Miquelon : la réalité d’un village qui se déplace
Publié le 26.09.24 - Temps de lecture : 4 minutes

Miquelon : la réalité d’un village qui se déplace

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Face à la montée des eaux et à l’érosion côtière, accélérées par le changement climatique, de plus en plus de collectivités réfléchissent à « déplacer » leurs administrés. Un défi humain et urbain.

À RETENIR

  • Face à l’érosion côtière et à la montée des eaux, les habitants de Miquelon, un village de 600 personnes situé à Saint-Pierre-et-Miquelon, ont accepté de déplacer leur village pour devenir les premiers réfugiés climatiques de France.
  • L’ouragan Fiona en 2022 a accéléré ce projet de relocalisation, soutenu par le gouvernement français, qui offre de racheter les bâtiments existants en échange de terres plus élevées situées à 2 km du village actuel.
  • Ce projet ambitieux prévoit la reconstruction de maisons, d’infrastructures publiques et la création potentielle d’un écovillage, tout en cherchant à préserver l’économie locale et l’attachement des habitants aux espaces naturels.
  • La relocalisation de Miquelon est perçue comme un laboratoire d’adaptation climatique, bien que des défis environnementaux et sociaux majeurs subsistent, nécessitant une implication active de la communauté dans les décisions.

Confrontés à un grand risque de disparition de tout ou partie de leur village situé sur l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon, les habitants de Miquelon ont décidé de prendre leur destin en main en acceptant le déplacement de leur village.

Avec cette relocalisation totalement inédite en France, ils deviendront les premiers réfugiés climatiques du pays. Le challenge est double, réussir le déménagement comme l’aménagement.

Situé au sud de Terre-Neuve, l’archipel Saint-Pierre-et-Miquelon se trouve confronté à des conditions météorologiques extrêmes depuis le début du XXIe siècle, avec des tempêtes de plus en plus violentes, conséquences du changement climatique. Menacé de submersion et en alerte depuis de nombreuses années, le petit village de Miquelon qui compte 600 âmes, bâti sur un isthme à deux mètres au-dessus du niveau de la mer, se prépare à un exode pour échapper à la montée eaux.

La transformation est visible. Maintenant, on n’a pratiquement plus d’hiver. Moins de froid, pratiquement plus de neige. Ce qui a beaucoup changé, ce sont les épisodes venteux. Avant, les dépressions duraient 24 heures, maintenant elles durent plus longtemps : 48 heures voire plus.
Thierry Beaupertuis, capitaine du Nordet, le ferry des Miquelonnais.

En 2014, le président français François Hollande, de passage sur l’archipel, déclare que Miquelon pourrait disparaître avec la montée du niveau de la mer et annonce la mise en place d’un plan de prévention des risques littoraux (PPRL). Le chef de l’Etat interdit presque toute nouvelle construction dans le village, une décision entérinée sans aucun préavis qui prend les résidents de court et condamne quasiment tout projet de construction. Cette décision est vécue comme une tempête mais un ouragan va tout remettre en question.

En septembre 2022, l’ouragan Fiona balaie les côtes de Terre-Neuve, après avoir frôlé Saint-Pierre-et-Miquelon avec des vents dévastateurs à 250 km/heure. Fiona devait initialement croiser l’archipel français mais la tempête s’est finalement détournée vers l’ouest. La peur passée, les 600 habitants du village de Miquelon ont fini par accepter l’idée de partir. Conscients qu’aucune alternative ne s’imposera, les Miquelonnais se sont résignés en faisant preuve d’une résilience profondément ancrée dans leur identité. Longtemps opposés au projet de déplacement du village, ils sont désormais prêts à affronter cette délocalisation qui induit des défis colossaux.

La quasi-totalité du village étant inconstructible depuis une décennie, à cause des risques majeurs d’inondations, la population est longtemps restée sceptique devant ce projet, avant d’accepter majoritairement la nécessité du déplacement du village. Avant l’ouragan, les habitants privilégiaient un déplacement progressif, chaque nouvelle construction étant construite sur un site surélevé, en sécurité, afin de vivre une transition idéalement fluide. Mais Fiona a détruit environ 100 maisons, bouleversant le paysage de plusieurs communautés côtières et emportant une femme en mer à Port-aux-Basques ; les autorités françaises ont alors accéléré le processus.

