Publié le 29.01.20 - Temps de lecture : 3 minutes

« La France a une image trop figée du développement de ses territoires »

Il porte en lui la bonne nouvelle pour les territoires. Face à un discours ambiant plutôt sombre, sur fond de dévitalisation des centres ville et crise des gilets jaunes, Pierre Veltz, économiste, sociologue et auteur de La France des territoires, défis et promesses*, croit au potentiel gagnant des territoires, et pas seulement des métropoles. À quelques conditions.

On parle beaucoup de territoires dévitalisés, vous tenez un discours pourtant plutôt optimiste sur la chance qu’a chaque territoire de gagner en attractivité. À quelles conditions ?

Les conditions « techniques » (accessibilité en transports, fiscalité locale, etc.) sont importantes mais rarement discriminantes. Ce qui compte vraiment, c’est la capacité de projet et la gouvernance. Dans les territoires, les processus de crise, comme les processus de croissance, sont « auto-renforcants ». Les valeurs immobilières s’effondrent, l’image se dégrade, etc., et remonter la pente devient difficile. Mais la France a une image trop déterministe, trop figée du développement des territoires.

Nous sous-estimons les capacités de récupération. Nous avons moins d’entreprises de taille intermédiaire comme celles qui font la réussite de l’Allemagne, mais le pays est truffé de pépites inconnues du public, y compris dans des régions considérées comme « périphériques ». Qui sait qu’une prothèse de hanche sur trois dans le monde est fabriquée entre Nogent et Chaumont, en Haute-Marne, devenue un centre d’excellence mondial ? L’industrie a connu des coupes sombres, mais de 2007 à 2017, au plus fort des années noires, 180 000 emplois nouveaux ont été créés dans 5 400 communes. L’industrie ne disparaît pas, elle se renouvelle, et pas seulement dans les métropoles !

Y a-t-il des territoires qui tirent leur épingle du jeu ?

Beaucoup trop d’élus attendent encore de décrocher le gros lot d’un investissement externe, mais les territoires qui s’en sortent sont d’abord ceux qui savent reconnaître et valoriser leurs forces. Il n’y a pas que la haute technologie. Romans, par exemple, a enclenché des dynamiques de rétablissement d’abord très modestes, aux frontières de l’économie sociale, avant de revenir vers des marchés concurrentiels.

D’autre part, le développement appelle des réponses globales et donc des financements pas trop cloisonnés. Les entreprises en croissance dans des petites villes ont du mal à recruter des jeunes, qualifiés ou non : l’emploi du conjoint est stratégique, de même que la question du logement, notamment du logement social, ou encore celle de l’accès aux soins. À Figeac, bel exemple de développement loin des cœurs métropolitains, des structures mutualisées publiques-privées comme « Figeacteurs », s’occupent de crèches, de conciergeries, de l’accueil des conjoints, etc. Dans « territoires d’industrie » (initiative lancée par l’Etat fin 2018), les demandes des entreprises concernent moins la technologie que des sujets pragmatiques : limiter la bureaucratie, éviter que la construction d’un hangar devienne une épuisante course d’obstacle, etc. On attend une puissance publique facilitatrice, à l’écoute des vrais sujets et des vrais blocages, parfois modestes.

Crédit photo : iStock / Nantes

La question centrale est donc celle de la gouvernance ?

Les ressorts fondamentaux du développement sont aujourd’hui socio-culturels : valorisation des compétences, coopération entre acteurs, qualité de la gouvernance publique et privée. La Vendée, par exemple, s’en sort parce qu’elle est depuis longtemps une terre d’entrepreneurs où les gens savent travailler ensemble. Le bassin minier du nord de la France a d’énormes atouts et il s’y crée des emplois. Son principal handicap est la pauvreté persistante, certes, mais surtout un manque de confiance en soi, l’héritage d’un émiettement territorial, des communes repliées autour de leurs puits de mines. Mais les choses changent doucement : les élus dépassent leurs divisions, les lycées entrent en dialogue avec le monde économique.

Comment dépasser les clivages entre les métropoles et les autres territoires ?

Il faut en finir avec une vision qui voudrait que seules les métropoles aient leurs chances. La qualité de vie jointe aux possibilités d’Internet va peser lourd dans les choix des jeunes, y compris des plus qualifiés, en faveur des villes moyennes. Il faut aussi multiplier les coopérations entre les métropoles et les autres territoires. Un exemple : la French Tech, le monde des startups, très concentré à Paris et dans quelques grandes villes, devrait mieux s’articuler avec la French Fab, le monde des usines, considéré à tort comme « traditionnel ». D’un côté, on a de jeunes entrepreneurs brillants, mais qui inventent surtout des applications, parfois anecdotiques, pour leurs clones sociologiques ; d’un autre, nos usines à la campagne fourmillent de problèmes difficiles à résoudre (matériaux, process, digitalisation) et sont en recherche désespérée de compétences. Rapprochons ces deux mondes, qui s’ignorent largement.

La qualité écologique est-elle facteur d’attractivité ?

Oui, absolument, pour plusieurs raisons. D’abord la qualité de vie et la qualité environnementale (air, absence de pesticides, etc.) vont être de plus en plus des facteurs de choix résidentiel pour les jeunes. Ensuite parce que la responsabilité environnementale des entreprises va peser de plus en plus dans les choix professionnels eux-mêmes. Ensuite parce que la transition écologique et plus généralement la réorganisation de nos modes de vie, d’alimentation, de loisir, de mobilité, va constituer un fort stimulant pour l’innovation locale, la création de nouvelles entreprises et de nouveaux emplois.

 

*La France des territoires, défis et promesses – Les éditions de l’Aube – 2019

 

Envies de ville : des solutions pour nos territoires

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