ce projet est l’occasion d’offrir une nouvelle intensité urbaine sur les rives de l’Orne, espace exceptionnel mais méconnu et mésestimé qui restait à réhabiliter. Mais ce projet peut être l’occasion pour la ville de renouer avec son histoire de laboratoire urbain. De grands urbanistes et architectes et paysagistes ont en effet produit des formes urbaines innovantes pour la nouvelle ville d’Hérouville. En réconciliant durablement la ville et la nature, le projet d’écoquartier poursuit à sa manière cette histoire urbaine en développant à la fois de nouveaux modes de vie urbains et naturels attractifs et des espaces publics intenses d’intérêt local ou de rayonnement métropolitain, accueillants et ouverts à tous.
Il inscrit résolument aussi l’avenir de la ville dans une nouvelle relation et responsabilité assumées vis-à-vis des nouveaux enjeux environnementaux planétaires. À ces titres le projet d’écoquartier peut constituer un véritable manifeste urbain pour Hérouville Saint-Clair.
Mais cet écoquartier qui appartient au projet « Presqu’île » s’inscrit aussi au cœur du projet de Caen la mer, dans lequel l’estuaire de l’Orne compose à la fois l’argument central, la figure emblématique et l‘armature essentielle. Urbain et naturel ce nouveau quartier valorise à la fois ce patrimoine, intensifie l’urbanité du territoire et concrétise le lien de l’agglomération caennaise avec la mer.
L’écoquartier des îles de l’Orne peut constituer ainsi à cette échelle grâce à son exposition, un démonstrateur efficace de la responsabilité, de la capacité et de l’intérêt de tout projet à réconcilier impérativement désormais développement et environnement.
Crédit photographique de Une : ©agences LAQ et ALPS
Un futur écoquartier de 22 hectares à Hérouville Saint-Clair
Situé en bordure du canal de Caen à la mer, au Sud du pont de Colombelles, le futur écoquartier de la presqu’île hérouvillaise accueillera à terme environ 1 300 logements, combinés avec des services et des commerces de proximité. Il mettra en scène l’eau avec l’aménagement d’un quai et d’une proue donnant sur le bassin d’Hérouville. La création d’une darse (plage urbaine connectée au canal) et la réalisation de jardins d’eau sont également prévues. Nexity, l’aménageur, et la Ville d’Hérouville Saint-Clair ont retenu l’agence LAQ, dirigée par Claire Schorter, et l’agence ALPS de Thierry Laverne pour assurer la maitrise d’œuvre de l’écoquartier. La fin du projet est prévue pour 2035.