Centres-villes : pourquoi le commerce de proximité n’a pas dit son dernier mot
Confinements successifs, mesures sanitaires, jauges… les deux années passées ont directement impacté les activités commerciales. En parallèle, l’explosion du e-commerce, fait craindre une vague de fermetures de magasins dans de nombreuses villes. Le sociologue Vincent Chabault, spécialiste de ces questions, constate pourtant le dynamisme de certains artisans et l’importance des actions engagées par les élus pour redynamiser les centres-villes.
Le commerce a été fortement secoué par la pandémie. Celle-ci a vidé nombre de magasins dans un premier temps, et participé par ailleurs à développer de nouvelles habitudes de consommation chez les Français, qui, plus qu’avant, plébiscitent la vente en ligne. Simple coup d’accélérateur donné à des tendances déjà à l’œuvre ? Certes. Mais ce phénomène provoque également un regain d’intérêt pour les artisans de proximité (parmi lesquels boulangers, bouchers, poissonniers, primeurs) qui connaissent eux-aussi un réel dynamisme économique. De quoi s’interroger sur les évolutions à l’œuvre dans le commerce, qui n’a pas le même visage en périphérie des villes, où les grandes enseignes sont présentes en nombre, et dans le cœur des agglomérations.
« La grande distribution et la galerie marchande ne font plus rêver les consommateurs, et n’incarnent plus la diversité commerciale. Les Français ont plutôt envie de commerces de centre-ville, mais il existe cependant des contraintes budgétaires et de transport pour y accéder » explique Vincent Chabault, sociologue, enseignant à l’Université de Paris et à Sciences Po, auteur d’Éloge du magasin (Gallimard, 2020). Selon lui, le commerce de centre-ville fabrique et façonne beaucoup plus la ville que sa périphérie. Les habitants viennent y chercher du contact, des échanges, et une certaine ambiance. « On a beaucoup parlé du quartier Barbès, à Paris, depuis la disparition de l’enseigne Tati. Idem avec le quartier Saint-Michel sans Gibert Jeune ». Plus que des enseignes, ces activités commerciales avaient en effet impacté toute l’activité et l’image du quartier. Pour autant, il appelle à ne pas être trop caricatural sur cette distinction : les hypermarchés ou les enseignes spécialistes proposant aussi des savoir-faire et des connaissances pointues. Une expertise qui revêt elle aussi une fonction sociale, au même titre que celle des commerces de proximité.
Le regain d’activité des petits commerces de proximité
Et les frontières bougent. Depuis quelques années, attirés par ce renouveau des centres-villes, et plus encore par les attentes de leur clientèle, certains habitués des zones commerciales, tels que Décathlon ou Ikéa n’hésitent plus à s’y installer via des concepts-stores de taille plus modeste. C’est alors un nouveau modèle qui se met en place, avec des espaces plus réduits, mais un recours accru au commerce en ligne et au service de « click and collect » pour permettre au consommateur de conserver un accès effectif à l’ensemble du catalogue.
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Et derrière ces phénomènes émergents, le dynamisme des commerces de proximité se confirme, notamment pour les artisans dans le domaine de l’alimentation. Une tendance qui n’est pas nouvelle selon Vincent Chabault. « On constate que lors de chaque crise (« vache folle », crise économique, pandémie), il y a un retour vers des circuits d’approvisionnement de qualité. Il y a une « premiumisation », une demande de traçabilité, de local, qui bénéficie à ces réseaux ». Des cavistes indépendants et compétents gagnent du terrain face à des enseignes très organisées. Et l’émergence de nombreuses chaînes de produits en circuits courts dans des villes de toute taille témoigne de cette nouvelle donne.
Pour les élus, la revitalisation commerciale est un sujet prioritaire afin de lutter contre la désertification des centres-villes et la vacance commerciale, à la fois conséquence et cause de leur perte d’attractivité. Les maires ont en effet un certain pouvoir pour orienter la politique commerciale de leur commune via les plans locaux d’urbanisme d’une part, et favoriser ou non l’implantation de d’une enseigne ou typologie de magasin, d’autre part. Et ils n’hésitent plus à s’en servir. En parallèle, on constate également la montée en puissance d’un nouvel acteur, le manager de centre-ville, à la fois stratège et coordinateur de l’ensemble des intérêts en présence.
Le grand hypermarché de périphérie condamné ?
Le programme Action Cœur de Ville, impulsé par le gouvernement en faveur des villes moyennes, comporte un volet économique qui vise à faciliter l’installation des entreprises et commerces. Ce programme, qui cible 222 villes (soit 20 millions d’habitants, l’équivalent de 23 % de la population française), mobilise 5 milliards d’euros sur 5 ans pour réhabiliter les centres-villes. « Cette revitalisation doit passer par le commerce, mais aussi par la réimplantation de logements, d’emplois publics, de services » note le sociologue, qui constate des effets positifs de ce type d’initiatives, mesurés par la baisse du taux de vacance commerciale. À Thionville (Moselle), il est ainsi passé de 21 à 16 % en quelques années. À Argentan (Orne), il est tombé à 1,4 % seulement.
À l’avenir, le visage commercial des villes pourrait se fragmenter davantage, compte tenu du renforcement de deux logiques distinctes de consommation. Pour des achats récurrents, dits de fond de placard (notamment pour les courses alimentaires classiques), les commandes en ligne ou le drive devraient sans nul doute marquer des points. « À terme, celui qui est condamné, c’est le grand hypermarché de périphérie » prophétise Vincent Chabault. Le deuxième pôle qui, lui, devrait continuer à se développer via des commerces physiques, est associé à des achats plus ponctuels à forte visée ostentatoire et identitaire. Via une consommation plus tournée vers le plaisir, notamment autour de la gastronomie et de la culture. La librairie, annoncée menacée depuis dix ans, apparaît ainsi comme la cheffe de file de la résistance aux plateformes de vente en ligne et un modèle pour la nouvelle économie de proximité, en apportant du conseil et de l’expertise, de la déconnexion également. Redevenus « commerces essentiels », les libraires ont vu revenir « des clients qui parfois étaient passé à la vente en ligne ». De la même manière que le caviste, le primeur, ou le fromager… dont l’avenir immédiat semble assuré.