Lorient, Saint-Nazaire, Bordeaux : quand les vestiges de guerre deviennent des pôles touristiques
Cicatrices béantes de la Seconde Guerre mondiale, les bunkers de Lorient, de Saint-Nazaire et de Bordeaux défient toujours le temps. Ils se transforment aujourd’hui en curiosités touristiques. Une reconversion audacieuse et réussie.
À RETENIR
- Les bases sous-marines de Lorient, Saint-Nazaire et Bordeaux, construites par l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale, sont aujourd’hui transformées en sites culturels et touristiques, valorisant leur caractère historique tout en dynamisant les villes.
- Lorient a créé la Cité de la Voile Éric Tabarly, dédiée à la navigation. Saint-Nazaire a transformé sa base en un centre artistique multifonctionnel nommé « La Base ». Bordeaux a inauguré les Bassins des lumières, un espace dédié à l’art numérique immersif.
- Ces sites intègrent des parcours pédagogiques et mémoriels, permettant aux visiteurs de découvrir l’histoire de ces infrastructures et leur rôle pendant la guerre, tout en conservant leur dimension patrimoniale.
- Ces reconversions attirent des centaines de milliers de visiteurs chaque année, revitalisent des quartiers, soutiennent l’économie locale et créent de nombreux emplois, offrant un second souffle à ces villes.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Lorient, Saint-Nazaire et Bordeaux concentrent les infrastructures militaires les plus stratégiques de l’Atlantique. Dès 1941, l’Allemagne nazie entame la construction de bases sous-marines pour abriter ses redoutables U-Boote. Ces gigantesques bunkers, faits de béton armé, sont conçus pour résister aux bombardements alliés les plus intensifs. À Lorient, la base de Keroman devient un site majeur de la Kriegsmarine, accueillant jusqu’à 30 sous-marins. Les bases de Saint-Nazaire et de Bordeaux s’inscrivent dans la même logique, garantissant une protection optimale à la flotte allemande. Ces constructions restent, aujourd’hui encore, d’imposantes structures, défiant toute tentative de démolition en raison des énormes quantités de béton utilisées. Ces vestiges perçus après-guerre comme dénaturant les paysages urbains posent rapidement un dilemme : que faire de ces géants de béton ?
Le pari de la reconversion
La démolition de ces structures aurait été d’un coût exorbitant pour les collectivités – avec une estimation des autorités locales de 31 millions d’euros pour la seule base sous-marine de Lorient –, sans parler des contraintes techniques. Face à cette impossibilité, les municipalités s’orientent vers une autre solution : la réutilisation. Mais comment transformer ces bâtiments, symboles de guerre et de destruction, en espaces accueillants et utiles ? Comment redonner vie à ces friches délaissées parfois pendant plusieurs années ? La réponse des trois municipalités est similaire : intégrer une dimension culturelle, tout en préservant leur caractère historique. La base de Lorient montre la voie, en engageant la réflexion dès 1999. En avril 2008, la ville inaugure la Cité de la Voile Éric Tabarly, un musée interactif dédié à la mer et à la navigation, qui devient rapidement un pôle d’attraction.
L’art et la culture au cœur de la transformation
À Saint-Nazaire, la reconversion de la base sous-marine a pris une orientation plus artistique. Rebaptisée « La Base », elle abrite depuis les années 2000 un musée consacré aux paquebots de légende, une salle de concert et le LiFE, un lieu d’exposition d’art contemporain. Selon un article du 28 juin 2022 dans d’architectures, « La Base est devenue un symbole de résilience urbaine, conciliant mémoire historique et création contemporaine ». Ce projet s’inscrit dans une démarche plus globale de la ville de Saint-Nazaire, qui a toujours cherché à valoriser son patrimoine industriel et maritime. À Bordeaux, la reconversion a pris une forme spectaculaire avec les Bassins des lumières. Inauguré en 2020, ce centre d’art numérique offre des projections immersives dans les immenses alvéoles de l’ancienne base sous-marine. Une manière de magnifier cet espace monumental tout en créant une expérience sensorielle unique.
À lire aussi
- Yann Galut : « Faire de Bourges une destination majeure pour un tourisme culturel et nature de qualité »
- 3 questions à Françoise Gatel, Présidente de l’association Petites Cités de Caractère
Une dimension mémorielle conséquente
Toutes ces initiatives entretiennent la mémoire des lieux. À Lorient et à Saint-Nazaire, des visites guidées permettent d’explorer les anciennes alvéoles où étaient abrités les sous-marins, tout en apprenant les détails historiques de leur construction et leur rôle stratégique durant la guerre. À Lorient, il est même possible de parcourir le sous-marin Flore-S645. À Bordeaux, des panneaux explicatifs et des expositions permanentes rappellent aux visiteurs l’importance militaire de la base sous-marine pendant le conflit. Cette approche rend vivante la mémoire des événements passés, tout en redonnant un usage à ces sites. Pour les habitants comme pour les visiteurs, ces lieux sont à la fois des témoins du passé et des espaces résolument tournés vers l’avenir.
Des défis techniques et architecturaux
Les dimensions impressionnantes des bases et l’épaisseur des murs en béton posent des contraintes techniques non négligeables. À Saint-Nazaire, les architectes ont dû composer avec les espaces monumentaux, en concevant des volumes adaptés à des expositions d’art contemporain, tout en préservant l’austérité et la force brute des matériaux d’origine. À Bordeaux, les Bassins des lumières ont nécessité des innovations techniques pour l’acoustique et la gestion des flux de visiteurs. À Lorient, la Cité de la Voile Éric Tabarly allie modernité et mémoire en créant un contraste visuel entre une structure transparente et la massivité des bunkers d’origine, tout en respectant des normes écologiques avancées, comme l’utilisation de 150 m² de capteurs solaires et de systèmes de gestion énergétique innovants, à l’instar du pompage d’eau de mer qui permet, par échange thermique, la production de chaleur et de froid.
Un second souffle pour les économies locales
Ces investissements ne sont pas vains. Ces transformations portent leurs fruits en matière de fréquentation et d’image pour ces villes. Le développement de pôles touristiques et culturels autour de ces infrastructures permet de revitaliser des quartiers entiers et de générer des recettes. À Lorient La Base, l’afflux de 200 000 visiteurs annuels profite également aux commerces et aux restaurants alentour. D’autant plus que Lorient La Base a créé, en parallèle de son musée, un véritable pôle économique autour du nautisme et de la course au large, générant près de 1 000 emplois. Les effets économiques sont d’autant plus importants que ces reconversions attirent non seulement des touristes locaux, mais également des milliers de visiteurs nationaux et internationaux chaque année. Longtemps désavouées, ces bases sous-marines prennent leur revanche sur l’histoire, en devenant de véritables atouts économiques et culturels, à la fois pour les villes et pour les générations futures. C’est de bonne guerre.
Ces bases sous-marines, jadis témoins de guerre, attirent aujourd’hui des milliers de visiteurs nationaux et internationaux.
En photo principale : À Lorient, la base de Keroman a accueilli jusqu’à 30 sous-marins.