Valérie Lasek, directrice générale de l'Établissement Public d'Aménagement Bordeaux Euratlantique
Publié le 04.02.25 - Temps de lecture : 7 minutes

Entretien avec Valérie Lasek, directrice générale de l’Établissement Public d’Aménagement Bordeaux Euratlantique

Face à une conjoncture économique complexe et aux enjeux environnementaux pressants, Valérie Lasek nous partage sa vision des défis actuels et futurs à relever par l’EPA Bordeaux Euratlantique, l’importance d’une approche intégrée et durable dans la fabrique de la ville, ainsi que les stratégies mises en place pour y répondre.

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À RETENIR 

  • Face à une complexité croissante liée aux enjeux économiques et environnementaux, l’EPA Bordeaux Euratlantique adopte une approche intégrée, conciliant ambitions urbaines et contraintes économiques. Un nouveau protocole financier a été établi pour prolonger le projet jusqu’en 2040, visant 50 000 habitants et 30 000 emplois. 
  •  Situé au débouché du pont Saint-Jean, ce quartier labellisé ÉcoQuartier vise une mixité fonctionnelle et sociale avec 1 400 logements (dont 35 % sociaux) et divers équipements culturels et économiques. Il recrée un lien entre la rive droite et le centre historique de Bordeaux. 
  • L’OIN identifie 400 000 m² de surfaces exploitables pour le photovoltaïque, complémentaire à la végétalisation des toitures. L’objectif est de massifier l’installation solaire en impliquant opérateurs, bailleurs et collectivités, avec des objectifs de puissance installée fixés d’ici 2025. 
  • Poursuite des aménagements rive gauche (Canopia, parc Descas) et rive droite (Médicina, Estaca, Souys-Eiffel), ainsi que la construction de la trémie de la Benauge pour améliorer la mobilité. L’objectif reste d’atteindre 25 000 logements d’ici 2040 malgré les défis économiques. 

Envies de ville : Directrice générale de l’Établissement Public d’Aménagement Bordeaux Euratlantique depuis 2021, quelles transformations du métier d’aménageur identifiez-vous ? 

Valérie Lasek : Que ce soit à l’échelle de l’Opération d’Intérêt National (OIN) ou du modèle économique de l’aménagement, beaucoup de choses sont arrivées en peu de temps et nous n’échappons pas à cette transformation. L’évolution est marquée par la complexité croissante de produire de la ville, que ce soit du fait de la conjoncture économique ou des enjeux du moment. Des enjeux qui vont impacter toute la chaîne de valeur de la fabrique de la ville depuis l’amont, avant même la maîtrise foncière, jusqu’à la capacité des ménages à acquérir un bien immobilier. Nous avons donc besoin d’intégrer davantage ce rôle d’ensemblier, de travailler les projets de manière intégrée entre les équations économiques, la performance attendue, les ambitions de programmation et de développement qui sont en jeu dans un contexte où la transition écologique et énergétique est incontournable, impérative. 

Pendant cette période, nous avons mis à jour notre feuille de route et effectué un bilan précis et objectif avec des chiffres et un état des lieux des réussites et des points discutables de la première décennie de l’OIN pour planifier la suite. C’était également l’occasion de mettre en regard les orientations stratégiques nationales et locales. L’État et les collectivités locales ont trouvé plus de points communs que de divergences et ont réaffirmé le rôle clé de l’OIN. Les objectifs de développement et de constructibilité ont été vérifiés, et le niveau d’ambition pour la production de logements et de mètres carrés à dominante économique a été réévalué. Le projet durera plus longtemps et coûtera plus cher, nécessitant des investissements supplémentaires pour maintenir un haut niveau d’ambition. Un nouveau protocole financier a donc été établi, engageant tous les partenaires pour dix années supplémentaires. 

Le projet vise à accueillir 50.000 habitants et 30.000 emplois d’ici 2040, avec une répartition des responsabilités entre l’État, Bordeaux Métropole, la ville de Bordeaux, et les collectivités de Bègles et de Floirac. Il était crucial de vérifier que l’EPA remplissait sa mission et de confirmer son rôle pour les années à venir. Cela a souligné la nécessité d’intégrer davantage d’études en amont pour assurer la bonne tenue du projet d’aménagement. 

Les impacts des crises successives que nous avons subies et que nous subissons encore font évoluer le métier d’aménageur. On ne peut pas nous demander de travailler en Zéro Artificialisation Nette et se préoccuper des coûts de fonciers, d’acquisition, de dépollution de ces fonciers quand on travaille en renouvellement urbain. Ces enjeux génèrent des surcoûts pour le projet qui sont répercutés sur les opérateurs immobiliers et nous refusons que les répercussions touchent les ménages parce qu’ils ne sont pas capables d’absorber ce taux d’effort. Ceci interroge forcément toute la chaîne de valeur, chacun faisant les efforts qu’il peut dans un contexte un peu compliqué pour sortir les projets. 

Envies de ville : Revenons sur une de vos opérations, pouvez-vous nous présenter le programme « Belvédère » à Bordeaux ? En quoi vous parait-il particulièrement exemplaire ? 

