Il pleut mais est-ce suffisant pour limiter le risque de sécheresse ?
Le 29 octobre 2024, il est tombé 133 litres de pluie par mètre carré sur la région de Perpignan en seulement 24 heures. Avant l’épisode intense de remontées pluvieuses consécutives au phénomène de goutte froide à l’origine des dramatiques inondations espagnoles, les Pyrénées-Orientales n’avaient plus connu de pluies significatives depuis mars 2022. Si ces pluies offrent un certain répit pour la sécheresse agricole, la situation des nappes phréatiques reste cependant préoccupante.
Ces fortes précipitations suffisent-elles à limiter le risque de sécheresse à long terme ?
Pour répondre à cette question, il est essentiel de comprendre les différents facteurs qui influencent la disponibilité de l’eau et les mécanismes de recharge des nappes phréatiques.
Garantir des sols capables de retenir l’eau et de permettre son infiltration
La sécheresse est un phénomène complexe qui ne se résume pas simplement à un manque de pluie. Elle peut être causée par plusieurs facteurs qui peuvent se cumuler, notamment un déficit pluviométrique prolongé, une évapotranspiration plus élevée que la quantité de précipitations et une utilisation excessive des ressources en eau. En France, on considère qu’il y a sécheresse absolue lorsqu’aucune goutte de pluie n’est tombée pendant 15 jours consécutifs (soit moins de 0,2 mm/jour).
Même si des précipitations surviennent, elles ne suffisent pas toujours à recharger les nappes phréatiques de manière adéquate. Les nappes phréatiques, réservoirs d’eaux souterraines stockées à faible profondeur dans des roches poreuses et perméables, fournissent 62 % de l’eau potable du pays. Pour que ces nappes se rechargent efficacement, il faut non seulement des précipitations régulières mais aussi des sols capables de retenir l’eau et de permettre son infiltration.
Avec le changement climatique, la gestion de l’eau devient aussi complexe qu’essentielle, les périodes de sécheresse étant de plus en plus fréquentes et intenses. Les précipitations, de plus en plus rares malgré leur intensité épisodique, sont souvent insuffisantes pour compenser les déficits accumulés. Dans le même temps, l’évaporation de l’eau, sous l’effet de températures élevées, réduit considérablement la quantité d’eau disponible pour les plantes, les animaux et les humains.
Déjà, en 2023, le rapport de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) mettait l’accent sur une explosion des records concernant la hausse des températures de surface, les niveaux de gaz à effet de serre, du contenu thermique et de l’acidification des océans, de l’élévation du niveau de la mer, de l’étendue de la banquise antarctique et du recul des glaciers.
Les vagues de chaleur, les inondations, les sécheresses et les feux incontrôlés ont, depuis, bouleversé la vie quotidienne de millions de personnes à travers le monde. Alors que 2023 a été épinglée comme l’année la plus chaude, avec une température moyenne à la surface du globe de 1,45 °C (marge d’incertitude de ± 0,12 °C) au-dessus du niveau de référence de l’ère préindustrielle, l’année 2024 est déjà la plus chaude jamais enregistrée.
Le rapport de l’OMM indique que, en 2018, 3,6 milliards de personnes n’ont pas eu un accès suffisant à l’eau pendant au moins un mois. D’ici à 2050, ce chiffre devrait être supérieur à 5 milliards.
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Devons-nous cette sécheresse au seul réchauffement climatique ?
Même si des perturbations océaniques accompagnées de fortes précipitations peuvent recharger les nappes les plus réactives, cela restera momentané. Simon Mittelberger, climatologue spécialiste du suivi de la ressource en eau à Météo France, explique les raisons pour lesquelles il est quasiment impossible de rattraper un déficit hivernal : « À partir du printemps, les précipitations ne peuvent plus réellement recharger les nappes. La hausse des températures facilite l’évaporation et la reprise de la végétation limite l’infiltration des pluies dans les sols ». Le début des campagnes d’irrigation agricole n’arrange généralement pas les choses : irriguer c’est puiser de l’eau dans les stocks disponibles, d’où l’importance des précipitations ; en outre, le manque d’enneigement empêche l’alimentation naturelle des rivières et autres cours d’eau, ce qui ajoute au phénomène de sécheresse.
Devons-nous cette sécheresse au réchauffement climatique ?
