Focus sur les villes « Zoom », dopées par le télétravail
C’est l’un des effets secondaires les plus scrutés de la crise sanitaire, des deux côtés de l’Atlantique. Au terme d’une année de pandémie marquée par la distanciation sociale et l’essor du télétravail dans les entreprises, l’hypothèse d’un exode urbain fait couler beaucoup d’encre. Aux Etats-Unis, le phénomène porte même un nom : les « Zoom-Towns ».
Un essor dopé par la généralisation du télétravail
C’est désormais une réalité aux États-Unis : en miroir de prix qui stagnent ou baissent au cœur de New York, Los Angeles, San Francisco ou Seattle, des valeurs immobilières qui explosent dans des localités plus reculées, à l’image de Kingston dans l’État de New York, de Truckee en Californie mais aussi de Missoula dans le Montana ou encore de Bend dans l’Oregon. Quatre localités jusque-là riches essentiellement de leur patrimoine naturel ou culturel, qui ont pourtant vu ces valeurs bondir de 20 % à 50 % en un an à peine.
L’explication de ce phénomène est à trouver dans son nom, emprunté à celui d’une application de visioconférence dont la notoriété est en l’espace d’un an devenue planétaire, les « Zoom-Towns » – comprendre ces villes qui tirent parti du télétravail pour attirer de nouveaux habitants. En septembre dernier, Forbes publiait du reste une liste de ces villes, incluant Aspen dans le Colorado, Cape Cod dans le Massachusetts ou encore les Hamptons dans l’État de New York. Autant de lieux de villégiature traditionnellement prisés d’un public américain privilégié, qui n’ont pourtant pas toujours la capacité ni le souhait de se transformer à court terme pour accueillir en masse de nouveaux habitants.
Des villes mal préparées à la densité
À deux heures de route au nord de Manhattan, Kingston et ses 23 000 habitants connaissaient depuis les années 1960 un déclin démographique continu, et ce en dépit d’un potentiel touristique réel, reposant aussi bien sur les paysages verdoyants de la vallée de l’Hudson que sur nombre d’édifices historiques datant des premières années de l’Indépendance. Avec son afflux soudain de télétravailleurs, 2020 y a fait figure d’électrochoc : une augmentation de 10 % du nombre de transactions enregistrées, des prix en hausse de 23 % en moyenne et, au début du mois d’avril, la décision par son Maire, Steve Noble, de réviser ses documents d’urbanisme, une première en près de 60 ans.
En Californie cette fois, Truckee était quant à elle et jusqu’en 2020 une petite ville de 16 000 habitants, endormie dans la Sierra Nevada et connue principalement des randonneurs de la baie de San Francisco. Avec une hausse de 10 % de sa population et un accroissement des prix de 50% sur l’année écoulée, la ville est aujourd’hui l’étendard des zoom-towns californiennes. Une situation inédite, qui d’ailleurs pas sans poser problème, en témoigne la prolifération des cas de congestion routière, de ruptures de stock en magasin ou encore de diminution du débit internet. Plus fondamentalement, Truckee est une petite ville et, comme le rappelait en avril sa Maire, Anna Klovstad, elle entend bien le rester. Dès lors, il y a fort à parier que le nombre de nouvelles constructions autorisées dans les mois à venir y reste plus mesuré qu’à Kingston.
Un précédent historique : la climatisation
Selon une étude publiée en septembre dernier par Zillow, site de recherche spécialisé dans l’immobilier, le développement du télétravail pourrait à terme permettre à 1,92 million de locataires américains, soit 4,5 % des ménages concernés, d’accéder à la propriété : pas assez riches pour se porter acquéreurs de leur logement au sein d’une grande métropole mais suffisamment pour devenir propriétaires à quelques heures de distance, le développement du télétravail leur ouvre désormais la possibilité de s’engager dans ce projet sans pour autant renoncer à leur emploi. Au point, toujours selon cette étude, de rebattre durablement les cartes du marché immobilier des grandes métropoles et principalement de San Francisco, Seattle, Washington et Boston, où la survalorisation du centre est la plus criante.
Rappelons-ici une autre innovation technologique qui a, voici une soixantaine d’années, façonné l’Amérique telle que nous la connaissons : la climatisation. Rendue accessible au plus grand nombre elle a ouvert aux métropoles de la Sun Belt la voie d’un développement accéléré, à l’image de Phoenix, dans le désert de l’Arizona, passée de 100 000 habitants dans les années 1950 à plus d’1,6 million aujourd’hui, redéfinissant au passage la sociologie de l’ensemble des États du Sud, jusqu’à expliquer pour certains la victoire de Ronald Reagan à l’élection présidentielle de 1980 !
S’il est évidemment trop tôt pour pousser l’analogie avec les Zoom-Towns, beaucoup dépendra de la place qui sera laissée au télétravail au lendemain de la crise sanitaire. Mais au-delà du devenir de quelques destinations touristiques, c’est bien une tendance de fond qui se dessine comme le rappelait à NPR, Daryl Fairweather, chef économiste chez Redfin, autre site de référence sur le marché immobilier américain : « quelle que soit l’aire métropolitaine concernée, c’est en périphérie que vous trouvez le plus de dynamisme en termes de prix et c’est dans le centre que vous en trouverez le moins ».
Si des villes moyennes comme Kingston ou Truckee ne sont sans doute pas appelées à bouleverser les équilibres démographiques américains, d’autres agglomérations plus importantes semblent quant à elles déjà tirer parti de cette déterritorialisation du marché de l’emploi pour initier une nouvelle phase de leur développement. C’est le cas de Boise dans l’Idaho, de Charleston en Caroline du Sud mais aussi d’Austin au Texas ou de Bakersfield en Californie où les prix immobiliers ont également connu au cours de l’année écoulée une envolée spectaculaire.
Sur un marché français confronté à l’aspiration à un autre cadre de vie, cette tendance se vérifiera-t-elle également ?