Valérie Lasek : Dans la conduite de l’opération, nous avons d’abord travaillé à proximité de la gare Saint-Jean avec la ZAC Saint-Jean Belcier, puis rive droite avec la ZAC Garonne Eiffel, en avançant quartier par quartier, en cohérence avec l’aménagement des espaces publics et le développement du schéma des mobilités de Bordeaux Métropole. Pour développer la deuxième ZAC, il était crucial de requalifier le pont Saint-Jean avec des voies dédiées au bus, d’apaiser les voiries routières et autoroutières, et de créer des boulevards urbains capables d’accueillir tous les transports en commun, les réseaux et des pistes cyclables confortables, offrant ainsi des alternatives à la voiture individuelle.  

Dans le cadre du développement progressif, il y a d’abord eu l’aménagement du parc aux Angéliques en 2015 sur les rives de Garonne puis le développement du secteur Deschamps avec un grand équipements publics de loisirs sportifs de plein air, pièce maîtresse du quartier livrée dès 2021. Deschamps s’articule avec le secteur Belvédère dont la consultation avait été lancée en 2016, avec une vraie logique de complémentarité, d’aménités qui se complètent au bénéfice des habitants, salariés, visiteurs.  

Le programme du Belvédère se situe au débouché du pont Saint-Jean, juste en face de la gare. Il réinvestit le nœud routier pour créer un nouveau lieu de vie avec toutes ses dimensions fonctionnelles et environnementales. Il est notamment labellisé ÉcoQuartier de stade 2. En outre, Belvédère apporte une nouvelle centralité avec des équipements culturels, économiques, sociaux et de services et donne une intensité urbaine à ce nouveau quartier de cœur de métropole. Sont réalisés 1.400 logements avec 35% de logement locatif social, du logement abordable et cette mixité fonctionnelle qui vient faire de ce quartier un quartier vivant et dynamique.  

Belvédère, avec Deschamps, forment un seul et même quartier qui comporte toutes les composantes des quartiers de centre urbain que l’on pratique, quels que soient ses revenus, son âge, son parcours résidentiel, ce qui fait sens pour le vivre ensemble.  Il faut avoir en tête qu’à Bordeaux la rive droite n’était pas forcément un endroit qui était une destination pour les Bordelais : entre le pont de Pierre et le pont Saint-Jean, vous aviez tout un secteur avec des terrains vagues et des terrains sportifs dont une part a été reconstituée. Ce nouveau quartier Deschamps Belvédère vient réparer cela et recréer une connexion, un dialogue entre le quartier historique de la Benauge et la Garonne. En cela, le quartier est exemplaire.  


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Envies de ville : Bordeaux Euratlantique a identifié un potentiel de 400.000 m² de surfaces à solariser sur son périmètre. Comment le travaillez-vous ?  Quelles opportunités représente-t-il ? 

Valérie Lasek : Historiquement, l’Opération d’Intérêt National s’appuie sur le réseau de chaleur urbain (RCU), alimenté en énergies renouvelables, pour l’ensemble des opérateurs immobiliers, obligés de s’y raccorder des 2 côtés de la Garonne. Afin de pousser encore plus les curseurs en matière d’énergie renouvelables, nous nous sommes dit que c’était intéressant pour le futur d’avoir une vision globale du potentiel photovoltaïque sur l’ensemble de notre périmètre, déjà car les formes urbaines que nous déployons s’y prêtent plutôt bien et qu’il y a un « déjà-là » sous-exploité.  

Initialement sur l’OIN, les prescriptions portaient plutôt sur la végétalisation en toiture parce que ça avait un impact sur les eaux pluviales et que ça permettait de pouvoir faire baisser la température et de lutter contre les îlots de chaleur. Nous avions quelques opérateurs qui avaient volontairement équipé leur toiture ou façade en photovoltaïque, ce qui permet de capitaliser sur des premiers retours. À partir de l’étude et de ces retours, nous allons pouvoir faire la part des choses entre les toitures qui seront plutôt consacrées à une végétalisation et celles qui seront plutôt dédiées au photovoltaïque, voire les 2 quand ça s’y prête parce qu’on a aussi envie d’expérimenter du solaire et de la végétalisation en même temps. 

Le potentiel existant c’est 50.000 foyers, cela permet de situer un peu de ce dont on parle et de mieux comprendre l’objectif qui est d’intéresser les opérateurs à ce gisement potentiel pour pouvoir affiner des modèles économiques adaptés et déployés au cas par cas pour les futurs projets. Pour l’existant, il existe des bâtiments qui ne pourront être dotés de panneaux en toiture et ensuite, il s’agira pour nous de travailler avec nos partenaires sur les bâtiments publics,  puis avec des bailleurs sociaux parce qu’ils ont un patrimoine qu’ils vont garder en propre, puis d’aborder en dernier les copropriétés à cause de la gestion plus complexe de ces dernières. Nous devons arriver à massifier pour avoir un potentiel correctement exploité. Par conséquent, la prochaine étape est de fixer des objectifs de puissance installée progressivement selon le rythme d’avancement des opérations, en commençant par le plus significatif pour pouvoir là aussi mettre le pied à l’étrier des opérateurs concernés. Nous fixerons ces objectifs sans doute au prochain CA en 2025 avant de travailler avec la banque des territoires qui nous accompagne sur ces études afin de définir les cahiers des charges qui s’imposeront aux opérateurs immobiliers « PV ready » c’est-à-dire prêts à équiper leur toiture de photovoltaïque.