« On ne peut pas attribuer ainsi un événement en particulier au changement climatique, met en garde Simon Mittelberger. Ce que l’on peut dire, à partir de relevés passés et de projections sur l’avenir, c’est que, depuis les années 1960, les sols s’assèchent de plus en plus. Avec un assèchement encore plus marqué en été ». La hausse des températures est davantage mise en cause qu’une baisse des précipitations. « À ce niveau-là, on observe très peu de changements dans la moyenne annuelle. Mais tout de même une légère hausse des précipitations en hiver et une baisse en été. »
La possibilité que le remplissage des stocks d’eau des hivers à venir ne suffise pas à répondre aux besoins croissants dus à des étés de plus en plus chauds et secs est avancée par les experts. Les prévisions restent toutefois difficiles à faire parce qu’elles ne dépendent pas seulement des apports en eau mais également des usages et de l’évolution de certaines pratiques, notamment agricoles, particulièrement gourmandes en eau.
« La pluie ne tombe pas dans des zones naturelles mais dans des secteurs très anthropisés »
L’eau est attendue comme la providence pendant les épisodes intenses de sécheresse mais elle devient source d’angoisse pour les élus, témoins des drames qui s’enchaînent sur le territoire ces dernières années.
Les pluies seront de plus en plus violentes dans la plupart des villes de France à l’horizon 2040 – 2070. « D’après les lois de la physique, un degré supplémentaire engendre 7% de vapeur d’eau de plus dans l’atmosphère. Nous allons donc assister à des phénomènes de précipitations intenses de plus en plus réguliers », assure Maryvonne Kerdoncuff, directrice adjointe de la Climatologie et des Services Climatiques chez Météo-France. Au cours du siècle, « les cumuls annuels n’évolueront pas vraiment », résume Maryvonne Kerdoncuff. En revanche, les pluies seront plus importantes qu’aujourd’hui en hiver et moins importantes en été ». C’est cette pluviométrie plus inégalement répartie entre les saisons qui va engendrer « des problèmes de sécheresse », selon la chercheuse.
Si les évènements pluvieux exceptionnels se multiplient, ils ne limitent pas le risque de sécheresse.
La durée et la fréquence de ces évènements augmentent mais les territoires restent plus que jamais menacés à cause de l’artificialisation des sols qui participe du phénomène de ruissellement.
Le changement climatique se traduit par une augmentation de la variabilité des précipitations, avec un renforcement des extrêmes secs et des extrêmes humides. Dans de nombreuses régions françaises, notamment autour de la Méditerranée, on s’attend à davantage de jours sans pluies, générant à la fois des sécheresses plus sévères et des extrêmes de précipitations plus intenses.
Bien que la pluie soit essentielle pour recharger les nappes phréatiques et atténuer les effets de la sécheresse, elle est rarement suffisante. Une gestion durable des ressources en eau combinée à des stratégies d’adaptation au changement climatique est donc indispensable pour garantir une disponibilité d’eau à long terme.
FOCUS :
Le 23 septembre 2024, il est tombé près de 50 millimètres d’eau en une demi-heure à Cannes, notamment sur le boulevard de la République, transformé en torrent comme quelques-unes des artères de la ville. Un épisode cauchemardesque qui rappelle les pluies diluviennes de 2015 sur la bassin cannois, mais aussi la tempête Alex (octobre 2020) dans l’arrière-pays niçois qui a ravagé les vallées de la Tinée, de la Vésubie et de la Roya avec 500 millimètres de pluie enregistrés en 24 heures à Saint-Martin-Vésubie, et plus récemment, les inondations dramatiques qui ont touché la région de Valence en Espagne.
« On se trouve dans un territoire alpin et maritime avec une mer encore chaude en octobre, susceptible de charger les nuages en humidité. Une humidité charriée par le flux de sud-est qui peut alors entrer en contact avec les courants d’air froid en provenance de la montagne. Or cette rencontre n’est jamais bonne, décrypte-t-il. C’est un peu comme au Pays basque avec les flux de sud-ouest. À la différence qu’ici, on compte plus d’un million d’habitants et plus de trois millions de déplacements par jour. La pluie ne va donc pas tomber dans des zones naturelles où personne n’habite mais dans des secteurs très anthropisés » commente Philippe Loos, le secrétaire général de la préfecture.