« Fiona a vraiment accéléré les choses » explique le maire Franck Detcheverry, en poste depuis 2020.

Dans le cadre de ce vaste projet de reconstruction, sans égal en Amérique du Nord, le gouvernement français a offert de racheter tous les bâtiments de Miquelon, environ 400 au total, en donnant en échange aux résidents, des terres plus en hauteur, à 2 km du village actuel. Sur le site de l’éventuelle zone refuge, le premier édifice municipal du nouveau village sera construit pour héberger jusqu’à 300 sinistrés en cas de fortes tempêtes. Un vaste chantier financé par le fonds Barnier, qui aide les Français dont la maison est menacée par les changements climatiques : « c’est un fonds d’État prélevé sur l’ensemble des cotisations des citoyens français qui paient une taxe sur leur assurance habitation » explique-t-il. L’indemnisation exacte qui sera offerte aux résidents est un élément crucial des négociations. Interviewés par Radio-Canada, plusieurs d’entre eux confirment cette tendance : le déménagement se fera seulement si l’argent offert par l’État permet de payer complètement la reconstruction de la maison.


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À long terme, la municipalité prévoit de reconstruire des centaines de maisons, l’école de Miquelon, la clinique de santé, le terrain de foot. Le sujet de la difficulté à venir d’assurer sa maison à Miquelon nourrit les conversations. Franck Detcheverry souligne que si le projet ne fait pas l’unanimité, il permettra de réimaginer la commune, avec des pistes cyclables, des chemins piétons, des maisons mieux isolées. L’extension des réseaux électriques et d’égouts est déjà enclenchée. Il espère que les premières maisons seront construites d’ici 2026, la fin de son mandat.

« Miquelon pourrait devenir un laboratoire de notre adaptation climatique » explique Xénia Philippenko, géographe, lauréate du prix 2023 de la thèse BRGM, le bureau de recherches géologiques et minières, pour ses travaux sur l’adaptation de l’archipel au changement climatique. « Le projet n’est pas non plus exempt de conséquences environnementales car pour construire le nouveau village, il va falloir détruire des espaces naturels, auxquels les habitants sont très attachés », explique la chercheuse. « Il va aussi falloir garder un dynamisme économique local, en lien avec l’ancien village à court terme, puis progressivement uniquement sur le nouveau », souligne-t-elle.

Pour rendre exemplaire ce nouveau village d’un point de vue environnemental, un écovillage est également à l’étude. Le défi à plusieurs inconnues est encore énorme pour la collectivité, sur des décennies. Si le temps est compté, il était hors de question pour les élus locaux d’exclure du processus de décision les habitants. Ainsi, le maire Franck Detcheverry a demandé à bénéficier du système d’accompagnement “Atelier des Territoires”, initié par la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature, afin d’aider les autorités mais surtout la population à concevoir leur nouveau village.

Un challenge mené avec l’agence d’urbanisme Métamorphoses urbaines. “Cela s’est passé très vite”, raconte auprès de Novethic Laurent Pinon, architecte-urbaniste et Président-Directeur de l’agence. “Lorsque nous avons commencé les ateliers en 2022, nous ne savions pas quelle serait la stratégie du village. Nous nous retrouvons deux ans plus tard, à proposer aux Miquelonnais les 15 premières parcelles du nouveau village”. Laurent Pinon veut donner une forme totalement différente au village, avec les mêmes ingrédients. Une métamorphose plutôt qu’une création. “À partir des maisons actuelles, nous cherchons comment nous pouvons les rendre plus écologiques, mieux adaptées, mieux insérées dans le paysage”.

Le village de Miquelon fait aujourd’hui figure d’exemple, en tout cas d’exception, dans le domaine de l’adaptation alors que 864 communes en France ont été identifiées comme vulnérables aux submersions marines.

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