Envies de ville : Quelle est votre feuille de route pour 2025-2026 ? 

Valérie Lasek : En termes de développement, la ZAC de Bègles est le 3e territoire en cours d’avancement.
Après la première étape de la création de la ZAC, nous avons défini le périmètre après deux ans de concertation préalable. Après la définition du projet global, vient l’étape du programme des équipements publics, la programmation fine, la répartition des mètres carrés et le financement de cette ZAC. Voilà ce qui va nous occuper en 2025 et 2026 sur ce territoire de projet. 

Nous avons également sur notre feuille de route les deux axes déjà actifs de chaque côté de la Garonne. Côté Saint-Jean Belcier, des chantiers sont en cours avec Canopia, le gros projet porté par Apsys au débouché du pont Saint-Jean (rive gauche) qui va développer 67.000 m² de surface de plancher avec cette ambition haussmannienne de relier la gare à la Garonne, un projet très emblématique. Nous allons ensuite aménager en parallèle le parc Descas sur les rives de la Garonne, puis prolonger les aménagements des berges pour étirer un peu le trait justement entre la ville Unesco et les quartiers que nous aménageons du sud de Bordeaux. Voilà pour le mouvement rive gauche, avec un certain nombre de projets immobiliers qui seront livrés sur chaque quartier de cette première ZAC dans les deux prochaines années.  

Rive droite, Deschamps – Belvédère va poursuivre ses livraisons avec la finalisation d’un grand équipement de santé, Médicina, l’arrivée d’une École d’ingénieurs, l’Estaca et de nouvelles ouvertures de commerces et services. Nous travaillons également de l’autre côté de la voie ferrée, où nous continuons les développements avec le quartier Souys – Eiffel qui aura ses premiers habitants mi 2025. 

Est également au programme le chantier de la trémie de la Benauge, un passage sous les voies ferrées qui va permettre de désenclaver le secteur Souys et qui va le raccorder au quartier historique de Bordeaux Benauge tout en permettant à un bus à haut niveau de service de faire la boucle des ponts à Bordeaux. Cette réalisation permettra de boucler le secteur de la rive droite là où il manquait cette capacité de développement et de mobilité à haut niveau de service.  

C’est un gros sujet, stratégique pour toute la plaine de Garonne de la rive et pour lequel nous assurons la maitrise d’ouvrage, puisque c’est l’établissement qui assure les développements de cet ouvrage d’art pour le compte de la Métropole.  

En conclusion, pour l’EPA, il s’agit de poursuivre la production de logements dans des quartiers bien desservis, avec toutes les aménités et équipements tout en accélérant la transition écologique et énergétique.  

Fin 2024, nous avions livré environ 5150 logements de part et d’autre de la Garonne quand nous avons quelques 5000 engagés. Nous devons poursuive ce rythme et cette dynamique malgré la conjoncture pour atteindre les 25000 logements en 2040.  

 


Biographie express de Valérie Lasek

Diplômée de l’IEP de Lille en 1998, Valérie Lasek, 45 ans, intègre, à sa sortie de l’Institut régional d’administration, le ministère de l’Équipement en 2000, en tant que responsable des personnels non titulaires, à la direction des personnels et des services. En 2003, elle devient chargée des relations avec le Parlement européen pour le ministère de l’Écologie et rejoint en 2007 la direction générale de l’urbanisme, de l’habitat et de la construction, comme adjointe à la cheffe de la mission de l’aménagement durable. En 2008, elle est nommée cheffe de cabinet du directeur de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages. Ancienne auditrice du cycle des hautes études européennes de l’ENA, elle devient, en septembre 2011, adjointe au sous- directeur de l’aménagement durable. 

Valérie Lasek rejoint, en 2012, le ministère de l’Égalité des Territoires et du Logement en tant que conseillère dans les domaines de l’aménagement, de l’urbanisme et de la construction de Cécile Duflot. Elle devient, pour quelques mois en 2014, conseillère renouvellement urbain et ville durable de Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des Femmes, de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, chargée du lancement du nouveau programme national de renouvellement urbain. 

Elle est ensuite nommée préfiguratrice de l’Institut pour la ville durable dans le cadre de la mission confiée par le Premier Ministre au directeur général de l’ANRU. En 2016, elle est finalement choisie pour diriger l’Établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux, poste qu’elle occupe jusqu’à la fusion de celui-ci avec l’Agence du numérique et le commissariat général à l’égalité des territoires au sein de l’ANCT. 

Depuis le 1er août 2021, elle est la directrice générale de l’Etablissement public d’aménagement Bordeaux Euratlantique. 


 

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